“On nous a formatés à devenir propriétaires”
Sarah De Laet, géographe issue de l’ULB, a étudié de près la mécanique de la promotion immobilière et les questions d’accès au logement. Selon elle, le vrai problème, en Belgique, est de ne pas posséder de réelle politique du logement.
L’accès à la propriété reste un graal pour beaucoup. Comment l’expliquer? “La majorité des gens rêvent et tentent en effet de devenir propriétaires, analyse Sarah De Laet, géographe, en écho à notre dossier de cette semaine: Propriétaire, un rêve bientôt inaccessible? Toutefois, en fonction de nos caractéristiques socioéconomiques et de notre classe sociale, nous n’avons pas les mêmes chances d’accéder à la propriété ou de nous loger dans de bonnes conditions.”
“Le vrai problème, en Belgique, est de ne pas posséder de politique du logement digne de ce nom qui vise à héberger tous ses habitants dans des conditions décentes, poursuit celle qui se livre également sur scène à travers des conférences gesticulées, dénonçant la spéculation immobilière. La principale politique consiste à favoriser l’accès à la propriété. D’où le fait d’avoir une brique dans le ventre et de voir la propriété comme l’objectif à atteindre.”
– TRENDS-TENDANCES. Vous dites que la propriété privée est “ une narration difficile à défaire ”…
– SARAH DE LAET. Oui, car c’est la seule narration qui nous met en sécurité. Le logement remplit une fonction de réponse à notre besoin de sécurité ontologique et une fonction d’investissement. Mais pour nous sentir en sécurité dans la durée, la seule chose qui est offerte est de devenir propriétaire. Les discours ambiants nous martèlent qu’il n’y a pas d’autres solutions. On nous a en fait formatés à devenir propriétaires de manière à s’inscrire dans une sécurité résidentielle.
– D’un autre côté, il est de plus en plus compliqué d’être propriétaire aujourd’hui…
– Pour le Bruxellois moyen, ce qui est en train d’être construit est trop cher pour lui. Tant à l’achat qu’à la location. A qui sont alors destinés ces logements? A une majorité d’investisseurs. Mon propos n’est pas de dire qu’il faut arrêter de construire. Au contraire. Par contre, si on continue de laisser s’appliquer les règles du marché privé, l’inaccessibilité au logement va encore se renforcer. La solution est donc de continuer à construire des logements mais abordables. Et c’est le rôle des pouvoirs publics d’y veiller.
– Quel regard portez-vous sur le marché immobilier belge aujourd’hui?
– L’investissement dans la brique ne peut être comparé à un achat standard. La valeur foncière est prépondérante. La promotion immobilière travaille surtout à faire évoluer la valeur du sol. C’est leur core business et je comprends. Par contre, il est plus problématique que les politiques bruxellois aient contribué à faire augmenter les prix dans de nombreux quartiers en leur libérant du foncier et en octroyant des permis sans contrepartie sociale.
– Que changer dans la manière de produire le logement?
– Les promoteurs affirment depuis des années qu’en les laissant construire plus de logements, les prix baisseront. On constate malheureusement que ce n’est pas le cas. En France, des chercheurs ont établi qu’il n’y avait pas de lien direct entre les prix et la construction. Mais cette voix est rarement audible dans les médias et auprès des politiques.
– Le marché immobilier a-t-il déjà été aussi inaccessible qu’aujourd’hui?
– Ce qui est inquiétant est surtout la direction qu’il prend. Aucune piste sérieuse n’est mise en place pour rendre plus aisé l’accès à un logement et pour freiner les hausses de prix. Ce qui va clairement renforcer le marché locatif. Or, les loyers évoluent plus rapidement que les revenus. La seule manière de diminuer les loyers est donc soit de les geler, soit de les diminuer si le propriétaire ne peut amener de preuves de rénovation du logement.
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