L’important potentiel des réseaux de chaleur

La décarbonation du secteur immobilier reste un immense défi. Parmi les multiples pistes, l’aménagement de réseaux de chaleur pour alimenter immeubles et habitations est de plus en plus plébiscité. Les avantages sont nombreux mais les freins également. Des acteurs se positionnent pour accélérer la cadence de son développement.

Rives Ardentes à Liège, Belle Vallée à Jodoigne, Tivoli à Laeken ou encore Lake Side à Tour & Taxis. L’installation de réseaux de chaleur décarbonés dans des projets immobiliers d’envergure est un procédé de plus en plus fréquent. Une tendance qui devrait s’accélérer tant la volonté des promoteurs immobiliers est désormais de recourir à des projets “fossil free” pour leurs futurs développements. Une manière de se détacher des coûteuses énergies fossiles mais également, et surtout, de contribuer à la décarbonation du secteur immobilier en empruntant la voie des énergies renouvelables.

L’aménagement d’un réseau de chaleur pour alimenter en chauffage des bâtiments et des logements à partir d’une seule source de production d’énergie n’est pas neuf. Louvain-la-Neuve, les communes de Verviers et d’Herstal ou l’Université de Liège en sont par exemple dotées. Reste qu’il s’agit davantage d’exceptions que d’une norme bien établie. ” Mais nous sommes à un tournant, estime Arnaud Latiers, cofondateur avec Grégory Meys du développeur et opérateur de réseaux de chaleur Karno. La Commission européenne souhaite également accélérer la cadence en la matière.


La Belgique est un des pires élèves européens concernant la décarbonation dans la construction. C’est notamment lié à sa dépendance au gaz, qui est particulièrement bon marché en Belgique. L’Europe estime que les investissements annuels en la matière devraient s’élever à 20 milliards. On en est très loin. “Selon certaines estimations, la Belgique ne devrait même pas dépasser les 100 millions d’investissements en 2023. Tout reste donc à faire. Pour atteindre d’ici 2050 la neutralité carbone du parc immobilier imposée par l’Europe, les pistes sont multiples. Rénovation et isolation sont parmi les plus connues. L’immobilier neuf est déjà dans les clous. Il vise même à se passer de gaz dans certains projets pour le remplacer par une source de chaleur décarbonée.

Pour le bâti existant, cela s’annonce bien plus ardu. Les particuliers doivent notamment faire face à des ambitions considérées par certains comme démesurées et inaccessibles financièrement. “C’est pour cela que développer des réseaux de chaleur dans des centres urbains est un premier pas très intéressant, précise Grégory Meys. De plus, il s’agit d’une des seules manières de réaliser une transition énergétique sociale. Recourir à des panneaux photovoltaïques ou à de la géothermie sont des solutions d’énergie renouvelable qui coûtent extrêmement cher. Tout le monde n’y a pas accès. Par contre, quand vous ouvrez des trottoirs et que vous amenez les tuyaux d’un réseau de chaleur devant la porte de toutes les habitations, c’est une solution bien plus abordable. Il suffit de se connecter et d’installer une nouvelle solution de chauffage.” Une piste qui, précisons-le, est bien évidemment complémentaire à des travaux d’isolation et de rénovation.

Les pouvoirs publics comme détonateurs

Reste que la Belgique accuse un important retard par rapport aux pays scandinaves, à l’Autriche ou aux Pays-Bas. “En Suède, où ils se sont lancés il y a 40 ans, plus de 65 % de l’énergie consommée sur le territoire est produite et distribuée via des réseaux de chaleur, précise Pierre Baijot, fondateur du bureau d’études Resolia spécialisé dans les réseaux de chaleur. A Copenhague, ce taux grimpe même à 99 %. Cela s’accélère également en France. Alors que chez nous, seulement 0,05 % de la chaleur consommée est liée aux réseaux de chaleur.”

Pour parvenir à augmenter la cadence, Karno et Resolia misent avant tout sur l’impulsion des pouvoirs publics. Ils estiment qu’ils ont une grande partie du potentiel entre leurs mains. “Ce sont eux qui doivent donner des lignes directrices et montrer leur volonté d’avancer dans la décarbonation, poursuit Pierre Baijot, qui conseille notamment les Régions bruxelloise et wallonne sur la stratégie à adopter. Ils doivent en être les moteurs. L’objectif est de mettre en place des clusters, soit des sites de production d’énergie thermique renouvelable, lors de la construction de nouveaux bâtiments afin de pouvoir étendre par la suite le réseau à toute une ville et au bâti existant. Il faudra ouvrir les trottoirs, ce qui freine certains élus communaux. Mais pour la téléphonie, l’eau ou le gaz, des travaux similaires sont effectués. Ce n’est donc pas impossible. Il faut changer les mentalités avant tout.”

Parmi les exemples marquants en Wallonie, Charleroi envisage par exemple de mettre en place un important réseau de chaleur à la Porte Ouest, de manière à décarboner le centre-ville. Même chose à Fleurus, où le réseau de chaleur va s’étendre à d’autres quartiers, ou à Herstal avec une boucle de 4,5 km. A Bruxelles, équiper l’ensemble des immeubles du quartier Nord est à l’étude. “Le réseau électrique actuel ne s’est pas constitué en jour, explique Arnaud Latiers. Il faut donc être patient.” La Wallonie compte aujourd’hui une soixantaine de réseaux de chaleur. Karno a effectué la connexion de 1.000 logements en 2023 et espère doubler ce chiffre l’an prochain. “Nous ne pensions pas que cela allait aller aussi vite, se réjouit Arnaud Latiers. Nous avons réalisé en six mois ce que nous espérions réaliser en cinq ans. Dans notre stratégie, l’idée était de débuter vers le marché neuf avant de très vite s’orienter vers le marché existant qui possède un potentiel gigantesque.”

Une cartographie des besoins

Pour accélérer la cadence, Resolia dispose également d’un autre atout dans sa manche : Urbio, un outil développé par une société suisse et dont il a obtenu la licence d’utilisation sur le sol belge. Il doit permettre d’estimer la consommation de chaque bâtiment bruxellois suite à un croisement de données (consommation d’énergie, cadastre, permis, etc.). “Cela permet d’identifier les bâtiments qu’il serait intéressant de connecter à un réseau de chaleur urbain tant en termes de densité urbanistique que de complémentarité des profils, de même que les bâtiments qui ne constituent pas des cibles pertinentes, détaille Pierre Baijot. Pour ceux-là, il est préférable de s’orienter vers d’autres pistes de décarbonation comme l’isolation, le placement de panneaux solaires, etc.”

Resolia peut également établir la carte des sources de production de chaleur disponibles sur le territoire bruxellois. ” En la croisant avec celle des besoins identifiés, on peut conseiller précisément les autorités locales et les développeurs de réseaux en leur disant quel quartier viser en priorité pour y installer un réseau de chaleur et quelle technologie exploiter “, précise Pierre Baijot.

Des craintes pour la vente de logements

Dans l’immobilier neuf, tous les promoteurs étudient actuellement la possibilité d’installer un réseau de chaleur. Même si aucun n’effectuera un virage à 180 degrés vers cette solution, la majorité prônant un mix énergétique. Parmi les acteurs qui ont enclenché le changement, Matexi vient notamment de lancer à Jodoigne (Brabant wallon) la construction du premier réseau de chaleur résidentiel géothermique de Wallonie. Il pourra alimenter les 140 logements du projet Belle Vallée. “Il s’agit d’une alternative concrète et durable aux énergies fossiles, relève Régis Ortmans, directeur de Matexi Bruxelles et Wallonie. C’est un virage important dans le développement de l’énergie renouvelable de la construction résidentielle en Wallonie. ” Tant les maisons que les appartements seront concernés par cet apport d’énergie thermique puisé dans le sol pour chauffer l’eau et fournir du chauffage. Un réseau de près d’un kilomètre sera aménagé.

“Il est de plus en plus clair que les solutions aux défis énergétiques et climatiques d’aujourd’hui se situent au niveau du quartier, ajoute Régis Ortmans. Il offre en effet beaucoup plus de possibilités durables et abordables qu’un logement individuel. Pas moins de 6.552 tonnes de carbone seront évitées en 20 ans, c’est considérable. Les réseaux de chaleur ne s’adaptent pas à tous les projets, mais si le sol est propice, nous partirons le plus souvent dans cette voie.” Et Grégory Meys d’ajouter : “La principale crainte des promoteurs est l’impact que cette source de chaleur peut avoir sur la commercialisation de leurs logements. Que les candidats acquéreurs hésitent à acheter un logement car ils ne sont plus dans un modèle classique vis-à-vis d’un fournisseur de gaz. Or, dans les trois projets sur lesquels nous travaillons et dont la vente est actuellement en cours, tous les retours sont positifs. Cela n’entrave pas les ventes. Posséder un réseau de chaleur n’est pas considéré comme un avantage mais comme une
différenciation concurrentielle.Il faut donc aller de l’avant .”

Un réseau de chaleur, c’est quoi ?

“ La Wallonie possède un important potentiel en matière de géothermie ”

Il consiste à alimenter un ensemble de bâtiments à partir d’une production de chaleur centralisée. Un opérateur professionnel est responsable de sa maintenance, de son efficacité et de son approvisionnement. La chaleur produite est distribuée via des tuyaux souterrains qui forment un réseau. Elle est destinée à l’eau chaude sanitaire et au chauffage des immeubles. Ils peuvent avoir des affectations différentes, ce qui permet de varier les besoins de consommation.

Parmi les différentes sources de production de chaleur, on retrouve la récupération de chaleur fatale (soit la chaleur perdue provenant de l’activité d’incinérateurs de déchets et autres industries), les pompes à chaleur géothermiques (exploitant la chaleur contenue dans le sous-sol) de même que les installations basées sur de la biomasse et du biogaz.

Historiquement spécialisé en sanitaire, cuisine et chauffage, le groupe courtraisien Van Marcke a largement diversifié ces activités ces dernières années. Dans l’immobilier mais également comme bureau d’études et d’ingénierie. Il examine notamment la faisabilité économique et technique des réseaux de chaleur et élabore les plans nécessaires à leur mise en œuvre. ” L’image des réseaux de chaleur est en train de changer, lance Tom Prinzie, directeur technique chez Van Marcke, vice-président de Warmtenetwerk Vlaanderen, qui promeut le développement des réseaux de chaleur. Ils apparaissent désormais comme une solution moderne et innovante destinée à exploiter à moindre coût les sources d’énergie durables.
La possibilité de connecter le réseau à d’autres futurs réseaux de chaleur et de froid constitue un atout intéressant. La KU Leuven estime que 20 % des maisons sont facilement connectables via le système de chaleur fatale. La Wallonie possède de son côté un gros potentiel en matière de géothermie. “Parmi les prochains projets de Van Marcke, relevons la construction d’un ensemble de 111 logements à Bruges,
un quartier muni d’un réseau de chaleur qui permettra également à tous les logements avoisinants de se connecter. L’énergie sera issue de 48 trous de forage creusés à 150 mètres de profondeur (BEO).

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