Philippe Close face au monde immobilier: “N’ayons plus peur. Osons l’originalité”
Bruxelles-Ville concentre une bonne partie des plus ambitieux projets de la capitale. Son bourgmestre entend accélérer et favoriser l’émergence de ces investissements. Un message fort lancé à quelques patrons de l’immobilier réunis par “Trends-Tendances” et le courtier JLL.
Du beau monde réuni dans la salle Maximilienne de l’hôtel de ville de Bruxelles. Trends-Tendances et le courtier immobilier JLL ont rassemblé quelques décideurs du monde immobilier et le bourgmestre de la Ville de Bruxelles Philippe Close (PS). Autour de la table, Marnix Galle (CEO d’Immobel), Jacques Lefèvre (CEO de BPI), Erik J. Moresco (fondateur du fonds de private equity Victory Advisors), Jean-Michel Jaspers (CEO de Jaspers-Eyers Architects), Peter Benuska (maître architecte de la Commission européenne) et Jean-Philip Vroninks, CEO de JLL. Quatre-vingts minutes d’échanges sur les grands enjeux bruxellois du moment.
TRENDS-TENDANCES. De plus en plus de promoteurs belges augmentent leur présence sur les marchés étrangers pour maintenir la croissance de leur chiffre d’affaires. Une situation liée, selon eux, à la longueur des procédures et au manque de vision des décideurs politiques. Bruxelles doit-elle s’en inquiéter ?
PHILIPPE CLOSE. Je ne pense pas. Le monde immobilier investit massivement dans le centre-ville. Il a dégagé près de 600 millions d’euros dans divers projets d’envergure qui verront le jour dans les prochaines années. Preuve qu’il croit dans notre projet de ville.
MARNIX GALLE. Pour notre part, nous n’envisageons pas de quitter Bruxelles. Aucun promoteur ne le souhaite d’ailleurs. Si j’estime que les longueurs en matière de délivrance de permis ne sont pas un frein, je pense par contre que le Conseil d’Etat est bien plus problématique. Toutes les décisions administratives sont sujettes à une remise en question. Mais ce n’est pas mieux ailleurs, que ce soit à Paris, Francfort ou à Varsovie. Et je ne parle même pas de l’Espagne.
Les pouvoirs publics ne sont donc pas un frein au développement immobilier de la capitale…
JEAN-PHILIP VRONINKS. Je confirme en tout cas qu’il y a un important intérêt pour Bruxelles quand nous lançons un appel d’offres. Que ce soit de la part des promoteurs ou des investisseurs. Quand il s’agit d’un produit fini, les investisseurs et les promoteurs internationaux se bousculent au portillon. Par contre, quand il s’agit d’un projet de promotion, seuls les Belges sont encore présents. Car si les promoteurs belges vont aujourd’hui régulièrement travailler à l’étranger, très peu voire aucun promoteur étranger ne fait le chemin inverse. La complexité des procédures et la multiplication des niveaux de pouvoir expliquent cette situation. Ce qui est regrettable car cela nous prive de nombreux investissements.
Si Bruxelles n’est plus le principal moteur de croissance de votre chiffre d’affaires, peut-elle le redevenir ?
JACQUES LEFÈVRE. Ces développements à l’étranger répondent avant tout à une volonté de diversification. Nous n’abandonnons bien évidemment pas Bruxelles. Il est vrai que pour y développer un projet, il est aujourd’hui nécessaire de bien connaître les spécificités locales de manière à pouvoir appréhender le marché et le tissu urbain. Mais c’est le cas dans toutes les villes. Combiner une expérience locale et une vision plus large est clairement un atout pour les prochains développements bruxellois. Cela donne une valeur ajoutée évidente.
Sur le terrain, ressentez-vous une évolution de la perception de l’attractivité de Bruxelles ?
PHILIPPE CLOSE. Bruxelles s’est positionnée depuis 2007 comme une ville internationale. Son ADN est d’être ouverte sur le monde. Elle doit toutefois encore cicatriser les grandes balafres urbanistiques qu’elle a subies lors du 20e siècle productiviste. Ma principale mission est donc d’équiper les quartiers (écoles, crèches, centres sportifs, espaces publics, espaces verts) pour la rendre attractive et donner envie aux investisseurs de s’y déplacer. Je vois toutefois que notre pari est en train de fonctionner puisque nous constatons régulièrement une croissance de la population et que, pour la première fois, elle s’accompagne d’une croissance de l’IPP, l’impôt des personnes physiques.
MARNIX GALLE. La plupart des grands groupes immobiliers belges et étrangers connaissent un mouvement clair de conscientisation sociale. Le rendement n’est pas tout. Il est vrai qu’à l’époque de la ” bruxellisation “, nous avions quelques grands acteurs qui coulaient des millions de litres de béton sans grande orientation sociale et environnementale. Aujourd’hui, des promoteurs comme BPI, Besix Red, AG Real Estate ou Immobel abordent clairement les choses d’une manière différente. C’est essentiel. Et cela permet aux communes et aux autorités publiques de travailler davantage avec le privé. Cette situation nous permet aussi de pouvoir encore monter d’importants projets à Bruxelles, ce qui est impossible à Paris ou Londres.
JACQUES LEFÈVRE. Une dynamique est clairement en cours à Bruxelles. Quand on regarde dans quel état était le centre-ville il y a 20 ans, c’est le jour et la nuit. La ville vit et respire aujourd’hui.
PHILIPPE CLOSE. On constate que ceux qui choisissent désormais le centre sont des expatriés. Ce sont nos meilleurs ambassadeurs.
MARNIX GALLE. Bruxelles avance en effet à grands pas. Un mouvement démarré il y a 10 ans et qui s’accélère ces dernières années. Personnellement, un gouvernement de gauche ne me dérange pas dans une ville. Je pense que développer une politique qui diminue la place de la voiture, qui rend la ville à ses habitants et à ses utilisateurs et qui permet à toutes les classes sociales d’y vivre et d’y travailler est une bonne option. Le seul bémol, comme c’est souvent le cas, est de savoir si la gauche aura le courage de ses convictions.
Le débat est récurrent mais ne semble pas évoluer : les procédures urbanistiques restent un frein au développement de Bruxelles…
PHILIPPE CLOSE. Sur les procédures urbanistiques, j’estime que la simplification passera par l’unification. Avec la réforme du CoBAT (Code bruxellois de l’aménagement du territoire), près de 80% des permis ne passeront plus que par l’échelon régional. L’idée est que l’on aille un peu plus vite qu’aujourd’hui. Et il ne faut pas croire que seul le secteur privé est pénalisé par ces retards.
JEAN-MICHEL JASPERS. Si vous ne pouvez pas expliquer à un board étranger le processus urbanistique local en une page A4, il va voir ailleurs. Que ce soit à Lille ou à Amsterdam. Il est donc nécessaire de simplifier les procédures et d’y ajouter des états d’avancement clairs pour sécuriser les investissements. Sans cela, Bruxelles ne progressera pas.
JACQUES LEFÈVRE. L’objectif du CoBAT est d’accélérer la cadence. Notre objectif est le même. Tant du côté privé que public. C’est toute la Région qui en tirera profit.
PHILIPPE CLOSE. Le vrai défaut des pouvoirs publics est de changer trop régulièrement d’avis. Il est nécessaire d’imprimer une vraie vision à 20 ou 30 ans et de s’y tenir. Ces atermoiements font hésiter les investisseurs. A un moment donné, il faut sécuriser les promoteurs et les architectes.
Dans quels domaines faut-il encore évoluer ?
JEAN-MICHEL JASPERS. Bruxelles dispose toujours de lois urbanistiques qui promeuvent l’horizontalité alors qu’il faudrait encourager la verticalité. Notre manière de penser doit évoluer.
PHILIPPE CLOSE. Pendant de nombreuses années, les pouvoirs publics ont supplié les promoteurs pour qu’ils construisent du logement. Mais, dans le même temps, les promoteurs nous précisaient que la copropriété verticale était impossible et était un nid à problèmes. Or, tous les projets ambitieux qui sont déposés aujourd’hui concernent la copropriété verticale. Nous ne pourrons éviter la densification urbaine. Les experts affirment que 70% de la population vivra dans les villes, soit sur 2% du territoire, d’ici 2050.
JEAN-PHILIP VRONINKS. Je suis d’accord avec la construction verticale. Cela peut d’ailleurs attirer de nombreux investisseurs institutionnels. Par contre, il faut faire attention au fait que les promoteurs ne vendent pas les appartements à l’unité. Sans quoi, dans 15 ou 20 ans, quand les premières questions liées à la rénovation apparaîtront, nous serons confrontés à des problèmes gigantesques et ingérables.
Erik Moresco, vous travaillez beaucoup à l’étranger. L’herbe est-elle vraiment plus verte ailleurs ?
ERIK MORESCO. Vu que nous travaillons à l’échelle internationale, nous avons le choix en matière d’investissement. Bruxelles a eu une attractivité suffisante pour que l’on se prive d’autres actifs situés à l’étranger. Il faut le relever. Je pense toutefois qu’il y a un problème de complexité urbanistique. Nous avons par exemple décidé d’investir dans le projet Manhattan (68.000 m2), situé sur la place De Brouckère. Un projet mixte dont la construction se termine et dans lequel nous croyons beaucoup. Mais si nous revenons aux prémices du dossier, nous aurions pu construire 30.000 m2 de plus. Or, pour respecter les contraintes et craintes locales en matière urbanistique, nous avons décidé de n’ajouter que 4.000 m2. Cela nous a permis d’aller plus vite. De même que cela nous a permis d’éviter l’échelon régional. Une bonne chose vu les échos cauchemardesques qui nous parvenaient. Bruxelles est aujourd’hui une cible intéressante pour investir. Nous cherchons d’ailleurs de nouveaux projets.
PHILIPPE CLOSE. Ce qui est compliqué aujourd’hui, ce sont les projets quelque peu originaux. Bruxelles doit accepter ce type de projet. Or, elle a peur de cela. Cela doit changer ! Mais les risques de recours ne favorisent pas la créativité. Les procédures urbanistiques et les cadres législatifs sont stricts car Bruxelles s’est surprotégée. Résultat, la jurisprudence au Conseil d’Etat est très sévère.
JACQUES LEFÈVRE. J’ai une vision plutôt optimiste de la situation. Des réformes ont été effectuées et il faut patienter quelque peu. Mais nous restons surtout sur un traumatisme historique lié aux difficultés pour faire émerger de grands projets. Or, il faut se libérer de ce carcan et retrouver la confiance. La perception des difficultés de la Région bruxelloise doit évoluer.
Peter Benuska, vous qui avez une vision européenne, quel regard portez-vous sur la complexité bruxelloise pour sortir un projet ?
PETER BENUSKA. Il est évident que les difficultés existent mais elles ne sont pas plus présentes que dans d’autres pays. Un grand concours est actuellement en cours au sujet du futur centre de conférence de la Commission européenne. Nous espérons qu’il pourra émerger dans les délais qui ont été fixés. Ce qui n’a pas toujours été le cas.
En dépit de certains effets d’annonce, Bruxelles a été quelque peu ignorée des institutions quittant Londres suite au Brexit. Que lui manque-t-il pour être dans le radar des multinationales en quête d’un nouveau siège européen ?
ERIK MORESCO. Rater le train du Brexit est un discours entendu dans de nombreuses capitales. Or, il n’en est rien. Pourquoi ? Car seules une ou deux sociétés ont quitté Londres. Nous n’avons aujourd’hui aucune information précise sur les détails du Brexit. Déménager une société est un processus cher et compliqué. Personne n’a donc loupé la vague. Par contre, il est possible d’anticiper ce processus et de se préparer à ces déménagements. Et, à ce titre, j’estime qu’Amsterdam pourrait être une des grandes gagnantes du Brexit. Le niveau d’anglais est par exemple beaucoup plus élevé qu’à Bruxelles. Sans parler du fait qu’il n’y a, aujourd’hui, chez nous, que très peu d’offres qualitatives pour de grands groupes internationaux. D’autant plus si ces bureaux doivent être disponibles tout de suite.
JEAN-PHILIP VRONINKS. Londres n’a en effet pas encore connu de grand exode. Et je ne pense d’ailleurs pas qu’il y aura de grand exode. Pourquoi ? Car la ville dispose d’une concentration de talents inégalable. Pour notre part, nous devons essayer de retravailler la ville pour en faire un environnement de travail agréable et un cadre de vie intéressant. Ce qui permettra d’attirer des talents, ce qui est la clé pour que des sociétés s’implantent dans une ville. En matière de fiscalité, nous sommes aussi chers que Paris, Amsterdam ou Francfort. Ce facteur ne joue donc pas.
Quelle est aujourd’hui la stratégie immobilière de l’Europe pour Bruxelles ?
PETER BENUSKA. L’objectif est de rester dans le quartier européen et de ne pas se disperser. Le fait que ce quartier soit situé au coeur de la ville est une vraie spécificité. C’est rare. D’habitude, les institutions sont situées en banlieue. Il faut s’en nourrir et en profiter. Cela nous pousse d’ailleurs à aménager des espaces publics de qualité. Nous avons également une responsabilité sociétale dans nos projets. Dans le cadre du projet Loi 130, nous avons la volonté de rouvrir des espaces au public, de densifier largement le quartier et d’urbaniser davantage d’une manière verticale.
L’Europe ne devrait-elle pas plutôt disperser tous ses bâtiments dans la ville pour ne pas créer un quartier ghetto ?
PETER BENUSKA. Non, je ne pense pas. Et créer un ghetto refermé sur lui-même ne fait vraiment pas partie de notre vision. L’objectif est plutôt de créer un quartier agréable à vivre, en y implantant davantage de commerces et de crèches, de même qu’en redynamisant les espaces situés aux rez-de-chaussée des immeubles. Un enjeu sera également de multiplier les liens entre la rue de la Loi et la rue Belliard.
JEAN-MICHEL JASPERS. Si l’Europe s’éparpille dans toute la Région, cela pourrait justement donner l’impression d’effectuer une OPA sur la ville. Il est donc opportun de trouver un juste milieu.
JEAN-MICHEL JASPERS. Dire que l’Europe a mis la main sur le quartier européen est faux. Il y a trois millions de m2 de bureaux dans ce quartier et l’Europe n’en n’occupe qu’un million. L’erreur date surtout des années 1960 quand les décideurs de l’époque ont promu un projet uniquement centré sur le bureau. Il faut aujourd’hui favoriser la mixité, en y associant du commerce et des logements.
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