Les assureurs cherchent désespérément un rendement de leurs actifs
Les voies empruntées par les assureurs pour obtenir un rendement décent de leurs actifs sont diverses, compliquées et parfois inattendues. D’autant que le financement des infrastructures, dont il est tellement question, reste jusqu’ici fort limité.
Ce n’est pas avec les obligations de l’Etat belge (OLO) que les compagnies feront le bonheur de leurs assurés, puisque le taux belge à 10 ans s’est écrasé aux environs de 0,25 %. Guère non plus avec des actions de rendement telles que les SIR (anciennes sicafi) car, en dépit du caractère très défensif de ces valeurs, la réglementation européenne Solvency 2 impose aux assureurs de couvrir le risque en immobilisant des fonds propres pour pas moins de 39 % de leur valeur. Trop cher pour en consommer sans modération !
Il n’y a pas encore réellement péril en la demeure, pour deux raisons. D’abord, insistent les assureurs, les engagements existants sont couverts. Autrement dit, même si les taux se maintiennent durablement à presque zéro, le rendement garanti sur les contrats du passé ne sera pas mis en péril. Hormis, bien sûr, quelques exceptions qui ont fait l’actualité. Ensuite, les actifs détenus par les assureurs belges dégagent actuellement un rendement global encore rassurant de l’ordre de 3,6 %. Celui-ci ne cesse toutefois de s’étioler et la tendance ne devrait pas s’inverser avant longtemps. Comment freiner cette glissade ? En se lançant dans des investissements un peu plus risqués et surtout plus sophistiqués que le simple achat de valeurs mobilières prêtes à l’emploi.
La Bourse : pénalisante mais obligée
Avec tant de fonds propres à geler, on comprend que tous les assureurs aient très fortement réduit leur exposition aux actions. Ainsi Belfius en a-t-il, en chiffres ronds, pour 1,2 milliard d’euros, soit un bon 5 % de son portefeuille. Ce dernier est très défensif, avec des titres comme Elia, Fluxys, ou encore Vinci, des entreprises actives dans les services publics. Sans oublier TINC, la société investie dans des infrastructures, dont Belfius détient quelque 10 %. On y trouve également un important volet immobilier, au travers des SIR Cofinimmo, Montea, Retail Estates, ainsi qu’Intervest, dont l’assureur est le premier actionnaire. Le rendement moyen de ce portefeuille est de l’ordre de 5 %. Cela en vaut-il pour autant la peine, face à une exigence de 39 % de fonds propres ? Oui, affirme Christophe Demain, chief investment officer chez Belfius Insurance, car fort peu d’actifs offrent un pareil rendement.
Chez AG Insurance, la part des actions est plus faible encore, à moins de 2,5 % des actifs. Le numéro 1 du marché belge détient par contre de l’immobilier en direct pour quelque 8,5 % du total, dont il escompte une rentabilité de l’ordre de 5,5 %, plus-values comprises, explique Wim Vermeir, chief investment officer. Dans l’un comme dans l’autre cas pourtant, ces placements à rendement élevé – du moins dans le contexte actuel – ne font guère le poids face aux 60 % investis en obligations souveraines et autres risques d’Etat, très chichement rémunérés.
Hypothèques ou obligations d’entreprise ?
Aujourd’hui chez les assureurs, dans la quête de rendement, c’est l’imagination au pouvoir !
Entre les rendements indigents d’un côté, les immobilisations de capital excessives de l’autre, les deux assureurs ont opéré des choix en partie différents. Chez Belfius, les prêts hypothécaires pèsent plus d’un cinquième du portefeuille. Avantage : les exigences de fonds propres sont limitées à 5 %. La panacée ? Christophe Demain tempère : ” Avec des renégociations de taux devenues très fréquentes, le rendement n’est plus garanti. Pas d’euphorie donc ! ”
C’est aux obligations d’entreprise qu’AG Insurance consacre pour sa part un cinquième de son portefeuille, pour deux tiers émanant du secteur industriel, pour l’autre du secteur financier. Ici comme dans d’autres compartiments du portefeuille, l’assureur obtient un supplément de rendement, ” non pas en prenant un risque vraiment supérieur, mais en acceptant un actif moins liquide “, explique Wim Vermeir. ” On peut se le permettre quand on détient tant d’obligations souveraines très facilement négociables “, assure-t-il. Politique payante, puisque l’assureur a obtenu 1,87 % de rendement moyen sur les quelque 2 milliards investis au premier semestre 2016 en obligations et autres créances, un niveau fort respectable dans le contexte actuel.
Trop chiches infrastructures…
Et qu’en est-il du financement des infrastructures, souvent présenté comme voie d’avenir royale ? ” On en parle beaucoup, c’est vrai, et tout le monde veut y investir, mais l’offre est faible, bien inférieure à la demande “, observe Christophe Demain. De toute manière, il n’y a pas d’illusions à se faire : compte tenu de la garantie publique dont bénéficie souvent ce type de projet, les exigences en matière de fonds propres sont faibles… mais le rendement l’est aussi. ” Le dernier projet que j’ai examiné, avec garantie d’une région belge, offrait 1,5 %, explique le CIO de Belfius Insurance. Le précédent, garanti par un Etat européen ayant un rating AAA, arrivait péniblement à 1 %, pour des durées très longues de 30 ans. ” Pas vraiment princier, en effet.
De ce fait, le poids des infrastructures reste limité, complète Wim Vermeir, même si AG Insurance y a consacré 1 milliard d’euros environ au cours des trois dernières années, dans une dizaine de pays. ” La concurrence des investisseurs sur les grands projets est telle que les rendements sont au plancher, observe-t-il. Il faut viser des dossiers de moindre envergure. ” Cela signifie plus de recherche et d’étude des projets, autrement dit une approche plus sophistiquée.
Les capitaux propres qui doivent être immobilisés en parallèle aux investissements réalisés, en vertu de la réglementation Solvency 2, grimpent très vite dès qu’on s’écarte des obligations souveraines et des prêts hypothécaires. Ces exigences prennent toutefois en considération plusieurs autres éléments que la nature de l’actif, notamment la durée et les éventuels mécanismes de garantie, de sorte que les postes et chiffres repris ci-dessous ont surtout pour but de donner des ordres de grandeur.
– Obligations souveraines : 0%
– Prêts hypothécaires : 5%
– Obligations finançant de l’infrastructure : 13,5%
– Obligations à 10 ans notées BBB : 20%
– Participations stratégiques : 22%
– Immobilier détenu en direct : 25%
– Actions du secteur infrastructure : 30%
– Actions cotées : 39% (peut être abaissé à 29 % après une forte chute et augmenté à 49 % après une forte hausse)
– Private equity : 49%
– Produits dérivés : jusqu’à plus de 100 % pour certains
Il en va de même quand on aborde d’autres pistes. Belfius Insurance est ainsi partie prenante à un fonds fermé qui a pour activité de prêter à de grosses PME, souvent dans le cadre d’une OPA ou d’un rachat (LBO). C’est le genre d’activité qui combine un rendement encore intéressant, de l’ordre de 4 à 4,5 %, et des exigences de fonds propres raisonnables, de l’ordre de 13 à 17 %, notamment grâce à une durée limitée à cinq ans, expose Christophe Demain. Presque inespéré ! AG Insurance est également investi dans des fonds de prêt aux entreprises, ajoute Wim Vermeir, en raison de la bonne combinaison du rendement, d’un risque de crédit acceptable et d’un coût du capital encore raisonnable. Aujourd’hui chez les assureurs, dans la quête de rendement, c’est l’imagination au pouvoir ! Tout le contraire, sans doute, de leur image historique.
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