Les bureaux vides séduisent toujours plus les promoteurs
À Bruxelles, les demandes de permis pour transformer des bureaux en logements n’ont jamais atteint des niveaux aussi élevés que ces quatre dernières années. Et certains observateurs estiment que les perspectives pourraient être encore importantes avec une politique plus volontariste.
Ils s’appellent Evers, Waterloo 115, Palmerston, Beaulieu, Espace Beaulieu ou encore Ilot 130. Autant d’immeubles de bureaux qui viennent de faire l’objet d’un concours d’architecture pour désigner l’équipe qui va les reconvertir en logements. Un mouvement de reconversion lancé à Bruxelles il y a plus de 25 ans mais qui s’accélère sérieusement ces derniers mois à mesure que le télétravail et les nouvelles exigences environnementales poussent les propriétaires d’immeubles de bureaux à réaliser des arbitrages dans leur portefeuille. De quoi permettre à certains développeurs immobiliers de confirmer leur maîtrise en matière de transformation du bâti et à d’autres de se découvrir une vocation – le plus souvent poussés dans le dos, il est vrai – dans ce type d’opération.
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“Elles sont incontournables et intéressantes à plus d’un titre, lance Sophie Lambrighs, CEO d’Eaglestone, qui vient de lancer, avec Foresite, un concours d’architectes pour transformer les immeubles Evers (8.500 m²) et Waterloo 115 (19.000 m²) en 2027. De nombreux immeubles vont encore se libérer à l’avenir. Le marché du bureau se recentre sur les quartiers de gare, le centre-ville ou la périphérie. Ceux qui sont en dehors de ces localisations perdent de leur intérêt et sont appelés à être transformés. On le voit par exemple avec le site Beaulieu à Auderghem ou à Evere. Les programmes se répartissent le plus souvent en deux tiers de logements et un tiers d’équipements.”
Quand on jette un coup d’œil dans le rétroviseur, on relève que 1,2 million de m² de bureaux ont été reconvertis en logements depuis 1997. Si la moyenne annuelle était de 63.000 m² lors de la dernière décennie, les chiffres grimpaient déjà à 210.000 m² pour 2021 et 2022. Et quand on regarde les demandes de permis introduites ces dernières années, les reconversions en logements devraient doubler à l’avenir. Une situation intéressante qui devrait quelque peu faire évoluer le stock de bureaux vides, qui pour le moment reste stable à 1,05 million de m².
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“À l’avenir, la vacance devrait se stabiliser autour de 7,5 %, fait remarquer Pascal Mikse, head of research Belux chez BNP Paribas Real Estate. C’est un niveau relativement sain pour un marché immobilier. Le stock global de 12,5 millions de m² devrait diminuer mais pas de 500.000 m² ou 1 million de m². Car chaque année, de nouveaux bureaux vides apparaissent également. Et puis, imaginez-vous combien de logements cette baisse représentera ? C’est d’autant plus énorme que la vraie difficulté sera de trouver des acheteurs pour ces appartements.”
Libérer des immeubles occupés
En mars 2022, perspective.brussels avait analysé en profondeur la problématique de la reconversion d’immeubles de bureaux en logements. Le bureau bruxellois de la planification avait relevé que sur le million de mètres carrés vides, seuls 200.000 pouvaient faire l’objet d’une reconversion en logements. Soit une trentaine d’immeubles. Une reconversion ne pouvait être envisagée pour 400.000 m² de ce stock car les immeubles n’étaient pas entièrement vides. Une analyse quelque peu remise en question aujourd’hui.
“Il s’agissait d’une photographie intéressante mais il semble que ces chiffres ont été quelque peu sous-estimés, pointe Anders Böhlke, le directeur académique de l’EMI (UCLouvain), qui vient de publier une étude sur les coûts de la conversion de bureaux en logements. Il ne faut pas être figé dans le temps, le marché évolue, des locataires s’en vont, etc. Le potentiel de reconversion est donc bien plus important que ce qui était affirmé. Le fait que des locataires occupent la moitié d’un immeuble ne signifie pas qu’il faille nécessairement tirer un trait sur celui-ci. Avec une politique proactive, il est tout à fait possible de libérer les espaces de ces immeubles et de pouvoir les reconvertir. Ces reconversions ne répondront bien évidemment pas entièrement à la demande en logements à Bruxelles mais elles peuvent y contribuer davantage que ce que certains ne pensent. Il a été démontré dans certaines villes américaines qu’un taux élevé de vacance n’était pas un frein. Chez eux, ils ont inversé le problème en se concentrant sur le potentiel de reconversion de certains immeubles, même s’ils étaient encore occupés. Ils allaient donc démarcher les propriétaires et locataires. Une conversion prend plusieurs années, il faut donc anticiper les besoins, être proactif et appliquer une vue plus évolutive du marché.”
Ces reconversions ne répondront pas entièrement à la demande en logements à Bruxelles mais elles peuvent y contribuer.
Anders Böhlke
UCLouvain
Les rénovations au sommet
À quoi s’attendre dans les prochaines années ? Le pipeline semble en tout cas bien rempli, les promoteurs se tournant de plus en plus vers ce nouveau foncier. Pour quantifier la situation, les services du BMA viennent de réaliser une étude sur les demandes de permis déposées depuis 2021 et relatives à des reconversions en résidentiel d’immeubles de plus de 5.000 m². En 2021, ce chiffre atteignait 140.000 m², 250.000 m² en 2022 (mais en incluant les grands projets Proximus et CCN), 140.000 m² en 2023 et 140.484 m² en 2024 (chiffres arrêtés au 15 novembre).
“Ce qui est intéressant, c’est que vu la durée d’obtention d’un permis et le temps nécessaire à la transformation d’un immeuble, cela nous donne un vrai baromètre pour les reconversions prévues d’ici trois à quatre ans, relève le bouwmeester bruxellois Kristiaan Borret. Pour 2024, on voit même que le rythme est loin de baisser et que plus de 70 % des demandes de permis concernent des rénovations et non des opérations de démolition/reconstruction. Les promoteurs ne s’arrêtent plus !”
Historiquement, les projets de conversion des bureaux en logements se sont concentrés dans la couronne verte (Woluwe-Saint-Lambert, Boitsfort, Evere). Ils sont par contre beaucoup moins nombreux dans des quartiers monofonctionnels, comme les quartiers de gare (Nord, Central, Midi) et dans le quartier européen. “Il y est plus intéressant financièrement de rénover ou reconstruire un immeuble de bureau que de le convertir en logements, pointe Anders Böhlke. La valeur foncière, les loyers, les rendements et l’attractivité de la zone y sont plus élevés. Des reconversions se déroulent partout à Bruxelles sauf dans ces quartiers.”
Si des logements devaient y être vendus, ils devraient, au minimum, l’être à des prix qui dépassent les 5.000 euros/m². D’où la nécessité d’inciter les promoteurs à y développer des projets mixtes via des “projectlines“. On le voit, par exemple, avec l’opération Cityforward, la transformation des tours Proximus, celle de l’immeuble Ferraris ou encore par la mise en vente de trois immeubles de la SNCB à la gare du Midi (150.000 m²). Une vente qui ne trouve toutefois pas encore preneur. “Dans ces zones, les pouvoirs publics doivent toujours pousser les promoteurs à y implanter du logement”, lance Kristiaan Borret. Sans cela, rien ne bougera.
Et Anders Böhlke d’ajouter : “Et si on veut y produire du logement abordable, il faut autoriser les promoteurs à pouvoir y construire sur une superficie plus importante que la superficie initiale de bureaux. Sinon l’équation financière ne tient pas la route. Cela se produit heureusement déjà dans certains cas.”
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