Opération reconstruction pour le territoire wallon
La Wallonie va devoir changer de paradigme en matière de construction pour faire face au “Stop au béton” et à la fin de l’étalement urbain. Cela passera notamment par la rénovation d’un parc de logements dont les deux tiers des habitations sont obsolètes et par la reconstruction d’un tiers du parc. Reste à voir si les conditions sont suffisamment réunies pour y parvenir.
L’information n’est pas neuve. Elle est dans la tête de toutes les personnes qui gravitent dans le petit monde de l’aménagement du territoire wallon depuis une dizaine d’années. Elle vient par contre de faire, enfin, un saut auprès du grand public via un slogan accrocheur : “Stop au béton”. L’étalement urbain n’est plus en vogue. Et ne le sera plus du tout à l’avenir. Plus question donc de grappiller des terres (à bâtir ou autre) en pleine campagne. La Wallonie fermera (à moitié) le robinet en 2025 et le coupera définitivement en 2050. Beaucoup d’eau coulera toutefois sous les ponts d’ici là, tant en termes de concrétisations que de réalités juridiques. ” Mais les intentions sont bien présentes “, confie Fabienne Thonet, directrice de cabinet adjointe du ministre de l’Aménagement du territoire Carlo Di Antonio (cdH).
En fait, la Wallonie doit aujourd’hui faire face à un quadruple défi : enrayer l’étalement urbain, répondre au défi démographique, densifier son territoire et maintenir une activité économique dynamique. Des exigences parfois antinomiques mais qui devront, quoi qu’il arrive, trouver un chemin de convergence. Parmi les pistes les plus souvent citées pour y parvenir, la densification des centres urbains par le biais de démolition de maisons puis de reconstruction tient le haut du pavé. ” L’avenir de la construction passera clairement par là, soutient Robert de Mûelenaere, administrateur délégué de la Confédération Construction. Il faut encourager ces opérations. Toutes les entreprises ne sont aujourd’hui pas prêtes à suivre cette voie. Mais elles devront s’adapter. Si elles ne suivent pas cette direction, elles le feront de toute façon quand elles verront leur carnet de commandes diminuer. Le développement de ces opérations ne peut en tout cas se réaliser que par le biais d’une diminution du taux de TVA, ce qui stimulerait l’activité ( lire l’encadré ” La TVA à 6 %, c’est 114 millions par an ” plus bas) et mettrait le neuf et la rénovation sur un pied d’égalité. ” Et Stefan Hallez, directeur général de Maisons Blavier d’ajouter : ” Ce segment était passé de 0 à 20 % en Flandre en quelques mois suite à la décision de faire passer la TVA à 6 % en 2009 et 2010. Les gens sont aujourd’hui fiscalement poussés vers la rénovation, cela n’a pas de sens. Car en matière de performances énergétiques, nous n’arriverons jamais à atteindre le même niveau avec l’ancien “.
0,05 % de démolitions-reconstructions
Les chantiers de démolition-construction sont encore relativement rares en Wallonie. Il faut dire que tant qu’il est encore possible de mettre la main sur des terrains vierges, il est plus difficile et plus coûteux de se lancer dans ce type d’opération. D’autant plus que tant l’entreprise de construction que le propriétaire n’ont pas encore le réflexe de se lancer dans pareille aventure. ” La raréfaction des terrains va donc permettre d’élargir le spectre des réflexions, estime Pierre-Alain Franck, administrateur au sein de l’Upsi, l’Union professionnelle du secteur immobilier. Pour obtenir un terrain bien situé, on ne pourra plus faire autrement, il faudra passer par ce type de travaux. ”
Reste que, même si les mentalités évoluent doucement, la Belgique part de loin. Selon une étude publiée dans la revue Urban Studies par quatre chercheurs de l’Université de Liège, seul 0,05 % des chantiers sont aujourd’hui des opérations de démolition-construction. Une proportion infime, surtout quand on la compare à la Suisse (2%) ou aux Pays-Bas (30%). ” La Belgique sort très peu d’habitations existantes du stock, analyse Jacques Teller, professeur en aménagement du territoire à l’Université de Liège. Les Pays-Bas ont par exemple une politique beaucoup plus audacieuse à ce niveau. Ils n’hésitent pas à raser un quartier inadapté pour en reconstruire un plus efficient sur le plan énergétique et plus compact. Pour le reste, on remarque dans notre étude que l’étalement urbain reste archi-dominant en Wallonie, qu’il est largement alimenté par le plan de secteur, que des dynamiques de densification apparaissent en Wallonie mais restent encore très timides et que ces dynamiques de densification sont guidées par des facteurs très particuliers, bien éloignées d’une logique d’aménagement du territoire qui voudrait qu’elles soient situées à proximité de gares, de villes ou de pôles d’emplois. ”
La pression foncière favorise ces opérations
Il reste donc du travail pour inverser les tendances. Et quelques freins également, tels que le très grand nombre de terrains à bâtir encore disponibles au plan de secteur – pour au moins 50 ans d’urbanisation dans certaines régions, le gain financier qui n’est pas encore suffisant en termes énergétiques par rapport à une rénovation, l’attachement au cadre bâti ancien voire le discours ambiant qui affirme qu’une rénovation urbaine entraînera une modification de la population et du tissu social. ” Ces opérations se concrétisent en fait surtout dans des zones où la pression foncière est élevée et où les dispositions urbanistiques l’autorisent, poursuit Jacques Teller. Car il ne faut pas se le cacher, ces chantiers entraînent un surcoût. Il faut donc trouver un équilibre financier. ” Rappelons toutefois que, le plus souvent, ces opérations permettent de faire évoluer le parc bâti d’une maison unifamiliale vers un immeuble à appartements, ce qui modifie le paysage ambiant. ” Les démolitions-reconstructions ne concernent pas vraiment les maisons mais davantage les immeubles “, précise Gaëtan Hannecart, administrateur délégué de Matexi. Et Jean-Pierre Liebaert, directeur du département économique à la Confédération Construction, de faire remarquer ” qu’il ne faut pas oublier que les démolitions-reconstructions en ville ne sont pas aisées. Il faut amener une grue, bloquer la rue, trouver un endroit pour stocker les matériaux, se soucier des risques en matière de stabilité par rapport aux maisons voisines, travailler dans des espaces relativement étroits. Il faut donc tenir compte de ces éléments. A l’avenir, il serait toutefois intéressant de favoriser ces opérations en facilitant leurs mises en oeuvre. ”
La piste de la division du logement
Un autre enjeu relatif à cette reconstruction de la ville est lié à cet immense parc de villas quatre façades qui datent des années 1950, 1960 et 1970. Obsolète, énergivore, trop spacieux, il séduit de moins en moins. ” Le réaménagement de ce parc de villas est un enjeu considérable, vu sa taille “, faisait remarquer il y a peu Yves Hanin, directeur du Creat, le Centre de recherche en aménagement du territoire de l’UCL. La rénovation de ces habitations sera en tout cas très compliquée techniquement, difficilement finançable et jamais optimale sur le plan énergétique. ” Une division de ces villas et des terrains serait une formidable opportunité, prédit Jacques Teller. D’autant qu’il faut tenir compte du fait que la taille des ménages ne cesse de diminuer. Outre la démolition, il faut donc encourager aussi la rénovation. Sur 1,5 million de logements en Wallonie, 80 % sont à rénover. Soit 50.000 à 70.000 logements par an d’ici 2050. Or, les chiffres actuels montrent que seuls 6.000 logements sont rénovés annuellement. C’est lié au fait que le gain financier des ménages n’est pas suffisamment important sur le plan énergétique. Je suis convaincu qu’il y a des possibilités en matière de réaménagement interne du parc. On pourrait créer une véritable filière de construction en la matière. ” Reste que la division du parc de logements – l’un des plus spacieux d’Europe – se heurte le plus souvent aujourd’hui à des refus liés à des problèmes de mobilité. La densification accentuerait encore cette saturation. ” Il est temps de faire sauter certaines barrières, lance Pierre-Alain Franck. Si la densification est encouragée, cela passe aussi par d’autres modes de déplacement et de vie. Et Gaëtan Hannecart de regretter qu’il y a aujourd’hui une différence entre la vision politique et la stratégie mise en oeuvre pour y parvenir : ” Les conditions ne sont aujourd’hui pas suffisamment réunies pour pleinement redynamiser nos quartiers vétustes et mettre en avant les qualités de la vie en ville “.
La revendication revient année après année. A chaque interview, conférence de presse ou événement, le monde de la construction ne cesse de réclamer une diminution de la TVA sur les opérations de démolition/reconstruction. A savoir passer d’un taux de 21 % à un taux de 12 %, voire même de 6 %. De quoi alléger la facture du particulier avide de se lancer dans ce genre d’opération et dynamiser un segment qui se veut l’avenir de la construction, vu les nouvelles tendances en matière d’aménagement du territoire.
Aujourd’hui, seules 32 grandes villes peuvent bénéficier de cette diminution. L’objectif est donc d’élargir cet avantage fiscal à toutes les communes belges.
Cette ristourne à grande échelle ne serait pas un saut dans l’inconnu. Elle a déjà été expérimentée entre le 1er janvier 2009 et le 31 décembre 2010 dans le cadre d’un plan de relance économique. ” Une période durant laquelle ce type d’opération a explosé “, se souvient Robert de Mûelenaere, administrateur délégué de la Confédération Construction. En 2010, 4.339 habitations avaient été construites à ce taux de 6 %.
Suite à une proposition de loi introduite par huit députés MR en janvier 2017, la Cour des comptes a pu partir de ces données pour calculer le manque à gagner d’une telle diminution pour les recettes de l’Etat : l’addition s’élève à 113,9 millions d’euros par an. La Cour des comptes estime qu’il faudrait annuellement près de 13.000 opérations de ce genre pour atteindre un équilibre financier. Un scénario qui lui semble hautement improbable.
Cette proposition n’a pas passé la rampe du Parlement. Elle a été recalée par le Conseil d’Etat car elle contrevenait à des directives européennes qui exigent que les réductions de ce type soient liées à une politique sociale. Une seconde proposition de loi a donc été introduite dans la foulée par des députés CD&V. Elle reprend ce volet social, mettant en avant une volonté de lutter contre l’inoccupation et la dégradation de certains quartiers. Même si, il faut l’avouer, il s’agit d’un beau travail d’équilibriste sur le plan sémantique par rapport aux directives européennes. ” Nous restons bien évidemment favorables à cette idée et nous la soutenons puisque nous l’avons initiée, explique David Clarinval, chef de groupe MR à la Chambre. Je pense réellement qu’il s’agit d’un formidable outil pour redynamiser certains chancres urbains qui sont sources d’insécurité. Dans un premier temps, cette politique fiscale préférentielle serait destinée à la reconstruction de logements privés pour des personnes physiques qui y établissent leur domicile pour au moins cinq ans. ” Ajoutons que la superficie d’une maison ne pourrait être supérieure à 190 m2 et celle d’un appartement à 100 m2. Les promoteurs pourront également bénéficier de cet avantage fiscal. ” La proposition est une des priorités du gouvernement mais son approbation dépendra des prochaines négociations budgétaires “, conclut David Clarinval.
L’avocat Michel Scholasse est spécialisé en droit de l’urbanisme au sein du cabinet HSP.
TRENDS-TENDANCES. Ce ” Stop au béton ” est-il une bonne chose ?
MICHEL SCHOLASSE. Bien évidemment. Mais le processus de lutte contre l’étalement urbain existe depuis de nombreuses années. La Wallonie a récupéré le slogan marketing utilisé en Flandre. Cela frappe davantage l’esprit du grand public. Le changement, c’est qu’il semble y avoir véritablement un consensus politique sur la question. Même le monde de la construction y est favorable.
2050 n’est-elle pas une perspective trop lointaine ?
Je suis persuadé que la concrétisation de ces enjeux se réalisera bien avant. Par contre, le problème, c’est que cette décision et ce calendrier créent de nombreuses incertitudes.
Lesquelles ?
L’indemnisation des moins-values foncières ou encore la valorisation des terrains comme garantie bancaire. Comment calculer cette dernière si la valeur s’écroule en quelques années ?
Sera-t-il possible de financer l’indemnisation des moins-values pour ceux qui verront leur terrain à bâtir devenir non constructible ?
Je ne suis pas certain qu’il y ait une obligation d’indemniser les propriétaires. Les moins-values d’urbanisme sont très difficiles à obtenir. Je conseillerais donc de ne pas attendre 2025 pour lancer un projet de construction ! Car sur quelles bases la Wallonie va estimer que le quota de 6 km2 par an est rempli ? Premier qui construit, premier servi ? En fonction des provinces ? Le flou règne. On risque d’avoir donc une course à l’urbanisation dans les prochaines années.
Les communes disposent d’outils permettant de réguler tout cela…
L’arsenal existe en effet déjà pour refuser des permis dans des lieux éloignés. Il faut juste une volonté de se lancer dans une telle politique. Parallèlement, il faut se demander si les habitants sont prêts à accepter une densification vers le haut.
Les nouvelles données en matière d’aménagement du territoire feront au moins une victime : la maison clé-sur-porte. Son avenir est en sursis, c’est inévitable vu la diminution de l’étalement urbain. Et même si le Belge moyen rêve encore de sa villa quatre façades et de son grand jardin, les grands constructeurs/promoteurs ont bien compris depuis quelques années qu’il ne s’agissait plus d’un segment très rentable. La meilleure mutation en la matière est d’ailleurs à mettre à l’actif de Matexi. ” Il y a 20 ans, nous ne construisions que cela, rappelle Gaëtan Hannecart, son administrateur délégué. Aujourd’hui, ce segment ne représente plus que 10 % de notre chiffre d’affaires. Il n’est clairement plus un vecteur d’avenir. ” Matexi a opéré sa mutation en développant désormais de nouveaux quartiers dans des espaces urbains. ” La décision la plus importante de ma carrière “, précise Gaëtan Hannecart. Le groupe a investi massivement dans du foncier ces dernières années et commence aujourd’hui à récolter les premiers fruits d’une politique qui devrait lui offrir un avenir florissant. Matexi a vendu 1.437 habitations l’an dernier, dont 54 % en Flandre et 20 % en Wallonie. Cinquante-trois pour cent des logements sont désormais des appartements, ce qui démontre cette évolution vers des projets intra-urbains.
Pour les Maisons Blavier, la mutation ne s’est pas encore opérée. La division Clé sur porte représente encore 85 % du chiffre d’affaires de l’entreprise. ” Il y a aujourd’hui encore suffisamment de terrains sur le marché pour remplir nos objectifs, mais il est évident que nous allons devoir repenser nos fondamentaux, explique Stefan Hallez, directeur général de Maisons Blavier. La mutation vers l’aménagement de quartiers dans les centres urbains s’opérera bientôt. ”
Un constat partagé par T-Palm, qui vend près de 200 maisons clé-sur-porte chaque année, mais qui met un autre argument en avant. ” Il est de plus en difficile d’accéder au crédit hypothécaire, explique Maud Peduzy, en charge du marketing. Ce qui pousse les gens à se tourner vers des appartements. ”
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