Pourquoi la fin des taux fixes n’est pas encore pour demain
Les taux fixes pour les crédits logement augmentent depuis quelques semaines déjà. Et il y a beaucoup de chance pour qu’ils continuent à le faire à l’avenir. Peter Vanden Houte, économiste en chef chez ING Belgique, nous explique pourquoi.
“Crédits hypothécaires: la fin des taux fixes ?”, titrait le journal Le Soir lundi. On n’en arrivera pas là. Les banques n’arrêteront pas les crédits à taux fixe du jour au lendemain. Mais tant l’autorité de contrôle belge que l’organe de contrôle européen essaient, depuis quelques années déjà, de diminuer l’impact d’un éventuel crash immobilier sur les banques.
En cas de chute brutale des prix de l’immobilier et de hausse du nombre de défaillances de paiement des crédits logement, les banques auraient notamment un problème. En théorie, si vous arrêtez de payer correctement le remboursement de votre emprunt, elles peuvent vendre votre maison. Si la valeur du bien en garantie diminue, il se pourrait dans ce cas que votre maison atteigne une valeur inférieure à celle du capital et des intérêts que vous devez encore rembourser à la banque.
C’est par exemple un fait que, depuis quelques années déjà, les banques belges accordent moins de crédits avec une durée supérieure à 25 ans. En 2013, 19% des nouveaux crédits logement s’étendaient sur plus de 25 ans. En 2015, ils ne représentaient plus que 5,2%. Et dans les prochaines semaines et mois, nous verrons très probablement les crédits logement devenir encore plus chers, notamment sous pression du contrôle des banques.
1. Une plus grande marge sur les crédits logement compense la réduction de marge du livret d’épargne
Les banques belges ont enregistré de beaux bénéfices en 2015. Les chiffres des bénéfices contrastent de manière saisissante avec les cris d’alarme lancés par les banques au sujet de l’intenable taux minimum légal sur les livrets d’épargne. “La rentabilité des banques se trouve toutefois bel et bien sous pression”, déclare Peter Vanden Houte, économiste en chef chez ING Belgique. “L’argent sur les livrets d’épargne belges y reste en moyenne 2 à 3 ans. Le taux d’intérêt minimum légal pour les livrets s’élève à 0,01% de taux de base et 0,1% de prime de fidélité pour les clients qui ne touchent pas à leurs économies pendant au moins un an, soit 0,11% au total. Cela peut sembler peu, mais en comparaison avec le taux d’intérêt d’Etat belge à 3 ans de -0,45%, c’est en fait beaucoup.”
Vanden Houte fait remarquer que des revenus ponctuels ont masqué l’érosion des bénéfices des banques. “En Belgique, nous avons connu le phénomène des refinancements en masse. Les clients ont négocié un taux d’intérêt inférieur sur leur crédit logement, auprès de leur propre banque ou dans une autre banque. Les clients paient une indemnité de remboursement anticipé (indemnité de remploi) du fait qu’ils interrompent leur contrat hypothécaire. Ces indemnités de remploi ont donné un boost aux résultats des banques en 2015, mais en échange, les banques feront moins de bénéfice au cours des prochaines années – ou plus de bénéfice du tout – sur ces contrats hypothécaires.”
Fin de l’année dernière, les banques avaient déjà plus ou moins annoncé qu’elles augmenteraient leurs frais, afin de compenser la perte sur les livrets d’épargne. Différentes banques ont ainsi augmenté leurs frais pour leur dossier de crédit depuis le Nouvel An. KBC a augmenté les frais de dossier en deux fois, de 350 à 500 euros. “Les banques grattent pour chaque point de base”, explique Vanden Houte.
La Banque Centrale Européenne met toujours tout en oeuvre pour continuer à faire diminuer les taux d’intérêt à court terme, en achetant des obligations d’entreprises ayant une solvabilité élevée, en payant les banques sous certaines conditions pour contracter des crédits auprès de la BCE, …
2. La banque doit mieux se protéger contre les corrections de prix de l’immobilier
Vanden Houte remarque une préoccupation auprès des organes de contrôle belge et européen concernant le possible impact d’une baisse des prix de l’immobilier sur le secteur bancaire. “Le marché immobilier belge est un des seuls marchés en Europe où il n’y a pas eu de correction après la crise financière”, souligne Vanden Houte. Il n’y a pas eu de crash immobilier en Belgique depuis la première moitié des années 80. Les prix des maisons avaient alors chuté à relativement court terme d’environ 50%.
Les autorités ont réduit, dans les trois Régions, les avantages financiers pour les crédits logement. “Les organes de contrôle se sentent probablement mal à l’aise avec le fait que les modifications aux bonus logement par les Régions n’ont encore eu aucun effet sur les prix de l’immobilier jusqu’à présent. On s’attendrait notamment à ce que la diminution du bonus logement en Flandres, et dans certains cas aussi en Wallonie, et la suppression du bonus logement à Bruxelles, mettent les prix sous pression”, explique Vanden Houte.
Selon Vanden Houte, nous parlons d’une surévaluation de 5 à maximum 10%. Il évoque la possibilité que les organes de contrôle demandent dans le futur de plus importantes réserves de capitaux de la part des banques belges. “Je ne sais pas quand elles augmenteront les exigences en capitaux pour les banques, ou de combien. Ces frais de capitaux plus élevés pour les banques ne résulteront toutefois jamais en une augmentation de taux d’un entier point pourcent pour les consommateurs, mais une augmentation de quelques dizaines de points de base parait plus réaliste dans ce cas.”
3. Une lutte concurrentielle moins forte entre les banques
Fin février, Crelan avait proposé des taux fixes sans précédent de 0,96% à 10 ans et 2,08% à 25 ans. La banque était déjà connue depuis un certain temps pour ses taux hypothécaires compétitifs. La plupart des taux hypothécaires avantageux de Crelan étaient réservés aux clients les plus solvables. L’ancien gouverneur de la Banque Nationale Luc Coene a toutefois laissé échapper qu’un tel taux était “irresponsable”.
Crelan a-t-il décidé de son propre chef que ces faibles taux d’intérêt hypothécaires étaient intenables, ou alors l’organe de contrôle belge s’en est-il mêlé ? Le fait est que Crelan compte aujourd’hui 1,14% de taux fixe à 10 ans, soit 18 points de base de plus. Pourtant, le taux d’intérêt d’Etat belge à 10 ans a diminué et est passé de 0,59% le 29 février à 0,46% aujourd’hui.
“Vous ne devez pas purement voir le taux d’intérêt hypothécaire comme un dérivé du taux d’intérêt sur les obligations d’Etat à long terme”, continue Vanden Houte. “Mais les banques ne peuvent bien sûr pas justifier des taux hypothécaires de 5% si les taux d’Etat belges concernant la même période s’élèvent seulement à 0,5%”.
Il remarque que le taux d’Etat à 3 ans a aussi continué à diminuer depuis fin février (de -0,42 à -0,45%). En d’autres mots, la différence avec le taux minimum légal sur les livrets d’épargne est devenue plus grande.
Vanden Houte ajoute à cela que la concurrence est aussi un élément important. “Comme Crelan a rehaussé ses taux d’intérêt hypothécaires, les autres acteurs ont également obtenu la latitude de remonter leurs taux.”
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