Achetez plutôt des actions Hermès que des sacs à main: les points forts et les faiblesses du secteur du luxe

Le fameux Birkin d'Hermès, en croco inscrusté de diamants © Reuters
Ilse De Witte Journaliste chez Trends Magazine

Si les sacs à main griffés Hermès ou Louis Vuitton se sont révélés être de bons investissements par le passé, aujourd’hui, il en va de même pour les actions des grandes marques de luxe européennes. Quelle est la clé de leur succès ? Et peuvent-elles continuer sur leur lancée ?

“Si vous achetez un sac à main chez Hermès, vous pourrez encore le porter dans dix ans sans qu’il soit démodé. Si vous achetez un iPhone de plus de 1.000 euros, je n’en suis pas si sûr qu’il en sera de même”, déclare Kristof De Graeve, analyste principal des actions et des fonds chez Truncus. Le luxe n’est pas seulement cher, il est surtout intemporel. Selon lui, seul un nombre très limité d’entreprises cotées en bourse peuvent être qualifiées d’actions de luxe. Et ces titres ont enregistré des performances nettement supérieures à la moyenne au cours des trois dernières décennies. 

L’action Hermès a progressé de 20 % par an en moyenne au cours des 30 dernières années. LVMH a progressé en moyenne de 13,5 % par an depuis 1994. Les actionnaires de Richemont ont empoché un rendement annuel moyen de plus de 10 %, dividendes compris. Kering, connu pour Gucci, a gagné en moyenne 9,5 % par an. À titre de comparaison, si l’on ajoute les dividendes, les investisseurs ont gagné en moyenne 5,6 % avec les actions européennes et un peu plus de 8 % avec les actions américaines. 

Yelena Sokolova, de Morningstar, a une autre opinion que celle de Kristof De Graeve. Elle pense que les actions Hermès et LVMH sont un peu trop chères et voit le plus grand potentiel de hausse dans l’horloger suisse Swatch et la holding américaine Tapestry et, dans une moindre mesure, dans Richemont, le fabricant danois de bijoux Pandora et Kering. 

Pour Flavio Cereda, qui suit le secteur du luxe depuis un quart de siècle et gère le GAM Luxury Brands Fund depuis quelques semaines, il existe deux définitions du luxe. “Il y a le luxe dans sa forme la plus pure, dans laquelle il y a deux catégories : le luxe dur et le luxe doux. La joaillerie et l’horlogerie sont du luxe dur, la maroquinerie et l’habillement du luxe doux. Mais j’utilise une définition plus large, qui part du consommateur. Les personnes qui achètent un sac à main Hermès ont également un certain style de vie. Par exemple, ils séjournent dans un certain type d’hôtels pendant leurs vacances et boivent certains vins et spiritueux.” 

Par exemple, les chaînes hôtelières Marriott International (qui pèse 5,9 % dans le fonds) et Hilton Worldwide Holdings (5,33 %), ainsi que le producteur de liqueurs Davide Campari-Milano (5,13 %), font partie du portefeuille du GAM Luxury Brands Fund.  

Pour Kristof De Graeve, les hôtels ne sont pas des produits de luxe, car leur activité est complètement différente. “On peut encore discuter des voitures de sport”, estime M. De Graeve. “Ferrari, c’est du luxe à l’état pur. Même si vous pouvez vous offrir une Ferrari, vous n’êtes pas sûr que le constructeur vous vendra une voiture”, souligne Flavio Cereda. Quelle que soit votre définition, plusieurs facteurs expliquent le succès du luxe en bourse. Mais il y a aussi des pièges. 

POINT FORT 1 : Image forte et tradition 

Ralph Lauren a été fondé en 1967 par le créateur de mode américain du même nom. La société française Louis Vuitton, à l’origine de LVMH, a été créée plus d’un siècle auparavant. Depuis l’introduction en bourse de Ralph Lauren en 1997, les actionnaires ont obtenu un rendement annuel moyen de 6 %, dividendes compris. “Mais Ralph Lauren n’est pas du tout au niveau des marques européennes”, précise M. De Graeve. “Le luxe est presque exclusivement européen. En règle générale, les marques de luxe sont porteuses d’un héritage et d’une réputation. Le seuil d’entrée pour les nouveaux acteurs est donc élevé. 

Toutes les marques du holding de luxe LVMH n’ont pas cette longue tradition. La stratégie du PDG Bernard Arnault consiste à racheter des marques et à les élever au rang de marques de luxe sous l’aile de LVMH. Par exemple, LVMH a acquis la marque de joaillerie américaine Tiffany’s il y a quelques années. “Tiffany’s n’était pas une marque de luxe à proprement parler, car elle proposait des bijoux dans différentes gammes de prix”, estime M. Cereda. “Depuis son rachat par LVMH, Tiffany’s s’adresse davantage aux personnes qui dépensent beaucoup d’argent. La construction d’une marque prend des années. Regardez Dior, qui fait également partie du portefeuille de LVMH. C’est une marque très différente de ce qu’elle était il y a 30 ans. Arnault a fait un grand ménage. Avec le bon prix et les bons canaux de distribution, une telle marque peut devenir une marque de luxe. 

POINT FORT 2 : Prix déjà élevés et les augmenter encore 

“Pourquoi des marques comme Michael Kors et Coach de la société américaine Capri Holding ne sont-elles pas des marques de luxe ? Parce qu’elles sont abordables. On pourrait les qualifier de luxe abordable”, explique M. Cereda. “Versace, qui fait également partie de l’écurie Capri, n’est pas une marque américaine, mais italienne. Le fait que Capri ait dû se tourner vers l’Europe pour ses acquisitions en dit long”. L’été dernier, Tapestry a annoncé l’acquisition de Capri pour marcher dans les pas de LVMH. 

Selon M. Cereda, certaines marques de luxe européennes ont augmenté leurs prix de 60 à 70 % ces dernières années. Et ce, alors que la plupart des autres entreprises européennes ont eu du mal à répercuter la hausse des coûts sur leurs clients. Les marges sur les produits de luxe peuvent fluctuer, mais elles restent élevées. 

“Grâce à l’image forte de la marque, ils peuvent toujours continuer à augmenter leurs prix”, explique M. De Graeve. “Ils ne seront jamais tentés de les baisser, car le prix fait partie du statut qu’un tel sac à main ou une telle montre confère à celui qui le porte. Paradoxalement, ils veulent aussi avoir le plus de clients possible. C’est donc une danse sur la corde raide. Cela pourrait devenir un peu plus difficile à l’avenir de continuellement augmenter ces marges bénéficiaires, mais c’est une tradition que le luxe devienne de plus en plus cher”. 

Mme Sokolova note également que certaines entreprises ont déjà eu plus de facilité que d’autres à augmenter leurs marges. “Les maisons de mode Prada, Hermès et Swatch ont été en mesure d’augmenter leurs bénéfices d’exploitation. Richemont a profité de la consolidation du détaillant de mode italien YNAP. Mais les marges de Kering et de Ferragamo ont été mises sous pression”. 

POINT FORT 3 : Créer la rareté 

Tout le monde n’est pas censé avoir accès au luxe. D’où son prix élevé et l’aura d’exclusivité qu’il confère par le biais d’astuces ou de campagnes marketing. “Pendant un certain temps, il y avait une liste d’attente pour le sac Kelly d’Hermès. Je ne crois pas qu’il y ait vraiment eu trop peu de produits pour répondre à la demande”, explique M. De Graeve. Quoi qu’il en soit, la perception de la rareté existe. 

Les opportunités d’investissement sont également rares. “Les nouveaux acteurs ne parviennent que très rarement à se forger une réputation de ‘marque de luxe’”, explique M. De Graeve. Et lorsque l’économie ralentit, les personnes fortunées continuent de se tourner vers les “vraies” marques de luxe. Si vous dépensez 1.000 euros ou plus pour un sac à main, vous voulez pouvoir l’utiliser pendant plusieurs années. Les collections des vraies marques de luxe se composent en grande partie d’articles classiques qui sont intemporels”. Il note que ces classiques constituent l’essentiel des ventes chez Hermès, mais moins chez Gucci, par exemple. 

Les grands holdings européens du secteur du luxe se sont forgés de solides bilans au fil des ans. De Graeve : “Ils ont la puissance financière nécessaire pour racheter des marques plus petites ou prometteuses.” La barrière à l’entrée et la tendance à la consolidation signifient que les actions dans lesquelles les investisseurs peuvent investir sont limitées. 

FAIBLESSE 1 : Dépendance à l’égard d’une seule marque 

Une image de marque forte est en même temps une faiblesse. “LVMH possède un fantastique portefeuille de marques, mais Louis Vuitton est la star qui fait le beau temps. Si les choses tournent mal pour Louis Vuitton, elles risquent de tourner mal pour LVMH également. Chez Richemont, Cartier est la marque vedette. Chez Hermès, il n’y a qu’une seule marque : Hermès”. De Graeve note que les choses ralentissent chez Kering parce que Gucci se porte un peu moins bien. Gucci est donc plus sensible aux effets d’annonce que les autres marques de luxe. Néanmoins Cereda ne pense pas que Gucci soit complètement tombé de son piédestal. “Gucci a sorti une collection gender-fluid en 2016 sous la direction d’Alessandro Michele, qui a été très populaire. Seulement, la marque doit maintenant proposer quelque chose de nouveau, qui, espérons-le, sera tout aussi populaire.” 

Il faut des campagnes coûteuses pour maintenir l’image forte d’une marque, et cette campagne peut mal tourner. Par exemple, une campagne de Balenciaga, une marque plus petite de Kering, mettant en scène des enfants et des ours en peluche avec du matériel de bondage a suscité la controverse l’année dernière. Si une telle chose arrive à Gucci, ce serait désastreux pour Kering. M. De Graeve ne s’inquiète guère d’un tel cauchemar, car les grandes marques de luxe sont traitées avec soin en général, mais un grain de sable peut toujours venir gripper une mécanique bien huilée… Il a vu cela se produire dans le passé avec Pierre Cardin. “C’était une marque forte, mais l’entreprise a ensuite commencé à se développer trop vers les chaussettes et les vêtements pour enfants, et maintenant vous pouvez même trouver ces chaussettes Pierre Cardin dans les supermarchés. 

FAIBLESSE 2 : La prospérité stimule les ventes 

Au cours des dernières décennies, les consommateurs chinois, et par extension les consommateurs asiatiques ont de plus en plus d’argent à dépenser. “L’histoire montre qu’il existe un penchant pour le luxe lorsque les gens atteignent un certain niveau de richesse. Avec un sac à main Louis Vuitton ou une montre Cartier, vous montrez que vous avez réussi dans la vie”, explique M. De Graeve. 

“Bain & Company prévoit une croissance annuelle de 5 à 7 % jusqu’en 2030”, sait M. De Graeve. Cereda : “Le secteur, dans sa forme la plus pure, a connu une croissance moyenne de 6,5 % par an depuis 1995. Au cours des trois dernières années, cette croissance a été exceptionnellement élevée : 19,5 % par an. C’était un phénomène inhabituel, lié au redémarrage de l’économie après les confinements durant la pandémie. On assiste aujourd’hui à un retour à la normale. C’est ce qui explique la correction de certains titres que nous avons observée récemment”. 

“Le luxe n’est pas à l’abri d’une contraction de l’économie, mais le secteur a déjà fait preuve de résilience par le passé, estime M. Cereda. “Après les crises financière et économique, les ventes se sont redressées rapidement et de manière spectaculaire. Mme Sokolova souligne des performances divergentes. “Le luxe a été durement touché par les fermetures de magasins et les restrictions de voyage en 2020, mais a retrouvé des niveaux supérieurs à ceux d’avant la pandémie en 2021 et 2022. Les marques plus établies comme Hermès, la mode et la maroquinerie de LVMH et la joaillerie de Richemont ont gagné des parts de marché. En revanche, les ventes de montres de Richemont et de Swatch se sont redressées plus lentement”. Mme Sokolova pense que les consommateurs chinois prendront le relais si les consommateurs européens et américains baissent les bras en raison de la conjoncture économique difficile. 

FAIBLESSE 3 : Consommateurs et investisseurs avec une conscience 

Selon De Graeve et Cereda, les investisseurs ne posent pas encore de problème. Quant aux consommateurs aisés, ils ne laissent pas non plus des préoccupations morales les éloigner du luxe pour le moment. Mme Sokolova note toutefois que la gestion des stocks est une préoccupation pour les marques de luxe. “Un rabais excessif peut détruire une marque, mais la destruction des invendus est de plus en plus regardée avec méfiance. Elle est interdite en France depuis 2020 et les États membres de l’Union européenne ont également imposé une interdiction. Burberry a déjà promis de ne plus détruire les invendus.” Chez Kering notamment, certains stocks de Gucci pourraient subsister, craint Mme Sokolova. Chez les horlogers et les bijoutiers, elle pense que la gestion des stocks est moins problématique, car les métaux précieux et les pierres précieuses peuvent rester plus longtemps dans leur stock. 

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