Les actionnaires de Fortis réclament 10,8 milliards à BNP Paribas et à l’Etat
Depuis quinze ans, un millier d’actionnaires de Fortis, emmenés par l’avocat Mischael Modrikamen, contestent la vente de Fortis Banque à BNP Paribas. Ils estiment le montant du dommage à 10,8 milliards d’euros. Le procès débute ce mardi 3 septembre.
On n’a pas fini de parler de la déconfiture du groupe Fortis intervenue dans les premiers jours d’octobre 2008. Les actionnaires avaient été légèrement dédommagés pour les fautes de communication commises par le groupe au moment du rachat d’ABN Amro, mais un millier d’entre eux, conseillés par Me Mischael Modrikamen, contestent la vente de Fortis Bank, les actifs bancaires belges, à l’Etat puis à BNP Paribas. Ils demandent à BNP Paribas (qui a racheté Fortis Banque ) et la SFPI, le bras financier de l’Etat, (qui a racheté la banque puis l’a revendue au groupe français) la nullité de la transaction et un dédommagement.
Quinze ans après
Pour ceux qui auraient oublié les grandes lignes du drame, rappelons que Fortis aux prises avec une grave crise de liquidités en septembre 2008, avait été recapitalisé fin septembre par les Etats belges, néerlandais et luxembourgeois. Mais quelques jours plus tard, après une grave dissension entre la Belgique et les Pays-Bas, le groupe avait été nationalisé et chacun avait repris ses billes. Les Pays-Bas avaient acquis les actifs néerlandais (banques et assurances) pour 16,8 milliards, la Belgique avait racheté Fortis Bank pour la céder à BNP Paribas, et, pour faire court, les actifs dits « toxiques » avaient été logés dans un véhicule spécial et les activités d’assurances non néerlandaises étaient restées finalement dans Fortis, qui avait pris le nom d’Ageas.
Ce que contestent les actionnaires depuis le début, ce sont surtout les conditions sous lesquelles le démantèlement du groupe a été réalisé dans les premiers jours d’octobre 2008.
Pourquoi cette action au civil n’est plaidée qu’aujourd’hui ? Parce qu’elle avait été interrompue par le volet pénal de l’affaire, volet qui s’est terminé par une prescription en 2020. Aujourd’hui donc, « nous sommes quinze années après le début de cette première procédure historique sur le fond, visant la nullité des transactions. Le tribunal a fixé cette affaire, qui commence le 3 septembre. Ce sera un fait extraordinaire parce que le tribunal a consacré, vingt audiences, donc tout le mois de septembre et d’octobre, tous les mardis et jeudis ».
Les adversaires sont BNP Paribas, SFPI. Ageas est toujours à la cause, mais contre lequel nous n‘avons pas de demande, mais est là pour recueillir éventuellement le bénéfice de cette action.
Un dommage de 10,8 milliards
Alors, que demandent les actionnaires ? « Il y a deux volets, répond Mischael Modrikamen. Le premier volet concerne ce que nous demandions dès le départ : la nullité des transactions pour contrariété à l’ordre public parce qu’on estime qu’il y a eu abus de biens sociaux et abus de faiblesse. Alors bien évidemment, cela n’a pas de sens de de demander le retour quatorze ans après, des actions Fortis Bank. Nous demandons donc une restitution par équivalent, autrement dit la contre-valeur ». La somme réclamée à BNP Paribas et à la SFPI solidairement, s’élève aujourd’hui à 10,8 milliards d’euros. Elle s’accroît chaque année puisque chaque année, Fortis verse des dividendes à son actionnaire. « Ce montant de 10,8 milliards peut paraître une somme astronomique, mais ce sont des sommes en proportion avec la valeur des transactions de l’époque. Et je rappelle que le bénéfice du groupe BNP est de 15 milliards (14,93 milliards avant impôt l’an dernier, NDLR) », poursuit l’avocat, qui précise que cette somme ne reviendrait pas directement aux actionnaires, mais à Ageas.
Et puis, il y a un deuxième volet. « Je demande aussi des dommages et intérêts propres aux actionnaires, soit par action un euro pour dommage moral et deux euros pour dommages matériels propres, pour une quinzaine d’abus ou d’infractions commises durant toute cette période entre le démantèlement (dans les premiers jours d’octobre 2008) et l’Assemblée générale de Gand (du 29 avril 2009, qui vote en faveur des transactions avec l’Etat et BNP Paribas, NDLR) ».
Quelles infractions ? « Par exemple, explique Me Modrikamen, lorsque Yves Leterme (premier ministre jusqu’en décembre 2008) a menacé les actionnaires, lorsque le substitut du procureur du Roi Paul Dhaeyer qui s’était opposé au démantèlement a été menacé, lorsqu’on a changé le jugement au dernier moment, lorsqu’au niveau de la Cour d’appel on a tenté de changer de siège…. Tout cela, ce que l’on a appelé le Fortisgate, a été établi par les commissions d’enquête parlementaires qui ont eu lieu à l’époque. » Ces dommages représentent, en fonction des 15 millions de titres Fortis existant à l’époque, une cinquantaine de millions. Avec les intérêts, la somme est portée à environ 75 millions d’euros.
Un troisième volet, plus technique, s’ajoute aux deux premiers. « Mais il est intéressant parce qu’il démontre aussi comment l’État a géré tout cela, souligne Me Modrikamen. La SFPI agit en effet alors en mission déléguée pour le gouvernement. Pour cela, il lui faut un arrêté royal délibéré en Conseil des ministres. Lorsque nous avons plaidé en référé un mois et demi après l’opération, nous avons demandé ces arrêtés royaux. Ils ne les produisaient pas, je me suis fâché et on nous les a communiqués deux jours plus tard. Ils avaient été signés la veille par le Roi. Et donc ils ont plaidé devant le tribunal en référé en première instance, en tout cas sur base des arrêtés royaux qui n’avaient pas été adoptés. Nous avons examiné ces arrêtés, adoptés au mois d’octobre et que l’on avait fait rétroagir à la date des opérations. Mais l’arrêté royal, qui a été délibéré en Conseil des ministres au moment des opérations, n’avait pas prévu la rétroactivité et donc l’arrêté royal qui a été soumis à la signature du Roi n’est pas celui qui a été délibéré en Conseil des ministres. Ils l’ont changé. Tout cela est contraire à l’ordre public ».
Abus divers et variés
Plus fondamentalement, les actionnaires reprochent aux gestionnaires de fait de l’époque de s’être rendus coupables d’abus de faiblesse et d’abus de biens sociaux. « L’abus de biens sociaux sur deux aspects, explique Mischael Modrikamen. Tout d’abord, la SFPI a acquis les actions de Fortis Banque sur une base d’une valeur de 9 milliards et demi et ils les ont apportées concomitamment à BNP Paribas sur la base d’une valeur de 11 milliards. Elle a réalisé instantanément une plus-value de 1,5 milliard ! Le second aspect intervient lorsqu’ Yves Leterme négocie avec le premier ministre néerlandais la vente des actifs néerlandais de Fortis. Quand on a revendu les actifs néerlandais pour 16,8 milliards aux Pays-Bas – le document a été fait sur un coin de table-, les Pays-Bas ont payé pour deux choses : pour les actifs bancaires, mais aussi les actifs d’assurance même s’il n’y avait aucune raison de les céder parce que Fortis Insurance Nederland n’avait aucun souci. Mais on a décidé d’un prix global. Ils n’ont pas réparti ce qui était payé pour la banque et ce qui était payé pour l’assurance. Cela avait son importance parce que le cash payé pour les actifs bancaires, filiale de Fortis Bank en Belgique, allait partir vers BNP. Et ce qui était payé pour Fortis Insurance Nederland, propriété de Fortis, allait rester dans Fortis. Or, ils ont surpondéré les actifs bancaires et sous-pondéré l’assurance. Et cela les experts le reconnaissent. »
Et puis, les actionnaires reprochent aussi l’abus de faiblesse et d’ignorance. Au moment des négociations, les 4,5 et 6 octobre 2008, le groupe était en situation de faiblesse. On avait écarté le management, et les négociateurs qui étaient face aux dizaines d’experts de BNP Paribas étaient dans une situation d’ignorance. « Pour arriver à vendre à BNP au prix extrêmement faible de 9 milliards pour le tout, soit à peu près la moitié de la valeur des fonds propres, ils ont appliqué ce que j’appelle une double peine : Ils ont passé des réductions de valeur sur tous les actifs. Puis ils ont appliqué à ce qui restait un ratio de crise. Mais on fait l’un ou l’autre, pas les deux ! » Les actionnaires estiment donc que ces actifs ont été vendus à une valeur sensiblement inférieure de leur valeur réelle et qu’il y a abus de faiblesse ou d’ignorance, ce qui doit déboucher sur la nullité de la transaction.
Voilà les grandes lignes de ce dossier historique dont le tribunal, qui sera présidé par Anne De Vriendt, aura à traiter. On attend un jugement à la fin de cette année ou au début de l’an prochain…
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