Le “coliving”, coup marketing ou véritable innovation?
La baisse du taux de propriété à Bruxelles va obliger le marché locatif à se réinventer. Parmi les différents concepts qui se mettent en place, celui du “coliving” semble séduire les “millennials”. Les promoteurs d’envergure ne s’y trompent pas et montent dans le train, histoire de ne pas rater le coche.
Une dizaine de chambres, un grand salon, un beau jardin, des espaces de détente, une salle de sport et des services en tout genre all inclusive (Internet, livraison du petit déjeuner, charges, ménages, assurances, etc.). Une vie en communauté qui s’est formée via une application qui met en contact offre et demande. Bienvenue dans le coliving. Rien de plus, rien de moins. Une sorte de colocation 3.0 dont tout le monde parle ces derniers mois sur le front de l’immobilier. ” Il ne s’agit, il est vrai, que d’une nouvelle façon de voir la colocation, fait remarquer Pierre Goffin, consultant au sein du département résidentiel du courtier CBRE. L’idée est de limiter les espaces privés au profit d’espaces communs bien plus spacieux. Avec, toutefois, en plus, la notion de services qui, elle, est novatrice. Les locataires ont aujourd’hui envie d’avoir des appartements qui correspondent à leurs besoins. Or, il y a un grand déficit en la matière. ”
Le “coliving” devient même dans certains cas une charge d’urbanisme.
Apparu en 2011 à Bruxelles, le concept a vivoté pendant quelques années avant de prendre une nouvelle ampleur ces derniers temps. Les près de 400 chambres proposées dans la capitale par les trois principaux acteurs affichent complet. Les millennials, soit la tranche 25-35 ans, sont séduits. Et dans un contexte global où l’accès à la propriété est de moins en moins une priorité et l’usage de plus en plus privilégié, les projets alternatifs sont amenés à se multiplier. D’autant que, et c’est nouveau, les grands promoteurs belges, s’y intéressent sérieusement. ” Nous avons été contactés par 80 % des grands développeurs bruxellois ces derniers mois en vue d’un rapprochement, fait remarquer Youri Dauber, l’un des fondateurs de Cohabs, l’un des trois principaux acteurs bruxellois avec Colive et Ikoab. Nous n’avons pas trouvé de terrain d’entente car nous souhaitons, dans un premier temps, privilégier les partenariats ponctuels. ”
Besix Red en tête de pont
Colive a par contre franchi le cap. Il a signé un partenariat avec Besix Red pour développer le concept à grande échelle. ” Le marché est loin d’être saturé en Belgique, explique le CEO de Colive, Nils Bokanowski, qui annonce s’étendre bientôt à Anvers, Gand, Liège et Paris. Le potentiel est bien présent. On le voit à Berlin, Londres ou New York, il est possible de développer des projets importants. A Bruxelles, nous n’en sommes pas encore là. Il s’agit, la plupart du temps, de reconditionner des immeubles ou des maisons de maître. ”
Pour passer à la vitesse supérieure, le coliving devra donc s’attaquer au marché de l’immobilier neuf. Avec des projets plus réfléchis qui lui sont spécifiquement dédiés. Et dans ce domaine, Besix Red semble avoir une longueur d’avance sur ses concurrents. Il a la volonté de créer une structure d’investissement dédiée aux start-up émergentes dans le segment de l’immobilier. L’idée étant, comme le fait Bouygues Immobilier en France avec sa filiale Bird, de s’associer à une série de petites sociétés pour faire éclore les tendances de demain. ” Et le coliving est l’une d’elles, précise Gabriel Uzgen, administrateur délégué de Besix Red. Nous croyons vraiment dans ce concept. Avec la diminution du nombre d’occupants propres, il faut s’ouvrir aux nouvelles tendances. Besix Red a l’ambition d’être un acteur influent sur le marché. C’est pourquoi nous ne voulons plus vendre que des briques mais des services. Investir dans Colive nous permet, dans un premier temps, d’acquérir une somme d’informations. L’idée est ensuite de passer à la vitesse supérieure en dédiant spécifiquement des immeubles neufs au coliving ou en proposant un étage d’un immeuble à cet effet. Comme le coworking, nous ne pouvons plus nous écarter de ces nouvelles manières de vivre et de travailler. Le coliving restera un marché de niche. Mais nous sommes très fiers que Besix Red soit précurseur dans le domaine. ”
Colive a signé un partenariat avec Besix Red pour développer le concept à grande échelle.
Si on voit certains projets de coliving se développer avec 300 chambres à New York ou 150 à Londres, Colive estime que des projets d’une cinquantaine d’unités sont plus probables à Bruxelles. Cohabs pense même qu’au-delà d’une quinzaine d’unités, un projet perdrait de son intensité. Son business plan serait donc davantage de tisser une toile de petits projets. ” Nous sommes face à un produit réellement novateur, quoi qu’on en dise par rapport à la colocation classique, précise Nils Bokanowski. Il y a 10 ans, on voyait apparaître des projets d’appart-hôtel autour de la Commission. Ensuite Airbnb est apparu, avec comme inconvénients pour ces gens de passage qu’ils ne rencontrent personne. Le coliving permet de répondre à cette problématique. ”
Car l’immobilier se conjugue aujourd’hui à l’ère du partage. Après le coworking, le coliving doit répondre à une demande toujours plus grande d’échanges et de besoin d’être ensemble. ” A Bruxelles, il y a un réel potentiel dans la reconversion de plateaux de bureaux en logements, lance Nils Bokanowski. Nous sommes d’ailleurs en pourparlers pour un projet de 3.000 m2 au goulet Louise. Ce concept n’en est qu’à ses débuts. J’en suis certain. ”
La location d’une chambre fluctue entre 600 et 800 euros. Un montant conséquent pour un espace privatif d’une vingtaine de mètres carrés, mais bien moins important si on prend en compte les charges et l’opportunité de vivre dans une grande maison. ” Le profil classique des colivers, ce sont des gens âgés de 25 à 40 ans en phase de transition et qui vont rester de six mois à deux ans, détaille Youri Dauber. Les retours sont en tout cas très positifs. ” Et Pierre Goffin, de CBRE, d’ajouter : ” La différence, c’est qu’il y a aujourd’hui un vrai souhait d’habiter en colocation, que ce n’est pas qu’un choix financier. Les modes de vie évoluent “.
Les projets actuels se concentrent dans les beaux quartiers de la capitale, du côté d’Etterbeek et Ixelles principalement. Ils sont en passe de trouver leur équilibre financier. ” C’est un segment particulièrement rentable car nous arrivons à louer une dizaine ou une quinzaine de chambres pour une seule maison “, note Youri Dauber.
Les projets actuels se concentrent dans les beaux quartiers de la capitale, du côté d’Etterbeek et Ixelles principalement.
Feu de paille ou réelle tendance de fond ? Si le coliving ne devrait pas révolutionner le marché, il semble toutefois pouvoir s’inscrire dans la durée. ” Je suis certain qu’il ne s’agit pas uniquement d’un effet de mode, estime Pierre Goffin. L’arrivée de grands promoteurs va faire passer ce concept à la vitesse supérieure à Bruxelles. Le coliving devient même dans certains cas une charge d’urbanisme, comme on le voit dans le projet Edith Cavell à Uccle, qui est développé par AG Real Estate. C’est significatif d’un nouvel état d’esprit. ”
Vers un permis dédié au “coliving”
Reste que pour connaître un certain envol, il faudra gommer le flou juridique qui entoure le coliving. Cela semble toutefois en bonne voie. “D’après nos dernières informations, il y aura une avancée majeure en la matière dans le projet de RRU (Règlement régional urbanistique), qui est actuellement soumis à révision, souligne Youri Dauber. Il intégrera une notion de logement partagé dédié à la colocation. D’ici deux ans, il est plus que probable qu’un demandeur pourra rentrer une demande de permis spécifique pour le coliving. La colocation va prendre de l’ampleur car elle est adaptée à toute les tranches d’âges. Ce qui n’était pas prévu au départ. Il y a un réel potentiel mainstream : nous pourrons dupliquer le modèle aux personnes divorcées, aux seniors, aux parents, etc. Plus de 1.000 personnes postulent déjà chez nous chaque mois. Sans parler du fait que la plupart des promoteurs veulent désormais ce type d’offre dans leur projet. ”
Le groupe Xerfi, spécialisé dans les études économiques sectorielles, vient de réaliser une étude sur les perspectives du coliving en France. Un concept qui est davantage développé qu’en Belgique. Interview avec le directeur des études du Xerfi, Vincent Desruelles.
TRENDS-TENDANCES. Le ” coliving “, est-ce un coup marketing ou une réelle tendance de fond ?
VINCENT DESRUELLES. C’est la grande question. Nous ne pouvons pas occulter un aspect marketing, à savoir le fait que l’on remballe un concept existant. Mais force est de constater que les soutiens de la demande ne manquent pas : difficulté à se loger dans les grandes agglomérations, recherche de lien social, intérêts communs des occupants et des collectivités en matière de mutualisation des espaces et des ressources, attente de flexibilité des millennials, etc. Mais la partie est loin d’être gagnée pour les acteurs du coliving.
Pourquoi ?
Car ils doivent prouver que leur promesse de valeur est réellement différente des offres connexes (résidences étudiantes, colocations traditionnelles, etc.) et convaincre des investisseurs encore attentistes.
Peut-on parler de nouvelle forme de colocation ?
Le concept de base du coliving est très proche. Le petit changement est qu’avec les offres qui se développent, l’idée est d’apporter une logique de services complémentaires. On loue un pack all-in, c’est-à-dire une prestation globale d’hébergement, avec le volet de convivialité en plus.
Cela ne semble donc pas être un effet de mode…
Il y a quand même, dans le fond, une idée de la mutualisation des espaces qui a du sens dans les grandes villes. Cela correspond aussi aux évolutions des modes de vie dans les nouvelles formes de ménages. C’est quelque chose d’embryonnaire qui pourrait être intégré dans quelque chose de plus large comme les résidences intergénérationnelles ou les familles monoparentales.
Quels types d’investisseurs pourraient être séduits par ce concept ?
Ils sont nombreux aujourd’hui à chercher une certaine diversification de leurs actifs et des produits à développer. On pourrait donc y retrouver des spécialistes du coliving, des promoteurs immobiliers, des gestionnaires de résidences étudiantes, des bailleurs sociaux, des foncières, des exploitants d’hôtellerie urbaine ou encore des gestionnaires d’espaces de coworking.
Et quid de la rentabilité ?
Nous sommes encore dans le flou. Il n’y a pas encore suffisamment de recul.
Quelles sont les perspectives pour le “coliving” ?
Il y a une place à prendre dans la cible des jeunes actifs. A condition d’assurer la promesse d’échange et de convivialité, sans oublier l’assurance de fournir des prestations de qualité, le tout sans mettre en péril leur équilibre financier. Alors, le coliving pourra dépasser le simple effet de mode et s’inscrire dans la durée.
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