Willy Borsus dévoile sa vision pour mettre fin à l’étalement urbain: “En 2050, ce sera un stop net”
Le ministre wallon de l’Aménagement du territoire revoit l’agenda du “Stop au béton”. Il veut déterminer d’ici 2025 une stratégie claire et réaliste avant de passer à l’action. D’ici là, il s’appuiera sur les outils existants et de nouvelles pistes qu’il qualifie d’innovantes pour éviter la prolifération de maisons quatre façades sur le sol wallon.
Les nouvelles tendances d’aménagement du territoire ne suscitent plus vraiment de débats en Wallonie. Densifier le logement aux alentours des gares et des lieux de service de manière à diminuer l’étalement urbain et les déplacements, et répondre à la hausse démographique, est dorénavant intégré par la plupart des promoteurs et des politiques. Et par de plus en plus de Wallons. Reste à concrétiser les beaux discours sur le terrain et à accélérer la cadence. Et cela dans un contexte où les lignes de conduite évoluent au gré des ministres wallons de l’Aménagement du territoire. Rencontre avec Willy Borsus (MR), celui qui a enfilé le costume en juin dernier.
TRENDS-TENDANCES. Si votre prédécesseur a annoncé la mise en place d’un ” Stop au béton ” en deux temps, en 2025 puis en 2050, l’opérationnalisation de cette mesure a toujours laissé de nombreux observateurs perplexes. Comment comptez-vous l’exécuter ?
WILLY BORSUS. La fin de l’étalement urbain a été régulièrement évoquée par le passé. Mais une ligne claire et partagée sur le sujet n’a jamais été mise en oeuvre. L’ambition de la déclaration de politique régionale est de fixer d’ici 2025 la trajectoire de la diminution de l’artificialisation de notre territoire. Et d’avoir, d’ici 2050, un stop net.
L’agenda change donc quelque peu. Lors de la précédente législature, l’ambition était d’atteindre les 6 km2/an d’ici 2025 (1). Vous laissez donc tomber cette perspective…
Oui. Fixer un objectif de 6 km2/an sans déterminer clairement la manière dont on peut l’atteindre est un objectif théorique qui ne sera pas réalisé. Je souhaite avoir une approche ambitieuse mais surtout plus équilibrée et pragmatique. Déterminer une trajectoire de limitation de l’artificialisation d’ici 2025 permettra de se donner les moyens d’atteindre ces objectifs. Et un élément reste : en 2050, on ne bâtira plus sur aucune nouvelle terre.
Qui va déterminer cette ligne de conduite ?
Un groupe d’experts va être mis en place dans les prochaines semaines. Il regroupera des universitaires, des membres de l’administration et des acteurs de différents secteurs professionnels. Ces experts devront se mettre d’accord sur les mesures à prendre pour opérationnaliser ce ” Stop au béton “. Je suis d’avis qu’en la matière il faut persuader plutôt que contraindre. Je ne souhaite pas voir émerger une démarche abrupte qui viendrait fragiliser l’ensemble et susciter un rejet massif de la société. Ceux qui habitent dans des quatre façades à la campagne ne doivent pas être pointés du doigt. Il faut encourager les tendances mais être respectueux de la liberté des gens. La clé est de travailler sur les éléments qui donnent plus envie d’habiter en ville et dans les centres.
Pas question de dire à un propriétaire qui a payé des droits d’enregistrement ou de succession que son terrain n’est plus à bâtir.
Des outils existent déjà à travers le Code du développement territorial pour freiner l’étalement urbain. Est-ce sur eux que vous misez avant tout pour ne pas perdre trop de terrain pendant cinq ans et éviter que se poursuive la construction de quatre façades dans des lieux isolés ?
Oui. Je vois trois axes pour agir à court terme. Un, utiliser les outils disponibles dans le CoDT et notamment les zones d’enjeu communal (ZEC). Peu ont été mises en oeuvre jusqu’à présent (à Coronmeuse, Nivelles et Waterloo). Or, c’est un outil intéressant car il permet de repenser des pans entiers d’un centre-ville, en supprimant les inscriptions planologiques et en réintroduisant la mixité des fonctions. Et cela dans la cadre d’une procédure qui dure de 2 ans à 2,5 ans. Deux, prendre des décisions cohérentes. Cela passe, par exemple, par le fait de ne plus autoriser un lotissement ou un centre commercial en dehors des villes. En matière de commerces, nous sommes d’accord pour maintenir ceux qui sont situés en périphérie, mais il n’y en aura plus de nouveaux.
Même s’il y a toujours cette difficulté de déterminer la frontière entre la ville et la périphérie…
En effet. D’autant que l’on travaille sur des plans de secteur qui sont anciens, voire obsolètes. Ils ont été conçus sur des modes de pensée d’il y a 30 ou 40 ans. Et, en tant qu’outil fondateur, ils ne sont plus adaptés aux réalités actuelles.
Mais remplacer ou réviser les plans de secteur est souvent assimilé à ouvrir la boîte de Pandore. Cette mesure est-elle bien réaliste ?
Il faut en tout cas entamer une réflexion. Soit en actualisant l’un ou l’autre plan, soit en réfléchissant à l’évolution de l’outil plan de secteur. Ce qui permettrait d’engager un autre modèle d’urbanisation.
Le troisième élément de votre action ?
Sur des dossiers structurants, nous devons mettre en place une politique disruptive. Je pense aux sites à réaménager (SAR) ou aux anciens sites économiques. Nous avons répertorié 2.200 SAR qui représentent 3.795 hectares en Région wallonne. Et si je regarde la base de données de la SPAQuE ( opérateur spécialisé dans la réhabilitation de friches industrielles et de décharges, Ndlr), je grimpe à 5.654 sites et à 22.047 ha. C’est énorme.
La réhabilitation d’une friche industrielle est un vaste chantier qui s’étend pratiquement sur une décennie. Comment accélérer le tempo ?
La politique disruptive sera d’accélérer la réaffectation et de changer le modèle. Il faut davantage utiliser les partenariats public/privé et mettre en place de nouveaux modèles d’assainissement. L’objectif sera de réaffecter 100 hectares par an. Des expériences pilotes seront lancées d’ici deux mois avec des tiers investisseurs, des partenariats public-privé et d’autres modèles. Et cela en plus du travail mené par la SPAQuE et d’autres opérateurs. Mettre l’accent sur ces sites a du sens. Par exemple, assainir un site comme Chertal (Liège) coûte horriblement cher. Mais ces sites sont, pour la plupart, situés en coeur de ville, le long de voies de chemin de fer ou de voies d’eau. Il est essentiel de les réhabiliter et d’y développer des projets mixtes (bureau, résidentiel, commerce).
L’aménagement du territoire est un grand paquebot qu’il n’est pas simple de manoeuvrer.
Comment convaincre les bourgmestres et échevins de mettre en oeuvre ces mesures préalables et de changer de paradigme ?
Je constate auprès de nombreux responsables communaux une vraie envie de penser à moyen et long terme, d’être de vrais acteurs de la gestion de leur territoire. Et ce bien davantage qu’auparavant. Vous m’auriez posé la question il y a 10 ans, je n’aurais pas eu le même sentiment. Le frein reste la longueur des procédures. Notre volonté est qu’il y ait une vingtaine de ZEC qui soient lancées d’ici la fin 2020.
Le ” Stop au béton ” vise surtout l’urbanisation résidentielle. Qu’en est-il cependant des infrastructures publiques (hôpitaux, école, etc.) ?
Il faut avoir le même type de raisonnement pour tous, que ce soit des particuliers, des entreprises ou des pouvoirs publics. Je plaide donc pour la cohérence. Après, tout n’est pas noir ou blanc. L’aéroport de Charleroi ne peut être déplacé, par exemple. Il y a des projets hospitaliers qui répondent également à certains impératifs qu’il faut pouvoir concilier.
Quand on évoque la fin de l’artificialisation du sol, il y a de grandes inconnues sur la manière dont on déterminera quelle province a dépassé son plafond ou quel bassin de vie pourra encore urbaniser son territoire. Comment comptez-vous procéder pour dire à un bourgmestre qu’il ne pourra plus bâtir ?
Le but est de raisonner par bassin de vie. Mais vous mettez le doigt sur un réel problème. Si on décide de limiter l’artificialisation à 3, 6 ou 9 km2/an, comment décliner le plafond et l’imposer ? Et surtout, comment cela peut-il s’appliquer via les plans de secteur ? Proclamer ce type d’objectif est relativement facile. Mais si on veut lui donner une chance d’aboutir, il faut plutôt agir par méthode.
Dédommager financièrement un propriétaire qui ne pourrait plus bâtir sur son terrain en cas de modification de l’affectation du sol a souvent été évoqué par le passé. Or, tout le monde sait que cette mesure est infinançable vu l’état des finances wallonnes. Quel mécanisme d’indemnisation imaginez-vous mettre en place dans ces situations ?
Je veux avant tout agir de manière volontaire. Pas question de dire à un propriétaire qui a payé des droits d’enregistrement ou de succession que son terrain n’est plus à bâtir. Cette attitude sera destructrice pour ceux qui ont investi dans un terrain pour assurer leur avenir. L’idée est plutôt d’imaginer un levier d’action immobilier. La Région pourrait se doter d’un bras armé d’acquisition immobilière et d’échange immobilier. Tout cela de manière volontaire, j’insiste. Cela permettrait de soutenir les centralités. Je voudrais qu’il soit très actif.
Comment ce fond serait-il alimenté ?
Par la Région. Petit à petit, elle se doterait de terrains sur base volontaire. Elle pourra alors effectuer des compensations planologiques. Est-ce que ce sera simple ? Non, pas du tout. D’où l’objectif de ne pas venir avec de gros sabots et d’être très analytique.
Vos prédécesseurs, tant Philippe Henry que Carlo Di Antonio, ont lancé de nombreux projets ou tentatives de refonte du territoire. Avec des succès divers. Que pensez-vous de l’évolution qu’a connue le territoire wallon ces dernières années ?
Je me garderai bien de juger le travail de mes prédécesseurs. L’aménagement du territoire est un grand paquebot qu’il n’est pas simple de manoeuvrer. Ce dont nous avons surtout besoin, c’est d’une vision à moyen et à long terme. Cette vision doit aussi être pérenne. Et dans le même temps, il faut agir immédiatement. Des réflexions intéressantes ont été menées par le passé, comme le Schéma de développement territorial, qui a été un gigantesque travail. Tout n’est donc pas à jeter !
Vous avez rencontré l’Upsi il y a quelques semaines. Les conditions sont-elles, selon vous, suffisamment réunies pour que les promoteurs immobiliers puissent densifier les centres-villes ?
Ils me demandent surtout une prévisibilité de la règle et de la norme, de la concertation, du réalisme et de la cohérence. Ils ont aussi abordé la question de la charge d’urbanisme, qui ne doit pas être une nouvelle forme de taxation immobilière, comme c’est parfois le cas.
En matière de charges d’urbanisme, cela part en effet un peu dans tous les sens. Etes-vous favorable à la mise en place d’un cadre régional en la matière ?
C’est mon intention. Le CoDT définit déjà un cadre pour les charges d’urbanisme et il y a de la jurisprudence. Mais il faut reconnaître qu’il y a de l’élasticité dans les demandes des communes. Je souhaite davantage les cadrer et les préciser. La charge doit être bien mieux mesurée.
Par ailleurs, vous avez enterré le référentiel des ” Quartiers nouveaux “. Doit-on aller vers un nouveau modèle ?
Nous en avons fait l’évaluation. A l’exception d’un dossier, rien n’était vraiment mis en oeuvre. Il faut abandonner le concept et revenir aux outils existants tels que la ZEC.
(1) Evolution de l’artificialisation du sol en Wallonie : 18 km2/an entre 1990 et 2000, 16 km2/an entre 2000 et 2010, 12,7 km2/an entre 2010 et 2015, 11,3 km2/an entre 2016 et 2019.
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