Le grand mythe de l’exode urbain
Les rêves immobiliers liés au covid ont buté sur les réalités économiques. Les envies de grand air et de jardins plus spacieux restent l’apanage de ceux qui disposent d’un budget important. Les dynamiques d’avant-pandémie ont peu évolué, confirmant celles des centres urbains et le besoin de villes repensées.
Des envies de grand air, d’un jardin plus spacieux et d’une vie plus posée à la campagne. Ces nouvelles aspirations ont fleuri dans certains médias à l’entrée du covid, sans parler des enquêtes en tous genres qui se sont multipliées. Une vague qui ne semble d’ailleurs pas s’atténuer si on lit encore l’ “étude” publiée par Immoweb la semaine dernière annonçant que “40% des locataires veulent s’installer à la campagne”. Reste qu’entre un clic sur une annonce immobilière, voire une réponse à un sondage téléphonique, et un déménagement, il y a une marge que peu ont franchi. Ou peuvent se permettre financièrement de franchir. “Les grandes tendances immobilières d’avant-pandémie ont en effet très peu évolué, relève Yves Hanin, directeur du CREAT, le centre de recherche en aménagement du territoire de l’UCLouvain, se basant sur une étude de la Conférence permanente du développement territorial, sur les tendances immobilières post-covid. Ce sont en fait surtout les personnes ayant une épargne importante et souhaitant disposer d’une seconde résidence qui ont soutenu le marché dans les communes les plus éloignées. En Wallonie, déménager reste une étape importante dans la vie, d’autant plus si on n’est pas locataire. On le fait le plus souvent quand on agrandit sa famille, quand on divorce ou quand on tombe malheureusement malade. A contrario, les droits d’enregistrement, la fréquentation scolaire ou encore les liens sociaux (être proche de sa famille) sont des facteurs de frein. Et le covid ne les a pas rompus. Il a par contre accéléré certains phénomènes (télétravail, besoin d’un bureau chez soi) sans pour autant laisser percevoir des modifications substantielles dans le choix de localisation résidentiel. L’hypothèse d’un éloignement soutenu par le télétravail n’est pas non plus confirmé dans un pays aussi peu étendu et sur une période aussi courte.”
Entre un clic sur une annonce immobilière et un déménagement, il y a une marge que peu ont franchi.
La liberté de déménager
Un constat également partagé en France où une étude approfondie sur la mobilité résidentielle à l’ère post-covid vient infirmer les tentations d’exode urbain. L’attrait pour les villes reste central, écartant les flux vers des territoires isolés, hors des aires d’attraction des villes. Une situation que confirme aussi Renaud Grégoire, porte-parole de la Fédération royale des notaires: “Je n’ai jamais eu le sentiment d’assister à un mouvement massif de déménagements de la ville vers la campagne. Du moins pas pour des critères liés au besoin d’espace. Si certains ont déménagé dans des contrées plus lointaines, c’est principalement car les prix sont trop élevés en ville. Ce n’est donc pas nécessairement un choix assumé. D’autant plus qu’à moyen terme, ces décisions leur coûteront plus cher en termes de déplacement. La vie en ville a perdu de son attrait lors de la pandémie puisque ses atouts tels que la vie culturelle, sociale ou l’horeca n’étaient plus mis en évidence. Ce n’est plus le cas et les avantages d’habiter en ville se rappellent au bon souvenir de bon nombre d’habitants”.
Si les envies de déménager ne semblent pas toujours se concrétiser, il n’en reste pas moins que de nouvelles aspirations ont vu le jour suite au covid. Que ce soit la présence d’un espace bureau au sein du logement ou de l’intérêt de disposer d’un balcon, d’un jardin ou d’un espace vert à proximité. Une taille de logements suffisante est également devenue un point d’attention. “Mais habiter à proximité d’un accès autoroutier, d’une gare ou de lieux de services et d’équipements publics reste cependant incontournable”, relève Renaud Grégoire.
Les conséquences d’une offre en recul
Les freins relevés n’éludent bien évidemment pas le fait que certains ont continué à déménager ou que l’attrait pour les maisons avec jardin n’a pas diminué. Car pandémie ou non, les maisons quatre façades (et l’étalement urbain qui les accompagne) restent bien ancrées dans la tête des Wallons (il y a 2.000 nouvelles constructions par an en Wallonie, chiffres stables depuis cinq ans). Au grand dam d’ailleurs des politiques d’aménagement du territoire favorisant la densification. “Mais on ne peut pas dire que nous avons assisté à un renversement des tendances, note Yves Hanin. Ces dernières années, 70% des nouvelles constructions concernaient des appartements. On en a d’ailleurs construit de trop par rapport à l’évolution démographique qui, elle, s’est ralentie. Entre 2011 et 2019, 15.000 logements ont été construits en moyenne chaque année alors que le nombre de ménages n’augmentait que de 8.500 unités. A contrario, il y a un manque de maisons à prix moyen.”
Pas question donc de parler d’exode, même faible, vers la campagne. Ni de “revanche des villes moyennes” qui accueilleraient de nouveaux habitants. L’emballement pour les biens qui disposent d’un jardin ou qui sont situés à la campagne, et la hausse de prix qui en découle, est en fait surtout lié à la raréfaction de l’offre. La pauvreté des biens mis en vente dans certaines communes ayant entraîné une fièvre acquisitive – la vitesse de vente s’est en plus nettement accélérée – et un embouteillage de candidats acquéreurs. Avec comme résultat évident une flambée des prix que l’on peut qualifier de déraisonnable. “Ces derniers mois, l’attrait pour les communes du Brabant wallon s’est encore renforcé, lance Yves Hanin. Mais ce n’est pas une nouveauté. Par contre, les hausses de prix poussent les ménages, surtout les jeunes, à aller de plus en plus loin, notamment entre le Condroz et l’Ardenne centrale, vu la pression de l’aire métropolitaine de Bruxelles au-delà de Namur, et celle de Luxembourg jusqu’à Libramont. En tout cas, l’étroitesse du pays n’implique pas des différentiels de prix aussi substantiels qu’en France. Et donc, même les villes moyennes bien équipées et avec un taux d’emploi élevé, comme Marche-en-Famenne par exemple, n’attirent plus les jeunes ménages. Vu les prix, ils vont s’installer à Nassogne, Hotton ou encore La Roche.”
L’emballement pour les biens qui disposent d’un jardin est en fait surtout lié à la raréfaction de l’offre.
Les nouveaux freins à la mutation immobilière
Le profil des acquéreurs qui ont dynamisé ce marché plus rural est en tout cas relativement homogène. “Certaines familles qui avaient déjà dans leur tête l’idée et les moyens de déménager à la campagne ont accéléré leur décision, fait remarquer Renaud Grégoire. D’autres, plus fortunés, ont décidé d’investir dans une seconde résidence. Ce sont ces profils qui ont dynamisé un marché marqué par une offre qui, pour rappel, est en net recul ces derniers mois.”
Cette situation entraîne en tout cas deux constats. D’abord, le besoin de créer des villes attractives et durables, où les espaces verts sont multiples, reste plus que jamais au centre des débats. Le désir d’espace lorsque l’on habite en ville se traduit également par la nécessité d’aménager des espaces publics de qualité. Alors que plus aucun promoteur immobilier ne lance désormais un projet sans avoir prévu une terrasse spacieuse. Un must pour tout candidat acquéreur.
L’autre enjeu concerne la rénovation du parc immobilier belge, qui est un véritable gouffre énergétique. La crise actuelle a démontré le besoin de vivre dans des logements de qualité. Cette attention aux normes PEB est devenue une nouvelle exigence lors de la quête d’un logement. Et bien plus que la fiscalité, ce volet freinera les mutations immobilières à l’avenir. “Un autre problème important en Wallonie est la sous-occupation du parc de logements, note Yves Hanin. Même quand les enfants ont déserté la maison familiale, les parents ne quittent pas nécessairement leur grande maison. Cela ne permet pas d’avoir un marché suffisamment liquide. Et donc, le parc de logements n’est pas bien réparti, ce qui est très problématique. Ces éléments ne permettent pas de tendre vers un équilibre, ce qui serait plus sain.”
Pour les plus-values, direction les communes rurales
Si les statistiques ne confirment pas un emballement des volumes de vente dans les communes rurales (chiffres stables), on peut néanmoins relever une tendance émergente dans ces zones: la valeur des maisons y augmente plus fortement que dans les zones plus urbanisées. La start-up Smartblock, spécialisée dans l’analyse de données immobilières via des outils dopés à l’intelligence artificielle, s’est penchée sur le sujet récemment. “Il en ressort clairement que quelle que soit la définition de ‘ville’, que ce soit avec une densité élevée ou une population élevée, ce sont les petites communes qui ont le plus bénéficié des plus-values les plus importantes en matière de prix ces dernières années, explique Alexandre Verdonck, fondateur de Smartblock. Il est aussi intéressant de noter que les communes du top sont issues principalement du Hainaut et de Liège.”
Dans le top 15 fourni par Smartblock, on observe notamment que le marché immobilier des deux premières communes a été surtout dynamisé par l’acquisition de secondes résidences. Ce qui a entraîné des plus-values importantes.
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici