Louvain-la-Neuve: “C’est effrayant : qu’importe les prix, tout se vend”
Louvain-la-Neuve est le petit paradis des promoteurs. Et des seniors. Qu’importe les prix, les appartements se vendent aussi rapidement qu’un étudiant vide sa chope. De quoi tendre vers un marché à deux vitesses avec Ottignies, où les prix des logements y sont plus abordables ? Si personne ne le souhaite, inverser la tendance sera compliqué.
Elles ont entre leurs mains l’avenir du centre d’Ottignies avec le vaste projet de réhabilitation du chancre des Bétons Lemaire. Un dossier qui leur permettra de se croiser tout au long de la législature. Rencontre entre Julie Chantry, bourgmestre Ecolo d’Ottignies-Louvain-la-Neuve depuis décembre 2018, et Corine Buffoni, directrice de Matexi Brabant wallon.
TRENDS-TENDANCES. Ottignies et Louvain-la-Neuve concentrent quelques-uns des plus importants projets immobiliers du Brabant wallon (Samaya, Bétons Lemaire, Athéna, Courbevoie). Une entité où les appartements se vendent particulièrement bien. L’entité est-elle devenue un petit paradis pour les promoteurs ?
JULIE CHANTRY. Nous constatons en effet cette situation. Les derniers projets qui sont sortis à Louvain-la-Neuve sont haut de gamme et se vendent très rapidement. Cela suscite de nombreuses interrogations. Car, à Louvain-la-Neuve, quel que soit le tarif, cela part. Que ce soit le projet Esprit Courbevoie (Besix Red et Thomas & Piron) ou Agora (Eckelmans). Il y a aujourd’hui une attractivité très forte sur Louvain-la-Neuve. Cela en devient presque effrayant. Les prix s’envolent. Pour nous, cette tournure des événements n’est pas idéale. L’accessibilité au logement reste essentielle.
CORINE BUFFONI. Il y a un marché spécifique à Louvain-la-Neuve. Il est différent d’Ottignies et du reste du Brabant wallon. Certaines communes sont davantage attractives que d’autres. Louvain-la-Neuve en fait partie car il s’agit d’une ville relativement jeune au développement récent qui répond aux nouveaux défis de projets urbains. Pour le reste, cette situation n’induit pas que la vie est facile pour un promoteur. Il faut du temps pour que les projets sortent de terre.
Un appartement a été vendu il y a peu pour plus d’1 million d’euros dans le cadre du projet Agora, développé par Eckelmans au bord du lac de Louvain-la-Neuve. Des prix dignes de l’avenue Louise, à Bruxelles. Jusqu’où les prix peuvent-ils encore grimper ?
C.B. Chez Matexi, nous ne sommes pas pour un marché spéculatif. Dans tous nos projets, il y a des biens d’exception qui possèdent des caractéristiques particulières induisant des prix élevés voire très élevés. Mais la moyenne de prix est largement plus basse que celle évoquée.
La demande semble énorme, on le voit pour Courbevoie, où 75% des appartements de la première phase sont déjà vendus. Quel est aujourd’hui le profil type du candidat acquéreur qui investit à Louvain-la-Neuve ?
J.C. Notre population est en hausse dans la tranche d’âge des seniors, celle qui possède un pouvoir d’achat élevé. Une tranche qui suit le schéma classique en Brabant wallon : revendre sa grande villa et disposer de moyens importants pour acheter un appartement neuf haut de gamme, ce qui contribue à la hausse des prix. Notons que, de manière globale, la population d’Ottignies-Louvain-la-Neuve est en stagnation. Cela peut paraître étonnant vu tous les projets. Quand nous analysons les chiffres d’une manière plus fine, on constate une diminution nette de la population active, que ce soit des jeunes ménages sans enfants ou des jeunes familles. Il y a 10 ans, nous avions une commune jeune. Aujourd’hui, elle est revenue dans la moyenne wallonne. Il y a donc un vrai enjeu en matière de création de logements accessibles, adaptés au public que nous souhaitons privilégier.
Cette tendance va donc modifier la pyramide des âges, avec une population de plus en plus âgée. Va-t-on à moyen terme vers une ville à deux vitesses, avec les personnes âgées à Louvain-la-Neuve et les ménages plus jeunes à Ottignies, où les prix y sont plus abordables ?
J.C. Ce serait dommage. Ce n’est en tout cas pas ce que nous souhaitons. Dans les futurs projets, il serait opportun de proposer une typologie de logements bien plus diversifiée, permettant à davantage de profils sociaux de s’y installer. Dans le centre de Louvain-la-Neuve, il est difficile de faire autre chose. Pour les quartiers Athéna et Lauzelle par contre, on peut davantage envisager une typologie de logements différente, avec des maisons unifamiliales avec jardin et des appartements.
Une typologie qui sera développée dans le projet de Matexi aux Betons Lemaire à Ottignies…
C.B. Oui, en effet. C’est notre créneau. Nous développons une modularité et une flexibilité de logements dans tous nos développements. Ces projets se construiront sur plusieurs années. Le fait de phaser un projet permet de s’adapter aux tendances et aux évolutions du marché. En Brabant wallon, on constate que la population est vieillissante et que les jeunes couples quittent la province pour s’installer à Namur ou dans le Hainaut. Aux Bétons Lemaire, plus qu’ailleurs, compte tenu de la localisation centrale du projet, nous souhaitons répondre à ces départs et avoir une typologie de logements qui permet cette mixité générationnelle. Selon nos dernières études relatives aux années 2017 et 2018, la moyenne d’âge pour acquérir une maison en Brabant wallon est de 40 ans et de 50 ans et plus pour les appartements.
Où en est le dossier ?
C.B. Après les ateliers urbains qui se sont déroulés en 2016 et 2017, la Ville travaille sur un PCAR (plan communal d’aménagement révisionnel, Ndlr). Ce qui permettra un dépôt de permis en 2020.
Des centaines de logements sont dans les cartons dans toute la ville. Comment encadrer cette pression foncière ?
J.C. Notre guide communal d’urbanisme a été réactualisé en 2018. Il fixe les densités. Elles sont renforcées dans les vallées et plus douces sur les plateaux. En centre-ville, nous nous sommes fixé des densités minimales de 30 logements/ha. La logique est donc toujours de densifier dans l’hyper-centre. Nous ne sommes toutefois pas ouverts à tout. Nous recevons beaucoup de projets qui comprennent plus de 100 logements/ha. Il ne faut pas faire abstraction des problèmes de mobilité qui en découlent.
Tous les principaux sites à développer sont identifiés…
J.C. Oui. Samaya, les Bétons Lemaire et Athéna concentrent en effet les enjeux majeurs. A l’exception du site de CP Bourg qui pourrait se libérer à moyen terme et qui est situé le long des voies de chemin de fer à cheval sur Ottignies et Court-Saint-Etienne, il n’y en a plus beaucoup.
Les conditions, économiques et urbanistiques, sont-elles aujourd’hui réunies pour proposer du logement à des prix abordables ?
C.B. Tout dépend de l’approche communale. Certaines communes souhaitent une taille minimale d’appartements, d’autres ne veulent pas certains types d’appartements. Ces principes sont parfois remis en question actuellement. Ce qui serait intéressant, selon moi, ce serait d’instaurer un régime spécifique de TVA pour les sites à réhabiliter. Car il s’agit quand même de la rénovation profonde d’un site, même si nous y installons un logement neuf. Cela contribue avant tout à la redynamisation d’un quartier. Pour favoriser le développement de logements abordables, je pense qu’il serait opportun d’appliquer une réduction structurelle de la TVA de 21% à 6% pour ces projets qui ont des impacts sur toute la vie de la cité.
La Ville dispose de son côté d’un outil réellement novateur pour proposer des logements abordables…
J.C. En effet. Nous avons l’ambition de développer un projet de Community Land Trust à Louvain-la-Neuve sur la zone Athéna. L’UCL y est propriétaire des terrains. On souhaite qu’elle rentre dans notre fondation Community Land Trust pour y apporter les terrains, ce qui permettrait de développer ensuite le projet. L’idée est d’y dédier 10% des 30 ha. Pour rappel, le principe est que les candidats acquéreurs ne payent pas le terrain. Ce qui permet d’augmenter l’accessibilité à la propriété. On souhaite reproduire d’autres projets de ce type dans la ville. La difficulté, c’est d’avoir la propriété foncière.
D’autres pistes encore ?
J.C. Nous allons mettre les promoteurs privés à contribution, en leur demandant de dédier un pourcentage de logements à du logement public. Actuellement, le regret que nous avons, c’est que notre proportion de logements publics est en diminution vu que nous ne parvenons pas à suivre le rythme élevé de commercialisation des développeurs privés.
De nombreuses friches ont été réhabilitées en Brabant wallon. Avec des succès divers. Comment accélérer la réhabilitation de ces friches, qui sont des sites prioritaires ?
C.B. Nous sommes bien évidemment toujours pressés de concrétiser un projet quand nous venons d’acheter un site. Mais la rapidité d’exécution d’un dossier fait partie des conditions auxquelles il faut se plier. Nous souhaitons à chaque fois avoir un dialogue avec les riverains et la commune, de manière à développer un projet commun. Ce qui, au final, nous fera gagner du temps s’il nous permet d’éviter les recours divers.
Seuls les appartements semblent aujourd’hui trouver grâce auprès des promoteurs. Une manière de répondre à un déficit d’offre. Mais ne va-t-on pas vers une surproduction en la matière ?
C.B. Le marché est en effet très orienté sur les appartements. Historiquement, l’objectif était de résorber un déficit. Il y a clairement aujourd’hui un risque de suroffre. Même si, pour le moment, tout se vend très bien. Ce qui est essentiel, c’est toujours de posséder une bonne localisation, un bon produit et de proposer des prix adaptés.
Le grand public rêve encore majoritairement de sa maison quatre façades avec jardin. On le voit dans les dernières statistiques du SPF Economie. Sur le terrain, voyez-vous toutefois une évolution des mentalités ?
C.B. Globalement, oui. La densification et la localisation proche de lieux de services deviennent des critères de sélection.
J.C. Sur le plan familial, on rêve rarement d’un appartement. A contrario, je ne pense pas que l’on rêve encore des maisons quatre façades. On songe davantage aux maisons mitoyennes. La mixité est en tout cas essentielle.
C.B. Aujourd’hui, 170 à 230 m2 habitables et deux ou trois ares suffisent à beaucoup de nos clients. Ils n’ont plus besoin d’avoir 300 m2 et 15 ares. Le développement du Champ Sainte-Anne, à Wavre, illustre clairement cette tendance. Il y a aussi cette évolution d’être prêt à partager des espaces communs, comme le démontre notre projet d’écoquartier I-Dyle à Genappe.
J.C. L’essentiel est d’avoir des espaces publics de qualité et bien pensés. Avec des quartiers qualitatifs, qui respectent par exemple les 25 critères du Référentiel Quartier durable établi par la Région wallonne, il est plus aisé de faire accepter la densification.
Quand on voit le temps que votre projet situé dans le centre de Wavre met pour aboutir, peut-on se demander si les pouvoirs publics ne sont pas devenus aujourd’hui davantage un frein qu’un atout pour le développement immobilier ?
C.B. Ce n’est pas aussi blanc ou noir que cela. A Wavre, pour la réhabilitation du parking des Carabiniers, le marché public date de 2012. Les réflexions ont évolué au fil du temps. D’un projet très grand, nous sommes revenus à un projet plus modeste qui est centré sur la transformation du parking en un ensemble mixte qui comprend également du logement et des commerces. Le dépôt de la demande de permis est imminent. Mais la co-construction prend toujours du temps, et il faut l’accepter. Qu’importe la dynamique d’une commune.
Propos recueillis par Xavier Attout
” En centre-ville, nous nous sommes fixé des densités minimales de 30 logements/ha. La logique est donc toujours de densifier dans l’hyper-centre. ” Julie Chantry
” Aujourd’hui, 170 à 230 m2 habitables et deux ou trois ares suffisent à beaucoup de nos clients. Ils n’ont plus besoin d’avoir 300 m2 et 15 ares. ” Corine Buffoni
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici