Pourra-t-on encore assurer sa maison demain?
Inondations, tempêtes, incendies… Partout dans le monde, les événements climatiques extrêmes se multiplient et échaudent les assureurs qui rechignent à couvrir davantage de risques.
Vivrons-nous bientôt dans un monde où il sera difficile d’assurer sa maison? Dernièrement, deux des plus grandes assureurs des Etats-Unis ont en effet décidé de ne plus prendre de nouveaux clients en Californie en raison de la multiplication des catastrophes naturelles. Fin mai, c’est State Farm, numéro 1 de l’assurance habitation en Californie, qui annonçait ne plus vouloir vendre de nouveaux contrats à cause de “l’augmentation historique des coûts de construction, supérieure à l’inflation, d’une exposition aux catastrophes naturelles en croissance rapide et d’un marché de la réassurance difficile”.
Dans la foulée, Allstate, lui aussi un gros acteur du marché de l’assurance en Californie, faisait savoir début juin qu’il mettait en œuvre une mesure similaire. Motif? “Le coût pour assurer les nouveaux clients résidentiels en Californie est bien plus élevé que les primes qu’ils payeraient pour des polices d’assurance dommages couvrant les incendies de forêt en raison des coûts très élevés pour réparer les maisons et des primes de réassurance plus élevées”, se justifiait la compagnie.
Quitter le marché
D’autres assureurs ont depuis emboîté le pas. C’est le cas de AIG qui a décidé de limiter les couvertures pour les propriétés haut de gamme à travers les Etats-Unis, dont certaines à New York et en Floride. En Floride toujours, Farmers Insurance a pour sa part annoncé qu’il quittait également le marché et cessait de souscrire de nouvelles assurances habitation en raison des coûts historiquement élevés des catastrophes naturelles et des dépenses de reconstruction de plus en plus importantes.
Partout dans le monde, les phénomènes climatiques extrêmes sont à la fois plus fréquents et plus ravageurs. Dernier exemple en date: les incendies qui ont ravagé les côtes méditerranéennes (Italie, France, Grèce, Algérie, etc.), et notamment les îles de Rhodes et de Corfou où plusieurs dizaines de milliers de touristes ont dû être évacués.
Autant de phénomènes qui laissent derrière eux détresse humaine et dégâts matériels considérables. Selon le réassureur Swiss Re, les catastrophes naturelles ont provoqué au niveau mondial pas moins de 275 milliards de dollars de dégâts l’an dernier, dont seulement 125 milliards étaient assurés. La Belgique n’échappe pas au phénomène. On se souviendra des terribles inondations qui ont frappé le pays à l’été 2021 causant la mort de 39 personnes et 2 milliards d’euros de dégâts.
Facture plus salée
En fait, “la crise climatique est un défi majeur pour le secteur de l’assurance”, résumait dernièrement dans Trends-Tendances le CEO du groupe Ethias, Philippe Lallemand, avant de nous confier que le coût de la réassurance pour Ethias était en 2023 près de 30% plus élevé.
Pour les assureurs, la facture est en effet de plus en plus salée. “Avec la recrudescence des catastrophes naturelles de par le monde, les réassureurs, c’est-à-dire les assureurs des assureurs, ont mis moins de capacité à disposition des assureurs pour se réassurer”, confirme Hein Lannoy, CEO d’Assuralia. Résultat? En Europe aussi, les assureurs se retirent de leur métier face à des risques devenus imprévisibles et une demande grandissante en matière d’assistance des assurés (logement de remplacement, évacuation, rapatriement, etc.). “En France, certaines entreprises ou activités ne sont déjà plus assurables”, soulignait encore Philippe Lallemand dans cet entretien accordé voici quelques semaines.
1,6 milliard
C’est pourtant dans ce contexte qui voit les assureurs refuser d’assurer l’inassurable que le gouvernement a décidé, lors du conseil des ministres du 20 juillet dernier, de relever le plafond des indemnités payées par les assureurs en matière de catastrophes naturelles. Celui-ci est quadruplé de manière individuelle par compagnie, ce qui porterait l’intervention maximale du secteur à 1,6 milliard en cas de catastrophe de grande ampleur.
A l’avenir, les assureurs devront donc prendre encore davantage à leur charge et intervenir en première ligne à hauteur de ce montant. Mais si, par malheur, une catastrophe naturelle venait en Belgique à dépasser cette somme, il n’est pas certain que les sinistrés seraient indemnisés à 100% dans la mesure où le fédéral a confirmé qu’il n’interviendrait pas. Les caisses publiques sont vides, hélas!
Primes plus élevées
Du coup, selon Assuralia, la hausse des tarifs demandés aux assurés devrait être substantiellement plus élevée que l’estimation de 1,26% donnée par la Banque nationale. “Après deux années d’échanges pour trouver une solution pérenne, le projet de loi ne fait qu’acter une participation financière accrue des assureurs sans impliquer ni les Régions ni l’Etat fédéral, commente Allan Matthys, porte-parole d’Axa Belgium, un des leaders du marché en Belgique. Or, seul un régime public-privé permettrait de garantir une indemnisation complète des assurés en cas de catastrophe naturelle majeure. Cette évolution ne devrait pas être sans incidence sur le prix des contrats incendie car les compagnies d’assurance seront tenues de se couvrir elles-mêmes de façon accrue sur le marché de la réassurance.”
Outre un rôle accru des pouvoirs publics, Axa plaide également pour une évolution de la réglementation sur les contraintes de construction (emplacements, fondations, etc.) afin de mieux protéger les propriétés.
A côté de cela, prolonge Allan Matthys, “nous investissons également dans les nouvelles technologies (data/IA) permettant une meilleure prévention et gestion des sinistres. Il y a le croisement des données météorologiques avec la localisation de nos assurés pour mieux détecter ceux présentant un risque de sinistre: cela nous permet de cibler nos communications et d’envoyer des experts en priorité dans les zones les plus sinistrées. A cela s’ajoute aussi l’ouverture et la gestion en ligne des déclarations de sinistres pour une gestion plus rapide lors de catastrophes naturelles.”
Monde inassurable
Mais ces dernières ne constituent malheureusement que la partie immergée de l’iceberg. Outre les mutations du climat, quid des nouveaux phénomènes tels que les pandémies, la géopolitique ou les cyberguerres? Ils plongent aussi les assureurs dans cette incertitude qui les confronte à des calculs de risque échappant de plus en plus aux probabilités.
Selon le CEO du groupe d’assurance Zurich, Mario Greco, nous nous dirigeons d’ailleurs vers un monde inassurable, pas seulement à cause des catastrophes naturelles mais aussi à cause des cyberattaques qui paralysent hôpitaux et autres administrations. Pour lui, ces attaques numériques vont devenir non assurables, plus encore que les événements climatiques… et peut-être aussi votre maison.
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