Les retards à l’allumage de la construction hors-site

Le hors-site est le plus souvent utilisé pour la construction de maisons individuelles, mais il permet aussi d’ériger de plus grosses structures.

La construction préfabriquée de maisons, immeubles à appartements ou autres bâtiments pourrait permettre de réduire les coûts, les délais et l’empreinte carbone. Elle tarde pourtant à prendre son envol en Belgique. Si de plus en plus d’acteurs sont présents sur ce segment, les freins restent légion. Jusqu’à quand ?

Les exemples venant de l’étran­ger sont de plus en plus nom­breux, surtout des Etats-Unis et des pays du Nord de l’Europe. En Suède, un élément de construction modulaire sort d’une usine hors-site toutes les 30 minutes. En Grande-Bretagne, ce principe de construction qui consiste à préfabriquer en usine des éléments qui seront ensuite assemblés sur le chantier représente 9 % du marché. Alors qu’en France, le gouvernement a décidé d’accélérer le développement de la filière pour en faire un levier de relance industrielle. Le promoteur Nexity, leader du marché, ne s’y est d’ailleurs pas trompé en décidant de s’associer avec le groupe britannique TopHat, un spécialiste de la construction hors-site de maisons, pour accélérer son développement.

Et en Belgique ? Si de plus en plus de sociétés se lancent dans le domaine, les freins restent nombreux. La construction traditionnelle garde de nombreux adeptes. D’autant que, pour le moment, le manque de main-d’œuvre n’est pas encore une contrainte suffisante pour opérer un changement d’approche au sein d’un secteur pour le moins conservateur. “Une évolution des mentalités doit en effet encore s’opérer, reconnaît Arnaud le Grelle, CEO de Meccabuild, une société de construction de bâtiments à ossature métallique. Pourtant, quand on voit les retards pris par certains chantiers suite aux intempéries, il est anormal de se lancer dans ces conditions alors que de nombreux éléments pourraient être préfabriqués à l’abri, au sein d’une usine.”

Pas encore de volonté politique

Les défenseurs de la construction hors-site listent en tout cas une lon­gue série d’avantages. Ils évo­quent notamment la capacité de réduire les coûts et les délais de livraison, d’améliorer les conditions de travail de même que d’accélérer la décarbonation en recourant à des matériaux plus durables. Précisons toutefois que si ce principe est proche de la préfabrication, le hors-site ajoute une dimension d’industrialisation des éléments constructifs, de leur production à leur assemblage sur site. Ce qui semble les différencier quelque peu. “Utiliser le terme hors-site permet également de s’éloigner de certains a priori négatifs qui entourent les éléments préfabriqués assez basiques qui ont été installés ces dernières décennies, fait remarquer Thomas Scorier, CEO de TS Construct et ancien président d’Embuild. Nous ne som­mes plus du tout dans cette dynamique. Aujourd’hui, la qualité des constructions est similaire voire supérieure à la construction traditionnelle. Le gain de temps est gigantesque. Il faut par exemple moins d’un an pour livrer et assembler une maison individuelle contre 18 mois au moins en cons­truction traditionnelle.”

Reste que le procédé est encore peu utilisé à grande échelle. Des réalisations en 2D, comme des châssis, des panneaux isolants, des enduits voire des équipements électriques, sont de plus en plus souvent conçus en usine et installés sur les chantiers. Pour les modules en 3D, c’est bien plus rare. “Contrairement à d’autres pays européens, il n’y a pas pour le moment de volonté politique de développer la filière, regrette Hélène de Troostembergh, CEO de Build Up, société spécialisée dans la construction modulaire hors-site et durable. Nous sommes pourtant un nouvel acteur qui pourrait avoir une réelle importance dans la chaîne de valeur de la construction, en améliorant la productivité, la performance et la qualité de l’ensemble de la production immobilière. Pour l’heure, la demande de construire plus durable et l’offre en matière de cons­truction hors-site ne se retrouvent pas. Pour nous soutenir, les pouvoirs publics devraient déjà prendre davantage en compte ce procédé dans leurs appels d’offres et ne pas les orienter uniquement vers les entreprises générales.”

“Contrairement à d’autres pays européens, il n’y a pas pour le moment de volonté politique de développer la filière en Belgique.” – Hélène de 
Troostembergh (Build Up)

Si le hors-site est le plus souvent utilisé dans le cadre de la construction de maisons individuelles, on peut également y avoir recours pour construire des immeu­bles à appartements ou des équipements (école, maison de repos, hôpital, etc.). “Nous avons lancé la construction d’un immeuble de 80 appartements à Bruxelles pour la SLRB, relève Arnaud le Grelle. Il est donc possible de construire des grands ensembles. Il faut juste maintenant convaincre davantage d’architectes et de pouvoirs publics que c’est possible.”

Parmi les inquiétudes, l’uniformisation du bâti liée à l’industrialisation en est une importante. Elle est balayée d’un revers de la main par les constructeurs. “Car cette standardisation existe déjà dans la promotion neuve, explique Thomas Scorier. Les acheteurs peuvent aujourd’hui choisir leur cuisine, leur revêtement de sol ou encore leur salle de bain. Mais, pour le reste, les appartements sont similaires. Il s’agit du même procédé ici. Avec le hors-site, quelques modules de base sont conçus avant de pouvoir ajouter sa touche.” Du côté de Build Up, on va même plus loin. “Nous offrons vraiment une grande liberté architecturale, pointe Hélène de Troostembergh. Cela ne peut donc pas être un frein. Même dans le cas des rénovations, il y a une grande liberté d’action. Car malgré l’industrialisation des procédés, une attention particulière est portée à éviter l’uniformisation esthétique des constructions hors-site.”

Anticiper la pénurie de main-d’œuvre

Hors-site

Parmi les grands acteurs qui sortent du bois, Thomas & Piron est en train de se positionner clairement sur ce segment via sa filiale dédiée à la construction de maisons. “Nous ne produisons pas encore de maisons dans nos usines mais nous nous y préparons clairement, lance Cédric Herbiet, administrateur délégué de T&P Home. Il s’agit notamment de se prémunir de la pénurie de main-d’œuvre qualifiée qui nous tend les bras. Pour pouvoir continuer à construire 650 maisons par an, il faudra trouver des alternatives. Car, à un moment, nous n’arriverons plus à répondre à la demande. Le hors-site pour­rait également redonner un engouement autour des métiers de la construction, puisqu’il y aura davantage de sécurité, d’encadrement, de formation et que l’on travaillera à l’intérieur.” Thomas & Piron espère posséder ses premières lignes de production d’ici deux à trois ans. “Pour l’heure, la main-d’œuvre permet de répondre à la demande, relève Cédric Herbiet. Mais la déperdition va s’accélérer parmi nos 800 ouvriers. La construction hors-site est environ 10 % plus chère mais elle est plus durable, permet une meilleure gestion des déchets et une meilleure planification des délais de livraison. Une évolution à suivre de près donc.”

Quant au moment de basculement espéré en Belgique, il faudra encore attendre un peu. “J’espère le plus vite possible, lance Hélène de Troostembergh. Mais en étant réaliste, il faut tabler sur un horizon de cinq ans. Beaucoup de mentalités doivent encore évoluer. Les besoins de massifier la rénovation du bâti pourraient toutefois accélérer la prise de conscience que le hors-site permettrait d’aller bien plus vite pour renouveler le bâti ancien.”

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