Le private banking au banc d’essai
Pour voir comment fonctionnent les différentes banques privées de notre pays, Trends-Tendances leur a présenté deux clients fictifs, en leur demandant comment ils allaient gérer et planifier les avoirs de ces deux profils. Si les ingrédients sont les mêmes, chacun fait un peu à sa sauce.
Notre pays compte de nombreuses banques privées, qu’il s’agisse de petits acteurs spécialisés ou de départements au sein de grandes banques. Elles conseillent et aident les Belges les plus fortunés à gérer et à planifier leur patrimoine. Pour savoir ce qu’elles proposent et en quoi elles se distinguent les unes des autres, Trends-Tendances leur a soumis deux profils de clients fictifs et leur a demandé leur avis.
Le client numéro 1 est une femme d’affaires d’une quarantaine d’années qui vient d’encaisser 10 millions grâce à la vente de son entreprise. Peut-être voudra-t-elle créer plus tard une nouvelle entreprise, mais en attendant elle souhaite que la moitié de cette somme soit gérée et fructifiée à très long terme.
Le client numéro 2 est un couple de professionnels libéraux à la veille de leur retraite qui dispose d’un capital pension de quelque 2 millions d’euros. Leur pension légale ne s’élèvera qu’à 2.500 euros par mois, ils souhaitent donc utiliser une partie de ce capital, 1,5 million, pour porter le montant mensuel à 6.000 euros, sans consommer ce capital. Ils veulent investir les 500.000 restants à très long terme et les laisser croître.
Des nombreuses réponses circonstanciées que nous avons pu recevoir des banquiers privés sollicités ( ABN AMRO, Belfius, Degroof-Petercan, Delen, Dierickx-Leys, Edmond de Rotschild, BNP Paribas Fortis, KBC, Nagelmackers, Mercier-Van Lanschot et Puilaetco), il ressort un certain nombre de grandes lignes qui sont en grande partie les mêmes. L’uniformité n’est pas étrangère au secteur.
Néanmoins, chaque acteur tente de se différencier d’une manière ou d’une autre, mais davantage par des nuances ou des choix idiosyncrasiques que dans les grandes lignes. Chacun fait à sa sauce, mais les principaux ingrédients restent les mêmes partout. Aperçu…
Connaissance intense
Toutes les banques privées, sans exception, soulignent qu’elles doivent d’abord apprendre à bien, voire très bien, connaître leurs clients potentiels afin de pouvoir les conseiller correctement. Les réunions de présentation et le processus de démarrage sont intensifs. Ils creusent en profondeur et veulent tout savoir. Pour le client 2, l’une des banques a ainsi voulu savoir s’il souhaitait ou non traiter ses enfants sur un pied d’égalité dans le cadre d’une planification de l’héritage. De même, pour le client 1, une autre banque a voulu tout savoir sur les éventuels contrats de mariage, les testaments déjà rédigés, la durée de l’hypothèque, etc.
Les conversations avec les banquiers privés portent donc sur des questions dont les gens ne parlent pas, même avec leurs confidents les plus intimes. Parler et écouter est la base de toute bonne relation avec un banquier privé, semble-t-il. Ils prennent beaucoup de temps pour cela, surtout dans la phase de démarrage, bien qu’ils soient un peu plus attentifs aux clients les plus fortunés, en l’occurrence le client 1. Il n’est toutefois pas illogique que l’on accorde un peu plus d’attention à un client disposant de 10 millions d’euros qu’à celui avec “seulement” 2 millions.
Toutes les banques privées soulignent qu’elles doivent d’abord apprendre à bien, voire très bien, connaître leurs clients potentiels.
Investissement et gestion d’actifs
L’un des premiers piliers de la banque privée est la gestion de patrimoine. Les deux profils de clients fictifs ont certaines attentes et certains désirs, l’un souhaitant qu’il s’étoffe, l’autre qu’il apporte des revenus supplémentaires. Les propositions des banques privées pour les deux profils sont en grande partie les mêmes, mais avec quelques nuances.
La cliente 1, la jeune entrepreneure, s’est vue proposer plus d’options. On lui a souvent proposé une solution de private equity et de private debt, alors que ce fut rarement le cas avec le client 2.
Certaines banques privées expliquent en détail comment elles construisent les portefeuilles d’investissement. Par exemple, l’une d’entre elles propose à ses clients de placer 25 % de leur portefeuille dans des fonds de capital-investissement, 25 % dans des produits à revenu fixe afin d’en retirer 5.000 euros par mois pour les dépenses quotidiennes, 10 % dans de l’or pour se prémunir contre l’inflation et les tensions géopolitiques, et le reste dans des actions, réparties entre différents secteurs et différentes régions. Une autre banque se distingue par sa proposition de protéger l’ensemble de son portefeuille par des produits dérivés contre d’éventuelles baisses de valeur.
Pour le client 2, qui souhaite 3.500 euros de pension supplémentaires par mois, les propositions variaient d’une totalité à intérêt fixe à deux tiers en actions. Il n’y en avait qu’un qui calculait le rendement brut qu’il devrait obtenir pour cela. “3.500 par mois, cela signifie 42.000 euros par an, donc sur 1,5 million cela fait 2,8%. Converti en rendement brut, cela fait 4%, ce qui n’est pas évident étant donné les taux d’intérêt actuels des obligations européennes”, dit-on.
Gestion et planification
Mais l’époque où les gestionnaires d’actifs ne pouvaient se distinguer les uns des autres que par les rendements de leurs portefeuilles est révolue. De nombreuses études montrent que les portefeuilles d’investissement gérés activement n’obtiennent pas, en moyenne, des rendements à long terme supérieurs à la moyenne du marché. Même s’ils affirment tous que c’est le cas, tout comme 90 % des automobilistes se considèrent comme faisant partie des 10 % des meilleurs conducteurs.
C’est pourquoi, outre la gestion de patrimoine, toutes les banques privées mettent l’accent sur la planification patrimoniale. On l’appelle partout ailleurs, “analyse et planification du patrimoine”, “planification successorale” ou simplement “planification de l’héritage”, mais elle se résume invariablement au fait qu’en plus de gérer un patrimoine, on cherche aussi à le structurer de manière optimale afin, par exemple, de réduire au maximum les frais de succession pour les enfants.
Et cela peut aller très loin. Par exemple, l’une des banques privées propose à une cliente de placer ses actifs dans une société et de donner les actions de cette société à son conjoint. Bien que cette opération soit soumise à des droits de donation de 3 %, elle permettrait au conjoint d’économiser beaucoup de droits de succession en cas de décès soudain. De plus, elle ne risque pas de voir son conjoint s’en tirer à si bon compte, car “les donations entre époux ont pour seul ‘avantage’ d’être toujours révocables unilatéralement”.
Au deuxième client, un autre acteur a recommandé de faire don de leur résidence secondaire à l’étranger aux enfants, car “l’héritage d’un bien étranger est beaucoup moins avantageux”.
Planification de scénarios et réflexion sur l’avenir
En résumé, les banques privées font deux choses : gérer et planifier. Mais leurs clients ont souvent des souhaits et des besoins très différents dans ces deux domaines, qui évoluent d’ailleurs tout au long de leur vie. Cela signifie que les banques privées doivent résoudre des énigmes très complexes pour les satisfaire.
Par exemple, l’un des acteurs a suggéré à la cliente 1, âgée de 40 ans, de réfléchir d’ores et déjà à la manière dont elle peut régler ses droits de succession sans renoncer au contrôle de sa future entreprise potentielle. Une autre banque lui a conseillé également d’établir une procuration de soins au cas où elle deviendrait invalide.
Au client 2, ce couple de professionnels libéraux presque à la retraite, une autre banque a proposé qu’ils donnent déjà une partie de leur patrimoine avec le droit d’en prélever quelques pour cent chaque année pour subvenir à leurs besoins. Ils pourraient également assortir cette donation d’une “charge” qui permettrait aux bénéficiaires de la donation de couvrir les frais médicaux des donateurs s’ils ne disposaient pas plus tard de ressources propres suffisantes.
La législation belge sur les successions et les donations est si complexe que le puzzle que les banquiers privés peuvent assembler pour leurs clients peut aller du très simple au très sophistiqué.
L’époque où les gestionnaires d’actifs ne pouvaient se différencier les uns des autres que par les rendements de leurs portefeuilles est révolue.
Multidisciplinarité et mise en réseau
Outre le binôme de gestionnaires et de planificateurs, toute une série d’autres experts peuvent être nécessaires pour reconstituer le puzzle. Par exemple, certaines banques privées mettent sur la table des options comme l’immobilier (étranger) et le capital-investissement, en particulier pour le client 1. Cela implique une toute autre palette d’expertises pour faire en sorte que cela corresponde au tableau.
En ce qui concerne spécifiquement le client 1, qui pourrait lancer une nouvelle entreprise, un certain nombre de banques mettent en avant leurs services de banque d’investissement pour l’aider dans cette tâche. Une autre propose son expertise en matière de financement de jets privés et de yachts de luxe. Les grandes banques, quant à elles, mettent en avant leur branche assurance comme un atout supplémentaire.
Pour le client 2, plusieurs banques privées disposent d’un département ciblant spécifiquement les professionnels libéraux.
Attention aux coûts
Tous ces services ont un prix, même si aucune des parties n’a dit exactement combien. Mais les frais devraient constituer un élément très important des discussions avec vos banquiers privés.
Personnalisé ou pas
Les banques privées proposent deux types de gestion de patrimoine : la gestion discrétionnaire et la gestion conseillée. Dans la gestion discrétionnaire, la banque privée gère les actifs. En fonction des besoins et du profil de risque du client, elle adopte une certaine stratégie de gestion, comme le font tous les clients ayant un profil similaire. La gestion discrétionnaire n’est pas sur mesure.
Avec la gestion conseillée, vous avez davantage de contrôle. La banque privée vous conseille sur la manière de constituer et de gérer votre portefeuille d’investissement, mais c’est vous qui décidez en dernier ressort de ce qu’il convient d’y inclure ou non.
Du point de vue de la banque, la gestion discrétionnaire est la plus rentable. C’est pourquoi la plupart d’entre elles la proposent, mais il y en a encore quelques-unes qui s’en tiennent à la gestion conseillée ou à une combinaison des deux. Plus les actifs sont importants, comme c’est le cas pour le client 1, plus les options sont nombreuses.
Les deux formules de conseil ont leurs avantages. Les personnes qui souhaitent être totalement déchargées profiteront davantage de la gestion discrétionnaire. Les personnes qui aiment être aux commandes de leur portefeuille d’investissement bénéficient de la gestion conseillée.
Ils sont facturés de différentes manières. Certains facturent un pourcentage fixe des actifs sous gestion, d’autres des honoraires forfaitaires, d’autres encore une combinaison des deux. En outre, vous devez également tenir compte des coûts des produits, par exemple des fonds communs de placement, qui viennent parfois s’ajouter à la commission convenue. Faites attention à cela. Demandez attentivement à la banque privée si elle est transparente quant aux coûts de ses différents services et produits.
Marketing et avantages
Parce qu’elles ne peuvent plus se différencier sur la performance des investissements, elles cherchent d’autres moyens de le faire. En tant que client (potentiel) d’une banque privée, vous n’échapperez donc pas au matraquage marketing nécessaire.
Chaque banque le fait à sa manière. L’une parle d’une approche à 360°, l’autre d’une vue à 720°. L’une met en valeur les familles fondatrices pleinement investies dans leurs propres produits, tandis que l’autre organise d’innombrables événements de networking autour du golf ou de l’art. Pour la cliente 1, par exemple, l’une des banques lui a permis de constituer sa propre collection d’œuvres d’art sous surveillance. Une autre lui a donné l’accès à des salons dans les aéroports du monde entier et à un service de conciergerie 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7. Il s’agit là d’avantages appréciables, mais qui ne doivent pas être le facteur déterminant de votre choix final.
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