“Pas de ‘Stop au béton’ en Wallonie sans mesures pertinentes et adéquates”
Fini de grignoter le territoire wallon pour construire à tout va. D’ici 2025, la surface constructible sera limitée à 6 km2 par an (soit la moitié de la surface consommée actuellement). Elle sera même réduite à néant à l’horizon 2050. “Un projet purement politique pas près de se concrétiser sans mesures d’accompagnement sérieuses”, estime Pierre-Alain Franck, administrateur de l’Union professionnelle du secteur immobilier.
“Stop au béton “. Une formule choc pour résumer le schéma de développement du territoire (SDT) que le gouvernement wallon est appelé à adopter prochainement. Suivant l’exemple flamand qui a fixé son ” Betonstop ” à l’horizon 2040, la Wallonie choisit donc, elle aussi, la densification plutôt que l’étalement. Sur le papier, pour des raisons de développement durable, elle entend encourager les citoyens à s’installer dans les centres urbains et à mettre un terme à la construction de maisons individuelles dans les lotissements à la campagne ou le long des routes. ” Un objectif louable “, estime-t-on du côté de l’Union professionnelle du secteur immobilier (Upsi). Mais en restreignant l’offre des terrains constructibles, les professionnels de secteur craignent de voir les prix du foncier flamber, impactant par là-même les prix des logements qui deviendraient inabordables et donc, non commercialisables.
TRENDS-TENDANCES. Le “Stop au béton” fait beaucoup parler de lui mais finalement, cette mesure n’a rien de vraiment étonnant…
PIERRE-ALAIN FRANCK. La mesure wallonne annoncée à grand renfort médiatique n’est effectivement pas une surprise. On se doutait que la Wallonie allait suivre l’exemple flamand. Tant au nord qu’au sud de pays, l’espace construit prend de plus en plus le pas sur les espaces verts et agricoles. Tout le monde est bien conscient de certaines dérives et de certains problèmes. L’étalement urbain engendre des coûts très importants pour les autorités publiques : développement des voiries, entretien de celles-ci, extension de l’offre de transports publics, multiplication de toute une série de services à la population. Il faut être intelligent dans l’utilisation de l’espace. C’est simplement de la bonne gestion publique que de savoir gérer cet étalement urbain et d’optimaliser les espaces urbains non occupés. Ce qui doit permettre de prévoir des services pour des masses critiques et d’ainsi optimaliser l’utilisation des infrastructures et services publics.
Comment cette mesure est-elle accueillie par le secteur de l’immobilier ?
Nous comprenons l’objectif du plan. Il est très ambitieux et s’inscrit résolument dans la durabilité, ce qui est une très bonne chose. J’espère que les autorités publiques en mesurent bien l’importance, et surtout les conséquences, notamment pour elles-mêmes. Il faut voir comment elles vont se mettre d’accord entre elles et dégager une politique déterminant quelles zones sont amenées à se densifier. Il n’existe pas de plan par rapport à cela. Le risque est que ce SDT ne se réalise tout simplement pas, faute de mesures pertinentes et adéquates, ou qu’il se réalise mal, à savoir qu’il débouche sur un urbanisme pas suffisamment réfléchi sur le long terme et qui crée, au final, des zones urbaines mal organisées qui ne plaisent pas à la population. Pourquoi ? Parce qu’il n’y aurait aucun consensus politique déterminant quelles zones peuvent être densifiées et de quelle façon. Du jour au lendemain, on ne pourrait plus construire alors que la population serait en demande et qu’il n’y aurait pas assez de logements en zones urbaines.
Aujourd’hui, tout est pensé au niveau du bâtiment. Demain, on va devoir réfléchir davantage au niveau du quartier.
Qu’en est-il des mesures d’accompagnement qu’envisage la Wallonie ?
C’est encore le néant actuellement. Le schéma de développement du territoire aura une chance de se réaliser à condition que toutes les mesures d’accompagnement nécessaires soient prises, qu’elles soient politiques, fiscales, urbanistiques, juridiques. Tout un ensemble de mesures d’accompagnement est absolument nécessaire si les autorités veulent que le ” Stop au béton ” porte ses fruits. A ce stade, la Flandre est un plus avancée que la Wallonie dans la mesure où le gouvernement flamand a récemment approuvé en première lecture un projet de décret proposant des outils pour rendre ce ” Betonstop ” réalisable. Il y est notamment question de compensations pour des moins-values pour des terrains qui, demain, ne seraient plus urbanisables. Mais la proposition rencontre de vives réactions particulièrement négatives, qui viennent de tout bord. Des nouvelles propositions portent maintenant sur un autre modèle, à savoir celui des ” droits de développements transférables ” permettant, à l’instar de ce qui se fait dans certaines villes aux Etats-Unis, aux propriétaires de droits de construction (situés sur des zones qui ne seraient plus urbanisables) de vendre ces droits à d’autres propriétaires de foncier situés sur des zones densifiables. Il est impossible de dire à ce stade ce qui ressortira concrètement des discussions, mais une chose est certaine : aujourd’hui on est loin d’avoir trouvé une solution.
Des mesures qui devraient donc être en place dès 2025, soit demain.
Et même bien avant ! Il y a une crainte pour énormément de propriétaires de biens situés dans des zones où on ne sait pas encore s’il sera encore possible de construire à partir de 2025 ou de 2050. Si les autorités souhaitent éviter une urbanisation rapide et anarchique, il faut rassurer ces propriétaires sur le fait que des compensations seront proposées. Ils doivent être certains qu’ils ne seront pas floués financièrement par un plan qui ne les concerne pas aujourd’hui mais peut-être bien demain. Je peux imaginer que des propriétaires qui sont dans le doute vont vouloir construire quelque chose rapidement, quitte à ce que cela s’apparente à un non-sens du point de vue urbanistique. Pour éviter le chaos, le gouvernement wallon doit prendre la mesure de son projet de schéma de développement du territoire et rassurer rapidement les propriétaires sur les compensations pour les moins-values à attendre sur leur terrain si demain ils ne peuvent plus rien y construire.
L’horizon 2025 vous paraît donc beaucoup trop proche ?
Absolument. Franchement, cette échéance n’est pas tenable. Sur quelles bases les autorités ont-elles évalué la nécessité de restreindre de 50 % l’étalement urbain à partir de 2025 ? Le processus est le suivant : un promoteur repère un terrain, en acquiert les droits réels, fait des plans, introduit les demandes de permis, reçoit l’approbation des autorités publiques (ce qui prend encore davantage de temps à l’approche des élections communales, époque à laquelle les autorités sont très frileuses en matière d’octroi de permis), ensuite viennent les recours, et enfin, la réalisation. Un process classique, sans embûches, peut prendre cinq à six ans en moyenne. On est déjà en 2025… Le timing pose question. Restreindre trop rapidement les opportunités foncières va créer un déséquilibre entre l’offre et la demande et clairement se répercuter sur les prix du foncier, avec pour conséquence des logements inaccessibles, et donc non commercialisables. Ce que personne ne souhaite.
Le ” Stop au béton ” deviendrait un stop au logement…
Le problème est que la démographie évolue fortement. On a besoin de créer du logement abordable. Or, le foncier est hors de prix dans les villes et avec des normes PEB qui sont par ailleurs de plus en plus poussées, on arrive de facto à des prix d’achat et des loyers inaccessibles pour une grande partie de la population. Les autorités publiques doivent rassurer les citoyens et mettre en place des mesures fiscales incitatives de manière à faciliter la mise sur le marché de logements neufs abordables dans les zones urbanisables.
Quelles pourraient être ces mesures fiscales ?
Par exemple, une réduction de la TVA à 6 % sur les projets de démolition-reconstruction, ce qui permettrait d’alléger les coûts de construction pour les développeurs et les coûts d’acquisition pour les acquéreurs. Ou encore la portabilité des droits d’enregistrement, qui porte ses fruits en Flandre. Cette solution permet de mettre en place une fiscalité qui facilite l’accès au logement et permet aux ménages de changer plus facilement de logement en fonction de l’évolution de leur structure familiale.
Pour inciter les habitants à revenir en ville, il va donc falloir créer un cadre urbain de grande qualité.
C’est un défi pour les urbanistes. Ils ont du boulot pour les 50 prochaines années. La clé du schéma de développement du territoire : construire des logements qui répondent aux besoins de la population. Aujourd’hui, tout est possible. On est dans une situation où si ça ne vous plaît pas de vous installer en ville, vous allez à la campagne. Les autorités ne s’inquiètent donc pas trop de ne pas répondre aux besoins de la population car les solutions sont multiples. Le SDT change cette logique. Il faut trouver une solution ensemble en ville, cela responsabilise tout le monde. On ne peut plus faire de l’urbanisme aléatoire. Il faut tenir compte de tous les paramètres d’une ville. Des plans urbanistiques à très long terme sont nécessaires : il faut déterminer quelles fonctions doivent être développées et où, mettre en place une bonne gestion des parkings, bien organiser les flux de mobilité, penser aux services à la population, ainsi qu’à toutes les infrastructures culturelles et sportives. Et cela de manière à avoir un développement coordonné de l’ensemble de la ville. C’est la seule manière de donner envie aux habitants de s’installer en ville.
Le “Stop au béton” est une aubaine pour le secteur de la rénovation…
Si les pouvoirs politiques jouent le jeu et créent un environnement urbain attractif et optimalisé, tout le foncier existant sera valorisé, alors ce sera une aubaine pour le secteur de la rénovation. Mais on peut aussi se demander dans quelle mesure tout le bâti est rénovable. Certains logements existants présentent une efficacité énergétique tellement mauvaise qu’au final, il revient plus cher d’acheter de l’existant et de le rénover entièrement que de l’abattre pour le reconstruire. Le secteur de la démolition-reconstruction va certainement prendre de l’importance.
La fin de l’étalement urbain signerait-il à terme la fin de la maison quatre façades ?
Je pense effectivement que l’avenir de la maison quatre façades est compté, mais peut-être pas celui de la maison. Jusqu’en 2050, l’étalement urbain pourra se poursuivre à hauteur de 50 % de ce qui se construit actuellement. D’ici là, il y a encore moyen de construire des maisons unifamiliales, notamment dans les espaces perdus, dans ce que l’on appelle les dents creuses, où pourront être érigées des habitations à deux, voire trois façades. Quoiqu’il en soit, on se dirige vers des constructions aux surfaces plus petites. Même si avec le retour en ville, il n’est pas du tout improbable que l’on diversifie davantage l’offre de logements et que l’on construise également des appartements plus grands que ce qui se fait actuellement. Et cela afin de permettre aux jeunes couples, par exemple de passer d’un logement une chambre à un appartement familial, tout en restant dans le même quartier.
Restreindre trop rapidement les opportunités foncières va créer un déséquilibre entre l’offre et la demande et clairement se répercuter sur les prix du foncier.
Les moeurs évoluent. Les colocations se multiplient, les jeunes sont moins pressés de devenir propriétaires, l’espace public et les infrastructures avoisinantes ont autant d’importance dans la décision d’achat que le logement lui-même.
Effectivement, demain, nous serons moins dans l’esprit ” cet espace est mon logement “. Vous disposez de cet espace purement privé mais vous avez aussi cette part à vous dans les espaces communs (par exemple, une grande terrasse partagée au dernier étage ou une salle de fête commune). En raisonnant plus globalement, vous avez également de l’espace à vous dans l’espace public, dans l’espace culturel tout proche, dans le centre sportif ou le parc. C’est une vision différente de l’utilisation des mètres carrés. Les futurs occupants raisonneront davantage en pensant à l’utilisation de l’espace public. On achètera ou louera à cet endroit-là en raison de la proximité des infrastructures diverses. C’est là que l’urbanisme doit jouer son rôle. Nous n’aurons plus besoin de la voiture car un espace de voitures partagées sera aménagé juste en bas de l’immeuble et des bus réguliers vous mèneront vers le zoning industriel, en périphérie, où vous travaillez.
D’où la nécessité de créer un cadre urbain optimalisé avec un partage des fonctions.
Oui, il faut organiser des flux de transport et développer des services et équipements le long et autour des axes principaux, de manière à ce que les nouvelles habitations ne créent pas davantage de problèmes de mobilité. Les autorités ont la responsabilité de penser et développer cet urbanisme intelligent. Et c’est aux promoteurs immobiliers de développer des projets qui s’inscrivent parfaitement dans cette logique. Que ce soit au niveau des transports, mais aussi au niveau de la production et de la consommation d’énergie. Aujourd’hui, les autorités publiques exigent que les bâtiments nouvellement construits soient hyper performants en termes énergétiques, voire qu’ils produisent l’énergie nécessaire à leurs occupants. Mais certains bâtiments sont mal situés, ne bénéficient pas d’une bonne luminosité, etc. L’idée est de ne plus raisonner au niveau du bâtiment, mais bien au niveau de l’îlot et de l’ensemble d’un quartier. Il faut, par exemple, penser un réseau de chaleur global et prévoir un ensemble de production d’énergie équilibré auquel tout le monde contribue directement ou indirectement. Aujourd’hui, tout est pensé au niveau du bâtiment. Demain, on va devoir réfléchir davantage au partage des besoins et à l’utilisation collective optimalisée, et c’est cela aussi, le SDT. Cette réflexion devrait être prise en compte lors de la délivrance des permis : les autorités devraient tenir compte de la manière dont chaque nouveau projet immobilier serait intégré dans le tissu urbain existant et donc contribuerait au développement durable. On pourrait estimer, après réflexion, que le projet n’est tout simplement pas assez grand et pourrait optimaliser davantage l’espace s’il était pensé à une autre échelle. C’est dans la réalisation de ce type de projets que les partenariats public-privé vont prendre tout leur sens.
Une densification urbaine entraînerait de facto un rehaussement des immeubles. Les autorités locales sont-elles prêtes à voir apparaître des tours en Wallonie ?
C’est vraiment un point sensible. L’Upsi a réalisé une enquête auprès de promoteurs l’année dernière afin de déterminer dans quelle mesure les villes étaient ouvertes à une densification plus importante. La grande majorité des communes de moyenne et petite taille (donc pas des villes telles que Liège, Namur ou Charleroi) ne veulent pas densifier. Au contraire, elles veulent garder leur caractère local. Au final, les autorités publiques sont jugées par les habitants et non pas par l’application d’un schéma territorial régional. C’est là tout l’enjeu du schéma de développement du territoire wallon : les acteurs publics et politiques doivent endosser cette responsabilité du ” Stop au béton ” et l’assumer.
En Wallonie, le ” Stop au béton ” va un cran plus loin, c’est-à-dire qu’il ne vise pas uniquement le résidentiel mais également l’immobilier commercial.
Le gouvernement wallon a indiqué pour sa part des ambitions très strictes, que nous contestons. Tout espace de plus de 2.500 m2 ne peut plus être développé en dehors des villes, ” sauf à démontrer qu’une installation périphérique ne porte pas préjudice aux commerces des centres urbains environnants “, indique le projet de schéma de développement du territoire. Toute la nuance est dans ce ” porter préjudice “. Par le passé, il y a eu dans certains cas un urbanisme du retail qui a été contesté et est contestable. Bien sûr, une boîte à chaussures perdue au milieu de la campagne n’a aucun sens. Mais cela ne veut pas dire qu’il faut dire stop à tout développement du retail en dehors des centres villes. Il faut faire la distinction entre des développements désordonnés à l’extérieur des villes et d’autres structurés à l’extérieur, à la périphérie des villes.
Par Anne-Sophie Chevalier.
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