Le Louvre Abou Dhabi, du fun et de la culture
L’inauguration de la première licence du célèbre musée parisien sur l’île de Saadiyat, dans le golfe Persique, s’inscrit dans un vaste projet de hub culturel destiné à doper la fréquentation touristique. Mais ce “district arty”, en bordure d’hôtels de luxe et d’un golf, et qui doit comprendre une nouvelle annexe du Guggenheim, peine à se concrétiser, contrairement aux parcs d’attractions voisins.
Scruté tout au long de sa longue gestation, le Louvre Abou Dhabi, qui a accusé cinq ans de retard sur son calendrier faute de financement, est enfin là. L’ouverture au public – qui a lieu ce 11 novembre – sera suivie de quatre jours de festivités. Il fallait bien ça pour célébrer ce pharaonique projet touristique et culturel initié par les autorités locales, au budget de construction de 582 millions d’euros. Un chiffre auquel il faut ajouter la concession de la marque Louvre – 400 millions d’euros versés au musée parisien jusqu’en 2037 – et une enveloppe de 600 millions octroyée à la France sur une période de 30 ans pour l’expertise, le prêt d’oeuvres et l’organisation d’expositions, pilotés par l’Agence France-Museums, une société basée à Paris et alimentée par une redevance de l’Etat hôte à hauteur de 15 millions par an. Le coût de l’acquisition des collections permanentes (environ 40 millions d’euros par an) restant également à charge de la partie émiratie.
Galeries climatisées
Loin des coulisses de ce mammouth sans précédent dans le monde culturel, les visiteurs partiront à la découverte d’une cité qui a les proportions, non pas d’un musée mais d’un véritable quartier de 64.000 m2, posé en équilibre sur les eaux du golfe Persique.
Construit sur l’île de Saadiyat (27km2), qui comprend par ailleurs des hôtels de luxe, un golf et une plage de sable fin, le Louvre des sables comme on le surnomme, conçu par Jean Nouvel et l’atelier Hala Wardé, ne tutoie pas les sommets. Rien à voir avec les dizaines de gratte-ciel qui ont éclos dans la capitale depuis le début des années 2000. Le Louvre bis ne dépasse pas 40 m de haut, mais là où il se trouve, en bordure de la mer, à l’écart de la ville et du skyline, l’édifice se voit de loin grâce à sa coupole hémisphérique dont la structure ajourée rappelle les moucharabiehs orientaux.
Ce dôme dentelé de 180 m de diamètre qui coiffe aux deux tiers le musée n’est pas seulement plaisant à l’oeil, il crée également un peu d’ombre dans une région qui en manque cruellement. Abou Dhabi avoisine les 50 degrés en été. Sous la coupole, et la fraîcheur de ses bassins d’eau, on devrait perdre 4 à 5 degrés, assure Jean Nouvel. L’ensemble architectural, très vaste, on l’a compris, se compose d’un chapelet de 23 galeries climatisées abritant une collection de 620 joyaux puisés dans l’histoire de l’art et les civilisations anciennes.
Le Louvre Abou Dhabi ne voit pas seulement grand mais large. Son corpus embrasse généreusement la ligne du temps, de l’époque des pharaons à la Grèce classique, des peintres renaissants (Léonard de Vinci, Titien) jusqu’aux artistes modernes (Vincent Van Gogh, Paul Gauguin) et contemporains (Cy Twombly, Jenny Holzer, Giuseppe Penone), au risque d’un grand zapping.
Dans leur volonté de créer ” un lieu de tolérance et de paix “, le TCA (Tourism & Culture Authority), qui supervise les acquisitions et fait office d’opérateur, a pris soin de convoquer toutes les cultures, qu’elles soient moyen-orientales, occidentales ou asiatiques. Les pièces archéologiques et issues des arts décoratifs sont les plus nombreuses. La religion n’est pas absente. On trouve côte à côte une torah du Yémen, une bible gothique et un coran syrien du 13e siècle. Difficile de faire plus clair en termes de symbolique universaliste… Les collections proviennent pour moitié des prêts des musées français, le Louvre bien évidemment, mais aussi une dizaine d’autres institutions comme le musée Rodin, le musée d’Orsay ou le musée du Quai Branly.
Rivaliser avec Dubai
Le Louvre Abou Dhabi n’est pas un projet isolé. Il est la première étape d’un projet urbanistique d’une ampleur considérable qui vise à transformer l’île de Saadiyat en un hub culturel sans équivalent. L’ensemble comprenait au départ d’autres musées de renommée mondiale assortis de constructions spectaculaires rêvées par les plus grands bureaux d’architecture.
Qu’on en juge : à côté de la réalisation de Jean Nouvel, ont été signés en 2007 des accords prévoyant un musée maritime dessiné par le Japonais Tadao Ando, une annexe du Guggenheim imaginée par Frank Gehry, un musée national créé par le Britannique Norman Foster et enfin une salle de spectacle conçue par l’architecte anglo-irakienne Zaha Hadid, décédée l’an passé.
Mais 10 ans après l’annonce, cette superproduction au casting royal, commanditée par l’émirat, est au point mort. Elle n’est pas la seule. La ville nouvelle de Masdar, à côté de l’aéroport d’Abou Dhabi, annoncée comme la cité du futur, guidée par les énergies renouvelables et lancée à grand renfort de communication en 2007, n’a pas tenu ses promesses. Désertée, l’eco town s’est transformée en ghost town. Masdar, qui devait être achevé en 2016, a différé ses ambitions pour 2030. La faute à la crise de 2008 et au sauvetage de Dubai par Abou Dhabi qui, en 2009, a renfloué les caisses de son voisin, criblé de dettes, à hauteur de 10 milliards de dollars. La dégringolade du prix du baril de pétrole et le tassement de l’économie des Emirats n’a pas arrangé le climat de confiance ni le sort du district culturel de Saadiyat même si Abou Dhabi est financièrement l’Etat le mieux loti de la fédération.
Pour anticiper l’après-pétrole, les E.A.U. veulent diversifier leurs ressources économiques en s’appuyant, entre autres stratégies, sur l’intensification du tourisme. Forte d’une fréquentation de 4,4 millions de visiteurs par an (+8 % en 2016), avec l’Inde et la Chine comme marchés cibles, Abou Dhabi aimerait rivaliser avec Dubai qui attire 15 millions de curieux. Pour parvenir à son objectif de 7,5 millions de voyageurs d’ici les 15 prochaines années, de multiples projets de parcs d’attractions, plus rentables que le Louvre ou un hypothétique Guggenheim, sont, eux, déjà dans les tuyaux sur l’île de Yas, voisine de Saadiyat. Le Ferrari World, lancé en 2010 et complété par de nouvelles attractions cette année, est fréquenté par 1 million d’amateurs de sensations fortes. Un haut lieu du grand huit et de l’adrénaline derrière lequel on trouve Miral Asset Management, un holding présidé par Mohamed Khalifa Al Mubarak, qui n’est autre que le président du Tourism & Culture Authority (qui a la main sur le Louvre et supervise l’ensemble des projets culturels environnants). Miral est aussi le développeur du Yas Waterworld, un parc aquatique pourvu de 40 attractions et 165 restaurants, ouvert en 2013 et construit en un temps record. Il faut croire qu’il est plus facile de se frotter au business des toboggans géants qui font ” splash ” qu’aux arcanes de la muséographie.
Résultat d’une conjoncture incertaine ou de simples opportunités, Miral semble avoir mis entre parenthèses le déploiement de son district culturel au profit de spots hors normes dédiés à l’entertainment. Le premier d’entre eux devrait être l’ouverture en 2018 du Clymb, un centre de loisirs avec simulateur de chute libre et mur d’escalade de 43 m de haut, suivi du Warner Bros. World, dont les travaux sont achevés à 60 %, en attendant l’inauguration de la première licence hors Etats-Unis de la chaîne de parcs à thème SeaWorld annoncée pour 2022.
Un programme ambitieux qui devrait permettre au public de se divertir à haute dose, et pourquoi pas, entre deux plongeons et une montagne russe, de pousser la porte du Louvre et succomber à l’ivresse d’une toile impressionniste.
Par Antoine Moreno.
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