Votre seconde résidence française coûtera plus cher
Outre le revenu cadastral à déclarer en Belgique, il y aura bientôt une imposition des plus-values en France. En théorie, ce sera pour 2023 ou 2024. En pratique, le fisc français s’y est déjà attelé!
En matière d’impôt sur les revenus, la fiscalité des biens immobiliers situés à l’étranger s’est alignée sur celle de ceux localisés en Belgique: même mention d’un revenu cadastral dans la déclaration fiscale. Avec la nouvelle convention fiscale signée en fin d’année dernière entre la Belgique et la France, l’imposition s’alourdira encore car toute plus-value sera immanquablement imposée outre-Quiévrain, qu’importe que le bien soit détenu en direct ou via une société civile immobilière (SCI).
La nouvelle convention consacre en fait la position adoptée ces dernières années par les autorités françaises, que de nombreux avocats belges combattent en la jugeant abusive. “Je confirme, acquiesce Jean-Jacques Debacker, estate planner chez BNP Paribas Fortis. Il s’agit plus particulièrement de l’arrêt rendu en janvier 2020 par le Conseil d’Etat français. Il reconnaît la faculté, pour le fisc hexagonal, d’imposer la plus-value réalisée lors de la cession de parts d’une SCI française. Et ceci alors que la convention de 1964, qui est toujours en vigueur, attribue le pouvoir d’imposition à la Belgique ; c’est reconnu par les juristes, tant belges que français. Il faut toutefois souligner que la Belgique n’exerce pas ce pouvoir dans la mesure où elle n’impose pas la plus-value dégagée lors de la cession, du moins dans la gestion normale d’un patrimoine privé. Cette position du Conseil d’Etat français se trouve confirmée totalement et inconditionnellement dans le nouveau traité.”
La SCI ne présente plus vraiment d’intérêt sur le plan fiscal.
Bernard d’Ursel (Puilaetco)
En réalité, celui-ci va même plus loin puisqu’il évoque toute “société à prépondérance immobilière”, alors que le Conseil d’Etat visait la SCI translucide, aussi appelée semi-transparente. Pour rappel, une société civile immobilière est qualifiée de translucide quand son revenu est déterminé suivant les règles de l’impôt des sociétés mais que ce sont ses actionnaires, appelés associés, qui sont redevables de l’impôt. Quant à la société à prépondérance immobilière, elle se définit très simplement comme ayant plus de 50% de ses actifs en biens immobiliers. Pour autant que ces derniers soient situés en France, bien entendu, mais peu importe que la société elle-même soit française ou étrangère. “Prenons une société belge détenant un immeuble en France qui représente 60% de ses actifs, illustre Jean-Jacques Debacker. Si je vends les parts de cette société, je serai taxé en France sur 60% de la plus-value réalisée sur l’opération.”
Double imposition économique…
La conclusion est limpide: en vertu de cette nouvelle convention, la taxation de la plus-value réalisée sur la vente d’un bien immobilier non affecté à un usage professionnel est exactement la même, que ce dernier soit détenu en direct par une personne physique ou par l’intermédiaire d’une société. “La SCI ne présente plus vraiment d’intérêt sur le plan fiscal, confirme Bernard d’Ursel, senior wealth planner à la banque privée Puilaetco. Si vous louez une seconde résidence meublée pour toucher un revenu, la SCI sera taxée en France. Et si elle distribue dès lors des dividendes, ceux-ci seront taxés à 30% en Belgique.” Sur le plan économique, il y aura donc une double taxation.
Il faut préciser qu’un résident belge ne peut pas se prévaloir de la translucidité d’une SCI: considérant qu’elle a la personnalité juridique en France, la Cour de cassation belge a décrété que la SCI l’a également en Belgique. Ses revenus ne sont pas imposables dans le chef de ses associés résidents belges, mais si elle les distribue, ils sont donc considérés comme des dividendes.
A propos de l’imposition de la plus-value, un correctif s’impose. “Il existe des abattements en fonction de la durée de détention, rappelle le wealth planner de Puilaetco. Après 22 ans, la base imposable à l’impôt sur le revenu est réduite à néant. Et après 30 ans, c’est la base imposable aux prélèvements sociaux qui tombe à zéro. Autre élément à ne pas perdre de vue: l’IFI. Un résident belge est en effet soumis à l’impôt sur la fortune immobilière (IFI) en rapport avec les biens qu’il possède en France, que ce soit en direct ou via une structure. Et quelle que soit cette dernière, avec ou sans statut de société à prépondérance immobilière.”
Il faut souligner que, en SCI comme en détention directe, mettre les enfants à la cause peut permettre de passer sous le seuil d’entrée de l’IFI, y compris pour un bien valant plusieurs millions. Celui-ci est en effet de 1,3 million d’euros… par personne. Même si le ménage des parents est considéré comme une seule entité et même si le bien vaut 3,6 millions, avec deux enfants majeurs, la famille arrivera à 3,6 millions, soit en dessous du seuil fatidique de 3,9 millions. “Ceci permet d’attribuer de la pleine propriété aux enfants, dès le départ, ce qui constitue un important élément de planification successorale, relève Bernard d’Ursel. Une longue détention dans leur chef sera également favorable en ce qui concerne l’imposition de la plus-value. A l’inverse, se pose éventuellement la question de la perte de pouvoir des parents.”
Ni Ageas, ni Solvay
Le régime fiscal des sociétés à prépondérance immobilière ne concerne pas toute société détenant de l’immobilier. Une filiale d’Ageas ou de Solvay, par exemple, y échappera dans la mesure où les biens immobiliers ainsi détenus sont affectés à l’activité de l’entreprise. Ils sont dès lors expressément exclus par la convention. Par contre, alors que ce sont souvent les secondes résidences et biens occasionnellement donnés en location qui sont cités, le statut de prépondérance immobilière vaut aussi pour une société patrimoniale détenant des appartements donnés en location tout au long de l’année.
Echapper aux effets pervers!
Quelle est donc la meilleure formule de détention d’une seconde résidence en France? Cela dépend de l’optique, souligne Jean-Jacques Debacker qui trouve plusieurs avantages à la SCI: “Prenons le cas d’un bien destiné à entrer dans le patrimoine familial sur la durée. Il n’est pas donné en location et ne procure donc pas de revenu. La convention de 1964, toujours d’application pour rappel, donne le pouvoir d’imposition à la France quand il s’agit de revenus fonciers provenant d’un immeuble situé en France. Elle précise par ailleurs que la Belgique doit exonérer ces revenus, sous réserve de progressivité. En pratique pourtant, la France n’utilise pas ce pouvoir car il n’y a pas de matière imposable suivant le droit fiscal français puisque le bien n’est pas donné en location. Et la France ne taxe pas non plus sur la base d’un revenu fictif, à savoir le revenu cadastral. Tel est au contraire le cas de la Belgique. Ce revenu cadastral français est toutefois exonéré, du moins sous réserve de progressivité. L’impact fiscal est généralement minime”.
Il en ira tout autrement sous l’empire de la nouvelle convention, souligne l’estate planner de Fortis: l’exonération ne vaudra que s’il y a taxation effective en France… ce qui ne sera pas le cas. La détention directe d’un bien immobilier en France sera donc pénalisée et il pourrait dès lors s’avérer plus avantageux de le détenir via une SCI. “Le propriétaire du bien étant la SCI, qui a la personnalité juridique, l’associé de cette SCI n’a pas à en déclarer le revenu cadastral. Il échappe dès lors aux effets pervers de la nouvelle convention”.
SCI ou détention directe?
La SCI est par ailleurs plus indiquée pour la transmission du bien. Surtout si elle est lourdement endettée, car cela réduit la valeur vénale des parts et, par conséquent, les droits de donation. Lesquels sont dus en France puisqu’il s’agit d’un bien français. Une notion très large, soit dit en passant, qui englobe aussi bien une action TotalEnergies! Ces droits seront abaissés grâce à l’abattement qui prévaut en France, soit 100.000 euros en ligne directe, par donataire comme par donateur. Un couple avec trois enfants peut ainsi donner jusqu’à 600.000 euros en exonération de droits.
En ce qui concerne l’endettement de la SCI, Bernard d’Ursel souligne pour sa part que les autorités françaises ont raboté la déductibilité de l’endettement. Les emprunts bullet ont été qualifiés d’emprunts amortissables pour le calcul de la base imposable de l’IFI. Souvent appelé in fine en France, un emprunt bullet n’est remboursé qu’à la fin de la convention de crédit. Suivant cette disposition, il est donc fictivement amorti au fil du temps, ce qui réduit sa déductibilité et accroît donc la base imposable.
Quoi qu’il en soit, la situation est toute différente pour un bien susceptible d’être revendu à moyen terme, poursuit Jean-Jacques Debacker. La détention en direct est alors plus indiquée à priori. Lors de la revente, la plus-value sera taxée en France, mais le rapatriement de l’argent en Belgique ne fera pas l’objet d’une seconde taxation. Comme signalé plus haut, en cas de revente par la SCI et liquidation de cette dernière, le rapatriement du boni de liquidation sera taxé à 30%. En plus de la taxation de la plus-value en France!
Incertitude successorale
La SCI peut présenter un intérêt au niveau des droits de succession, souligne Bernard d’Ursel, matière qui fait l’objet d’une convention entre la Belgique et la France. “Un de ses articles stipule que chaque Etat peut qualifier les biens selon sa législation interne. Il n’y a pas encore eu de décision sur ce point de la part du Conseil d’Etat ou de la Cour de cassation du côté français, du moins en ce qui concerne la Belgique. Par contre, dans une affaire concernant Monaco, cette même Cour de cassation a estimé que les parts d’une SCI avaient un caractère mobilier, ce qui empêche donc le fisc français de les taxer au titre de bien immobilier.” Une position inverse à celle du Conseil d’Etat évoquée plus haut! Si c’est l’interprétation de ce dernier qui est retenue, le fisc français pourrait au contraire considérer qu’il y a des droits de succession à payer en France. “Le résident belge serait alors taxé en France au titre de bien immobilier… et ensuite en Belgique au titre de bien mobilier. Il y a heureusement imputation des droits français sur les droits belges, mais comme les droits de succession en ligne directe sont plus importants en France qu’en Belgique, la facture resterait plus élevée.” L’incertitude subsiste…
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