Le sommet climatique de Belém nous rappelle une fois de plus le gigantesque bond que notre société doit accomplir pour devenir neutre en carbone. La pompe à chaleur est appelée à être l’une des vedettes de cette transition. Sur le plan technologique, elle est efficace, mais le marché ne suit pas. Pourquoi ? Patrick Crombez, directeur général de Daikin Europe, pointe un manque de cohérence politique, des incitants contradictoires et une asymétrie fiscale.
Daikin Europe, qui a réalisé l’année dernière un chiffre d’affaires d’environ 5 milliards d’euros – soit un cinquième des ventes totales du groupe Daikin – a été fondée en 1973, lorsque Daikin a ouvert sa première usine hors du Japon, à Ostende. Daikin Europe et Daikin Belgique emploient aujourd’hui plus de 2.000 personnes dans notre pays, réparties entre Ostende, Gand, Oostkamp, Wavre, Herentals et Bruxelles.
Il y a un peu moins d’un an, Daikin a inauguré à Gand un centre futuriste de recherche et développement de 30.000 m², où 350 chercheurs et ingénieurs œuvrent à l’avenir des technologies climatiques. Le bâtiment, qui comprend 12.000 m² de laboratoires et de salles de test répartis sur 14 étages, constitue un symbole d’innovation et d’ambition.
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Mais alors que la technologie se fait toujours plus avancée, le consommateur, lui, ne suit pas. Patrick Crombez, directeur général de Daikin Europe, constate une forme de paradoxe : “Nous poursuivons à Gand l’optimisation de nos pompes, mais en soi, une pompe à chaleur est déjà un système extrêmement efficace. Elle utilise l’énergie calorifique de l’air, une énergie renouvelable souvent négligée”, rappelle-t-il.
L’efficacité n’est donc pas l’obstacle principal, selon lui. Patrick Crombez pointe surtout un problème politique : “C’est surtout le prix qui empêche la majorité des particuliers de faire le pas. Ce problème n’a rien à voir avec la technologie, mais bien avec la politique de stop-and-go que la Belgique applique depuis des années. L’assouplissement de l’obligation de rénovation n’est qu’un aspect du dossier, poursuit-il. Une maison mal isolée n’est pas intéressante non plus pour ceux qui dispose d’une chaudière au gaz. Mais le principal obstacle demeure le taux de TVA : le gaz bénéficie toujours d’un avantage par rapport à l’électricité.”
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Effets pervers

À partir du 1er janvier 2026, les choses vont changer : le taux de TVA réduit de 6% pour les pompes à chaleur s’appliquera à nouveau à tous les logements, quel que soit leur âge. Cette mesure, valable jusqu’à fin 2030, vise à accélérer la transition énergétique. Néanmoins, l’écart de prix entre le gaz et l’électricité reste structurel. “Cela ne vient pas uniquement de la TVA, souligne Patrick Crombez. Les coûts de réseau ont également fortement augmenté, ce qui accentue encore la différence.” Cette asymétrie fiscale a des conséquences considérables. “La Belgique est l’un des plus mauvais élèves d’Europe, affirme-t-il. Le prix de l’électricité y est quatre à quatre fois et demie plus élevé que celui du gaz. En France et aux Pays-Bas, cette différence est bien plus faible.
De plus, la politique belge engendre des effets pervers. “Lorsque le changement de TVA pour les chaudières au gaz et au mazout a été annoncé, six mois avant son entrée en vigueur, le marché s’est complètement figé, soupire Patrick Crombez. Les installateurs et les consommateurs ont reporté leurs décisions en attendant le nouveau tarif. De telles mesures stop-and-go créent de l’incertitude et ralentissent la transition urgente dont nous avons besoin.”
“De telles mesures ‘stop-and-go’ créent de l’incertitude et ralentissent la transition urgente dont nous avons besoin.” – Patrick Crombez, Daikin Europe
Pour le directeur général de Daikin Europe, le constat est clair. Tant que le cadre fiscal continuera de favoriser les énergies fossiles, la pompe à chaleur restera un choix financièrement peu attrayant pour le consommateur moyen. Selon lui, une part importante de la solution réside dans la gestion intelligente des pompes à chaleur. “Une grande partie de l’innovation se situe non pas dans le matériel, mais dans le pilotage, pointe ainsi Patrick Crombez. Il pourrait y avoir une réglementation européenne exigeant que les pompes à chaleur soient ‘intelligentes’. Elles pourraient ainsi réagir aux heures creuses ou aux périodes de forte production d’énergie renouvelable.”
Fluides frigorigènes
Tandis qu’un pilotage intelligent rend la pompe à chaleur plus attrayante pour les consommateurs, Daikin travaille également à une innovation moins visible, mais cruciale : des fluides frigorigènes à plus faible impact climatique. “L’Europe impose des normes de plus en plus strictes pour réduire le potentiel de réchauffement global (PRG) des fluides frigorigènes, explique Patrick Crombez. Notre objectif est d’atteindre zéro d’ici 2050. Cela signifie que nous sommes en quête permanente d’alternatives ayant moins d’impact sur le climat, sans compromettre les performances.”
Cette quête est technologiquement complexe. Les fluides frigorigènes doivent être non seulement respectueux de l’environnement, mais aussi sûrs, efficaces et compatibles avec les systèmes existants.
Mais le choix de l’innovation n’est pas uniquement technique, il est aussi stratégique. “Nous ne voulons pas seulement nous conformer à la réglementation, assure Patrick Crombez. Nous voulons être un moteur de la transition vers un avenir neutre en CO2. Cela implique d’anticiper la législation, au lieu d’y réagir.”
ETS2
L’innovation ne suffit toutefois pas. Patrick Crombez se tourne résolument vers l’Europe pour sortir de l’impasse sur le marché belge. “Le Green Deal européen mentionne explicitement la décarbonation de la consommation résidentielle, rappelle-t-il. C’est crucial, car le segment résidentiel accuse un retard, alors que la technologie est prête.”
Un moment charnière sera l’introduction d’ETS2, le second système d’échange de quotas d’émission, qui inclura également la consommation résidentielle et le transport. Sa mise en œuvre vient d’être repoussée d’un an, à 2028, mais elle est absolument nécessaire, estime Patrick Crombez : “Le système ETS actuel est fondamentalement injuste. Le prix de l’électricité intègre les coûts d’émission de CO2, mais pas celui du gaz. Cela fausse le marché et décourage le passage aux pompes à chaleur.”
ETS2 vise à corriger ce déséquilibre en taxant également la consommation de gaz. Mais cela reste politiquement sensible. “Une hausse du prix du gaz touche des millions de ménages. C’est socialement explosif, surtout dans de nombreux pays d’Europe de l’Est où le gaz domine encore”, reconnaît Patrick Crombez.
C’est pourquoi le Fonds social pour le climat a été créé, un mécanisme européen destiné à protéger les groupes vulnérables contre l’impact de la transition énergétique. “Ce fonds est essentiel, affirme le directeur général. Il peut soutenir les investissements dans la rénovation et les pompes à chaleur, en particulier dans le secteur locatif social. S’il est utilisé à bon escient, il peut devenir un levier pour un changement structurel.” Sans une politique européenne cohérente combinant incitations tarifaires, protection sociale et innovation technologique, la pompe à chaleur restera, selon Patrick Crombez, une bonne idée inaccessible à la plupart des gens.
“Un grand coup d’accélérateur peut venir des sociétés de logement social, avance le dirigeant. Beaucoup de ces logements sont parmi les plus mal isolés du pays. Cela en fait à la fois le plus grand problème et la plus grande opportunité.” Il cite la France en exemple : “Une loi y a été adoptée interdisant, à partir de 2028, la location de logements ayant un PEB en dessous d’un certain seuil. Ce n’est pas comme en Belgique, où le loyer ne peut pas être augmenté après rénovation – il s’agit là d’une interdiction de louer. C’est un signal beaucoup plus fort.”
“Un grand coup d’accélérateur peut venir des sociétés de logement social. Beaucoup de ces logements sont parmi les plus mal isolés du pays : c’est à la fois un problème et une opportunité.” – Patrick Crombez, Daikin Europe
Dans la région Île-de-France, 30 à 50% des logements en location seraient en dessous de ce seuil. Une telle mesure contraint les propriétaires à agir. Et si ces rénovations s’accompagnent de l’installation de pompes à chaleur, cela peut représenter une accélération considérable. “La technologie existe, le besoin est là, et le secteur du logement social offre l’échelle nécessaire, résume Patrick Crombez. Ce qui manque, c’est un cadre clair qui impose et soutienne les investissements. Si l’Europe lie cela au Fonds social pour le climat, nous pourrons non seulement accélérer la transition énergétique, mais aussi lutter contre la précarité énergétique.”
Alors que le marché des particuliers continue d’hésiter, Patrick Crombez observe un mouvement dans l’industrie, le commerce de détail et la logistique. Les entreprises adoptent plus rapidement des systèmes durables, notamment grâce aux programmes de soutien européens comme Horizon. “L’usine sucrière de Tirlemont a récemment remplacé sa chaudière au gaz par une pompe à chaleur, illustre-t-il. Pour les applications industrielles, nous utilisons souvent la même technologie de base que pour les particuliers. Même si des températures plus élevées nécessitent parfois des solutions sur mesure. Mais la transition est en marche.”
Bruno Iserbyt
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