Thomas & Piron : “Le plus gros de la crise est derrière nous”

François Piron et Edouard Herinckx, le duo à la tête de Thomas & Piron.

Après une année 2023 plus compliquée qu’espéré, le premier groupe ­immobilier wallon sent le vent de la reprise depuis le début de l’année. 
Si le segment des ventes de maisons a été particulièrement impacté, 
les deux CEO de Thomas & Piron sont optimistes quant à un rebond global des activités.

L’enthousiasme est de retour dans les bureaux namurois de Thomas & Piron, le quartier général du promoteur-constructeur wallon. Le duo de CEO, François Piron et Edouard Herinckx, est reboosté par le début d’année prometteur auquel il assiste. De quoi effacer les stigmates d’une année 2023 plus compliquée que prévue.

TRENDS-TENDANCES. Quel regard portez-vous sur vos derniers chiffres financiers ?

FRANÇOIS PIRON. Nous sommes globalement satisfaits. Avec un chiffre d’affaires de 906 millions en 2023, notre recul n’est que de 2 % par rapport à 2022, qui était une année record (année surtout boostée par l’acquisition de Galère, ndlr). 781 maisons et 754 appartements ont été réceptionnés. L’Ebitda est par contre en recul, passant de 88 à 68 millions.

EDOUARD HERINCKX. Nous pensions réaliser un chiffre d’affaires plus important mais nous nous sommes sans doute fixé des objectifs trop ambitieux. Le résultat global reste toutefois robuste.

F.P. Depuis trois ans, nous observions les crises se succéder et se cumuler mais nous avions réussi à les traverser avec sérénité tout en poursuivant notre forte croissance. En 2023, la lame de fond de l’explosion des prix de la construction, de la crise énergétique et de la hausse brutale des taux d’intérêt a toutefois fini par toucher durement le groupe. On s’en est sorti en faisant face avec sang-froid et réactivité à cette conjoncture, tout en optant pour des choix constructifs. La transversalité du groupe a été mise en avant pour mutualiser les ressources des différents pôles et s’entraider en fonction des besoins.

Vos concurrents misent déjà sur 2025 pour assister à un rebond du marché. Comment expliquer votre reprise plus précoce ?

F.P. Notre positionnement est essentiellement résidentiel. J’ai regardé quelques chiffres qui datent du 16 juin : tant du côté de T&P Bâtiment que de T&P Home, les objectifs de vente sont remplis. Il y a eu 131 ventes pour le premier et 312 pour le second. C’est un signe qui ne trompe pas. On estime que le creux de la vague a été atteint l’an dernier au deuxième semestre. La demande est à nouveau présente, on l’observe clairement lors des journées portes ouvertes que nous organisons. La diversification tant géographique que de nos métiers s’est révélée extrêmement précieuse pour amortir les effets de la crise immobilière.

E. H. Si on jette un œil à nos activités à l’étranger, on relève que le marché résidentiel reste pratiquement à l’arrêt au Luxembourg. Mais nous sommes confiants pour l’avenir vu les besoins en matière de logement et les mesures prises par le gouvernement. En France, le marché de la maison unifamiliale est également en difficulté. Deux opérations de vente en bloc se profilent toutefois à l’horizon. La France est davantage ouverte à ce type de vente.

Au Maroc, nous finalisons la commercialisation de notre projet Résidence Louise (214 unités). Au Portugal, à Lisbonne et Porto, nous avons lancé deux opérations qui connaissent des succès commerciaux impressionnants.

Parmi toutes les entités du groupe, Thomas & Piron Home a connu une année difficile, en voyant son chiffre d’affaires passer de 245 à 165 millions. Est-ce le signe d’un déclin de l’attractivité de la maison ?

F.P. Non, je ne pense pas. La baisse du chiffre d’affaires est surtout liée à une diminution conjoncturelle des ventes. Des constructions ont été lancées mais ne sont pas encore réceptionnées ou vendues. Je ne suis pas inquiet. Quand on regarde cela de plus près, on observe que les promotions qui lient terrain et maison ont davantage souffert. Par contre, pour les constructions sur les terrains de nos clients, nous avons été particulièrement performants. Il s’agit d’une de nos meilleures années sur ce segment.

E.H. Il y aura un effet de rattrapage qui sera rapidement comblé dès que les maisons seront vendues. Le produit n’est en tout cas pas en perte de vitesse. Une vente prend juste plus de temps.

Le Schéma de développement du territoire, qui vise notamment à concentrer l’habitat dans les centres des villes et villages, peut-il avoir un impact sur l’activité de T&P Home ?

E.H. Il est en tout cas difficile à évaluer. Dans notre portefeuille, nous n’avons pas relevé de grandes problématiques de terrains qui seraient situés en dehors des périmètres de centralités. Nos achats de foncier ont de toute façon toujours été réfléchis (sourire).

Le fait de posséder d’importantes réserves foncières, avec un patrimoine estimé à 435 millions dont 138 millions en Belgique, vous permet-il de mieux anticiper l’évolution de ce segment ?

F.P. La demande pour les maisons reste bien présente. Ce sont les évolutions réglementaires qui font évoluer le positionnement des acquéreurs. Je suis convaincu que la maison a encore un rôle important à jouer. Même s’il y en a de moins en moins, les maisons 4 façades que nous vendons connaissent encore un franc succès. Les gens ne rêvent pas de vivre les uns sur les autres. Ils le feront seulement s’ils y sont contraints.

E.H. Nous entendons les politiques qui estiment qu’il faut arrêter de construire (il faudra surtout construire différemment, en évitant notamment les terrains vierges situés en dehors des centres, ndlr). Mais il y a une demande de la population et nous sommes là pour y répondre. Notre manière de construire des maisons et des lotissements a nettement évolué, en prenant bien davantage en compte le volet environnemental.

Il y a néanmoins aujourd’hui de moins en moins de gens qui peuvent acheter un logement neuf. Est-ce une crainte pour maintenir le rythme de vos activités ?

E.H. C’est un élément à suivre de près, même si l’indexation des salaires a permis d’atténuer l’impact de la hausse des prix. De notre côté, nous serions heureux d’avoir moins de charges d’urbanisme et des permis octroyés plus rapidement de manière à pouvoir proposer des prix plus attractifs. Si nous pouvions développer un projet en deux ans au lieu de 10, il est évident que cela se répercuterait sur les prix.

F.P. Les prix ont nettement évolué en 2021 et 2022. Mais ils se sont stabilisés aujourd’hui. Je pense que les clients ont aujourd’hui digéré ces hausses. Enfin, un élément positif qui n’est pas encore officialisé par les banques, c’est le retour de la quotité à 100 % pour les crédits hypothécaires. Ce sera un signal important pour accélérer la reprise du marché des primo-acquéreurs. Nous sommes convaincus qu’une partie de nos clients ont déserté le marché car ils ne pensaient plus avoir les capacités financières d’accéder au marché neuf.

A Gembloux, Thomas & Piron et Besix Red viennent de lancer la ­construction de la première phase du projet Croisée 
des Champs 
(144 unités), situé juste à côté de 
la gare.

Vous avez redéployé le volet rénovation en lançant Eklozio pour les particuliers et en créant un pôle rénovation au sein de T&P Bâtiment. Un signal que la rénovation va bientôt prendre le pas sur la construction neuve ?

F.P. Non. Les deux perdureront, j’en suis certain. Avec nos activités traditionnelles, nous possédons encore 15 à 20 belles années devant nous. Mais il faut anticiper et se préparer pour affronter le marché dans les meilleures conditions.

Comment a été reçu Eklozio, lancé début 2024 ?

F.P. Il y a eu un engouement au départ mais il faut que cela se mette encore en place. L’interrogation est notamment de savoir si les primes de la Région wallonne pourront être obtenues par les candidats à la rénovation. Il faudra également trouver le bon équilibre en matière de rénovation énergétique. Je ne crois pas du tout que l’ensemble du parc immobilier atteindra un PEB A en 2050, comme les autorités le souhaitent. Cela a d’ailleurs peu d’intérêt par rapport à l’argent à dépenser et au gain réel sur le plan énergétique.

E.H. Pour l’activité B to B, la nouvelle entité TP Rénovation Bâtiment qui concerne les grands projets de rénovation publics ou privés, il s’agit surtout d’une adaptation au marché, notamment à Bruxelles où les reconversions d’immeubles vont se multiplier. Cette structure nous permettra de nous attaquer à des projets de grande ampleur. D’autant que ces rénovations sont amenées à se multiplier.

La combinaison de coûts de construction trop élevés et de prix de vente trop faibles dans certaines communes wallonnes ont poussé l’un ou l’autre promoteur à y abandonner tout développement. Avez-vous également fait une croix sur certaines communes ?

F.H. Nous n’affirmons pas aussi clairement que nous ne serons plus présents dans certaines régions. Mais, dans certains cas, sur le plan purement économique, il deviendra en effet de plus en plus compliqué de développer des projets dans des régions plus défavorisées. Notre positionnement de développeur-constructeur nous permet de compresser certains coûts. Mais, dans des communes spécifiques, il serait opportun que les pouvoirs publics agissent sur le foncier pour ne pas priver leurs habitants de projets neufs.

E.H. Restons positifs : cette situation est bien réelle mais des alternatives existent. Cela dépend notamment de la collaboration que l’on peut avoir avec les pouvoirs publics. A Sambreville, le bourgmestre nous a permis de réaliser des appartements d’une taille plus réduite, très bien pensés. Et l’équation financière a pu se concrétiser. Dans les endroits plus compliqués, s’il n’y a pas de charges d’urbanisme, pas d’emplacements de parking, une densification renforcée et un permis octroyé rapidement, on peut y arriver. Sans cela, on créera des zones sans logements neufs, ce qui est loin d’être l’idéal.

“Sur le plan purement économique, il deviendra de plus en plus compliqué de développer des projets dans des régions plus défavorisées.”François Piron

Vos ambitions pour 2024 ?

E.H. Le chiffre d’affaires devrait être relativement similaire à 2023. Les carnets de commandes sont bien remplis. Sur le plan stratégique, nous devons surtout consolider les différentes intégrations de sociétés effectuées ces dernières années. Aucune nouvelle acquisition ne figure au programme. Des avancées pourraient uniquement être effectuées sur le volet maintenance de bâtiments.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content