5 minutes pour comprendre: Emmanuel Kant au secours du marché européen
Voici quelques semaines, la présidente de la Banque centrale européenne , Christine Lagarde, évoquait la nécessité d’une “révolution kantienne” pour l’Union des marchés de capitaux. Euh, mais encore ?
« En 1844, le poète américain Ralph Waldo Emerson comparait le chemin de fer à une baguette magique ayant le pouvoir de réveiller les énergies dormantes de la terre et de l’eau, rappelait la présidente de la Banque centrale européenne Christine Lagarde, dans un discours prononcé à Francfort en novembre dernier. « Sa vision était que les voies ferrées pourraient accroître sensiblement le potentiel économique des États-Unis. L’histoire lui a donné raison à de nombreux titres, poursuivait-elle. Les voies de chemin de fer ont permis de relier non seulement les coins les plus reculés des États-Unis, mais aussi leurs marchés de capitaux. La nécessité de financer ce projet d’une ampleur inédite a radicalement transformé le système financier américain, bouleversant à jamais sa destinée.
Aujourd’hui, l’Europe se trouve face à un tournant similaire ». Et Christine Lagarde d’appeler à une « révolution kantienne » pour l’union des marchés des capitaux en Europe.
Kantien ?
En quoi cela est-ce kantien ? Parce que l’on retourne les termes du problème. La révolution initiée par le philosophe Emmanuel Kant consiste à dire que ce n’est pas le monde qui détermine notre perception, mais plutôt notre perception qui détermine notre expérience du monde. Pour le dire plus simplement, notre esprit est bâti de telle sorte qu’il nous impose de comprendre le monde d’une certaine manière, un peu comme si nous étions toujours obligés de porter des lunettes bleues, nous verrions donc le monde en bleu.
Si l’on applique ce renversement à l’union des marchés des capitaux, on dira que ce n’est pas l’abondance des capitaux qui pousse à transformer du monde, mais que c’est la nécessaire transformation du monde qui impose que l’on transforme notre marché des capitaux. Un peu comme la nécessité pour les États-Unis de construire un réseau ferré a profondément changé le système financier américain, nous devons, pour financer les défis qui sont devant nous, transformer le nôtre.
Simplifier les règles
Mais en pratique, que faut-il changer ? Deux grands domaines. Celui de la réglementation, et celui du financement par les marchés. C’est ce qu’expliquent les fédérations bancaires allemande et française dans un courrier censé être relayé au niveau du Conseil européen.
Côté réglementaire, il faut un « cadre juridique européen uniformisé, fondé sur des règles simples et claires, là où des règles nationales différentes nuisent à l’attrait des marchés de capitaux », disent les banquiers.
Côté financement, les banquiers, paradoxalement, demandent d’être déchargés partiellement du poids des anciens crédits qu’ils ont octroyés. C’est ce qu’on appelle la titrisation. Il s’agit de rassembler des paquets de crédits, par exemple des crédits hypothécaires, pour les revendre aux investisseurs sous la forme d’une obligation.
Titriser
Alors, oui, la titrisation a mauvaise presse parce que ses excès avaient conduit à la crise de 2008. Rappelez-vous, on avait titrisé des crédits toxiques qui avaient contaminé tout le système financier. Mais le marché des capitaux américains repose toujours sur ce système, et avec un système de filtre plus rigoureux, il est en effet possible que les banques vendent une partie de leurs crédits pour alléger leur bilan et leur permettre de faire de nouveaux crédits…
« La titrisation reste un outil essentiel, mais sous-utilisé pour financer l’économie réelle et gérer les risques bancaires », observent les banquiers français et allemands, qui observent que la banque européenne d’investissement, le bras financier de l’Union européenne, pourrait jouer un rôle de garant, à l’image des grandes agences américaines (Freddie Mac ou Fannie Mae) qui garantissent les crédits immobiliers que les banques américaines veulent titriser.
Pourquoi insister sur la titrisation ? Parce qu’une des caractéristiques de l’Union européenne, c’est qu’elle est riche d’épargne. Deux pays, principalement, sont en excès : l’Allemagne et les Pays-Bas, et cet argent sert aujourd’hui à acheter par exemple des bons du Trésor américains. Mais il pourrait être mieux employé.
370 milliards de trop ?
En février dernier, le gouverneur de la Banque de France, François Villeroy de Galhau, avait souligné la nécessité de « débloquer le financement des deux transformations européennes, écologique et numérique. Elles nécessiteront respectivement jusqu’à 620 milliards d’euros et 125 milliards d’euros d’investissements supplémentaires par an dans l’UE jusqu’en 2030 ; (…) J’appelle ici haut et fort à une “Union de financement de la transition”. Nous devrions dès lors, ajoute le gouverneur de la Banque de France, mobiliser l’excédent européen d’épargne sur l’investissement domestique, qui devrait être de l’ordre de 370 milliards d’euros en 2023 ».
Cela a l’air de bouger en ce sens. La Commission européenne a mis en place un « plan d’action » pour le l’union des marchés des capitaux, et l’Eurogroupe, le club des ministres des Finances des pays de la zone euro, devrait bientôt publier un « plan de route », à destination de la prochaine commission issue des élections de juin, pour atteindre ces objectifs.
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