Le nouveau «ruling urbanistique» bruxellois risque de faire pire que mieux…
A l’initiative de l’ex-secrétaire d’Etat à l’urbanisme Pascal Smet, démissionnaire depuis peu, les autorités régionales et communales bruxelloises ont mis en place un nouveau mécanisme de «prévisibilité» du potentiel urbanistique de certains biens. Celui-ci suscite une levée de boucliers de la part du secteur immobilier.
Concrètement, de quoi s’agit-il? Si comparaison ne vaut pas raison, le mécanisme récemment mis en place par le gouvernement régional est, selon Philippe Coenraets, avocat de renom spécialisé en immobilier (CLA Law), manifestement inspiré du «ruling fiscal où le contribuable peut s’adresser à l’administration pour faire préalablement valider des montages ou des opérations complexes, notamment en matière de TVA. La comparaison s’arrête toutefois là…», précise-t-il d’emblée. Nous l’avons interrogé pour mieux cerner les fondements et les effets de ce nouveau système visant à faciliter les procédures d’octroi de permis d’urbanisme dans la capitale.
– En quoi consiste concrètement cette nouvelle procédure qui suscite tant de réactions dans le sérail immobilier ?
PHILIPPE COENRAETS. La pratique dont il est ici question consiste, pour le propriétaire d’un bien qui souhaite le mettre en vente, à s’adresser aux autorités compétentes en matière d’urbanisme – Région (urban.brussels), commune et BMA (services du Maître architecte) – afin de déterminer, avec suffisamment de précision, les contraintes qui seraient imposées au nouvel acquéreur lorsque ce dernier envisagera d’introduire une demande de permis d’urbanisme auprès des mêmes autorités.
– Ces précisions semblent pouvoir aller très loin, d’où la réaction des principaux concernés, vendeurs comme acquéreurs potentiels?
Exactement. Les contraintes précisent la définition des affectations, déterminent les équilibres entre elles, fixent les volumétries admissibles et l’aménagement des abords…
– Sous quelle forme?
La demande donne lieu à une «note», cosignée par ces autorités, qui est remise au propriétaire. A charge pour lui de la communiquer aux différents acquéreurs potentiels.
– A première vue, cela semble transparent et donc rassurant pour les deux parties…
L’intention est bonne. Soit elle rassure le futur propriétaire, elle le met directement en garde contre des spéculations inutiles, le prix de vente étant sans doute fixé en connaissance de cause. Mais ne dit-on pas que l’enfer est pavé de bonnes intentions?
– C’est-à-dire?
La volonté de rassurer l’acquéreur s’est, en fait, muée en véritable décision de l’administration d’encadrer – voire de cadenasser – des projets qu’elle juge «stratégiques». Avec cette conséquence que, s’il souhaite obtenir son permis, le demandeur devra se conformer en tous points aux exigences – très voire trop précises – des autorités régionales et communales, ainsi que du BMA.
– Vous parlez déjà en connaissance de cause?
Plusieurs exemples récents permettent d’analyser le phénomène: la vente des tours Proximus, de l’ancienne imprimerie de la Banque nationale et, plus proche de nous encore, l’ancien Institut Jules Bordet. Les notes liées à ces dossiers – généralement assez longues – sont toutefois juridiquement «faibles» puisqu’elles ne trouvent aucune assise légale ou réglementaire et devraient demeurer impuissantes à lier ultérieurement les autorités compétentes – principalement urban.brussels, l’administration qui délivre les permis. C’est bien à ce niveau que le bât blesse.
– En quoi, puisqu’elle reçoit une feuille de route claire des autorités régionales de tutelle?
Alors qu’elles ne peuvent envisager tous les projets potentiellement réalisables pour les biens mis en vente, les administrations s’estiment «liées», voire même «ligotées», par ces notes qui cornaquent l’instruction de la future demande de permis et brident la créativité en matière de bon aménagement des lieux.
– On comprend bien que vous critiquiez une forme de despotisme politique sous couvert d’efficacité. Mais qu’en est-il des lacunes juridiques de cette «realpolitik» qui raccourcit les procédures?
La procédure n’est tout simplement pas légale: ces notes ne sont pas des actes administratifs annulables, à l’instar des circulaires ministérielles, non opposables aux tiers. Ce l’est d’autant moins que, s’agissant des réunions de projet, qui disposent pourtant d’une assise légale, le CoBAT (Code bruxellois de l’Aménagement du Territoire, art.188/12) précise que les procès-verbaux de celles-ci n’engagent en rien les autorités administratives qui se sont exprimées à cette occasion *. Comment, dans ces conditions, reconnaître à ces notes d’«orientation» une quelconque force obligatoire, alors que pour les P.-V. de réunions de projet, le législateur l’a expressément déniée?
– Que peut-on faire pour sortir de l’immobilisme actuel peu souhaitable?
Il existe un ensemble d’instruments à portée réglementaire qui permettent déjà de cadrer le redéveloppement de périmètres déterminés, avec une assise légale solide: les plans d’aménagement directeurs (PAD), les plans particuliers d’affectation du sol (PPAS) et les règlements d’urbanisme zonés.
– Ces instruments se sont révélés inefficaces ou d’une lenteur dommageable dans la plupart des cas. On pense à la rue de la Loi, le Heysel, la zone Delta…
Sans doute l’adoption de ces instruments prend-elle du temps, notamment en raison de la tenue d’enquêtes publiques. Mais on ne peut se passer de ces procédures permettant une participation du public, en toute transparence, ce qui constitue une exigence démocratique.
– Pourtant, outre l’efficacité, certains groupes de défense des riverains remettent en question la transparence des outils que vous mentionnez…
C’est sans doute la raison pour laquelle les « décideurs » – de plus en plus pressés de voir les résultats concrets de leur politique urbanistique – optent pour le «soft law», c’est-à-dire des documents qui ont l’aspect et le contenu d’instruments réglementaires mais qui n’ont en fait aucune existence légale. Malheureusement, ce phénomène ne touche pas seulement des biens immobiliers pris individuellement, mais aussi des périmètres nettement plus larges où la Région et les autorités locales se sont octroyé le droit d’adopter subitement des «lignes de conduite» très précises, formes de substitut des PAD dont l’adoption s’avère trop longue et trop complexe, censées encadrer le redéploiement de zones «stratégiques», à l’instar du quartier Midi ou encore du quartier européen où les projets de PAD s’enlisent et où il y a pourtant urgence à intervenir. Ceci ne constitue cependant pas une raison suffisante pour justifier des normes de raccroc.
– Et votre conclusion?
Les autorités doivent prendre conscience des limites de ces nouvelles lignes de conduite qu’elles imposent au risque, sinon, de créer de nouveaux contentieux liés à l’absence de toute valeur juridique de celles-ci. En voulant simplifier les choses, on risque encore de les compliquer davantage.
(*) «La réunion de projet a pour objectif de discuter des grandes orientations du projet, et ce sans préjuger de la décision de l’autorité délivrante dans le cadre de la procédure d’instruction du permis. La réunion de projet et l’éventuel procès-verbal y relatif ne constituent en aucun cas une décision administrative»
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