La progression rapide de l’intelligence artificielle et des médias sociaux oblige-t-elle l’agent immobilier à adopter une autre approche ? Avec une nouvelle génération de clients, les attentes numériques augmentent. En même temps, le facteur humain, qui relie, reste crucial : “L’agent est le ciment dans le processus de transaction.”
“Cut the middleman“, tel est le mantra des entreprises technologiques qui entendent bousculer les secteurs classiques. Dans celui du voyage, cela leur a plutôt bien réussi. L’intermédiation immobilière a également été – et reste – dans leur viseur, mais jusqu’ici, les agents immobiliers résistent bien. De nombreux acteurs technologiques et nouveaux venus prometteurs se sont déjà cassé les dents sur le modèle classique.
Cela ne signifie pas que les agents peuvent se reposer sur leurs lauriers. Une nouvelle génération de clients, ayant grandi à l’ère numérique, oblige le secteur à une numérisation poussée et à une redéfinition de tout le parcours d’accompagnement. Que peut signifier l’intelligence artificielle (IA) dans ce contexte ? Cela modifie-t-il le rôle de l’agent ? Et quelle place occupent les médias sociaux dans le marketing mix ?
Nous avons posé ces questions à quatre acteurs de terrain expérimentés : Marleen De Vijt (CEO d’Azull, un agent spécialisé dans l’immobilier espagnol), Johan Krijgsman (CEO d’ERA et Alfabet), Michiel Vanhaverbeke (innovation product manager chez Alfabet) et Kim Ruysen (CEO Trevi Group).
Un prestataire de services à part entière
“Un agent n’est pas pour moi un vendeur de produit, mais un prestataire de services, déclare Marleen De Vijt. C’est quelqu’un qui accompagne les gens dans l’une des décisions les plus importantes de leur vie.” Ce dernier point est également souligné par Johan Krijgsman et Kim Ruysen. “L’agent est un confident à des moments clés : lors d’un premier achat, d’un divorce, d’un décès ou d’un investissement”, souligne Johan Krijgsman. “Le rôle humain reste pour cette raison essentiel”, précise Kim Ruysen.
Selon Marleen De Vijt, ce rôle de prestataire de services exige une connaissance large et actuelle : de la technique de construction et de la dynamique du marché aux aspects juridiques et financiers. “J’attends d’un agent qu’il connaisse la différence entre une fissure dans le revêtement et un problème de fondation, dit-elle. Et qu’il soit au courant des nouvelles réglementations. Doit-il connaître chaque détail ? Non. Pour la précision juridique, les notaires sont mieux placés. Mais en tant qu’agent, vous devez pouvoir le traduire en langage compréhensible pour votre client.” Marleen De Vijt appelle l’agent “le ciment dans le processus de transaction, le facteur de liaison entre maître d’ouvrage, acheteur, notaire et banquier, celui qui fait fonctionner l’ensemble”.
Kim Ruysen souligne la complexité croissante des transactions immobilières. “La plupart des gens n’ont pas assez de connaissances et pas de temps. C’est pourquoi ils cherchent quelqu’un d’expérimenté qui les décharge totalement : trouver le bon acheteur, déterminer un prix correct et mener le processus efficacement.” Selon lui, cela explique aussi pourquoi les formules de vente comme le coaching de vente ou les plateformes d’enchères ne percent pas vraiment. “Les gens ne veulent pas de solution partielle, mais quelqu’un qui règle tout pour eux.”
Pour Johan Krijgsman, l’agent est quelqu’un qui est à la fois fort sur le plan relationnel et commercial. “Un bon agent maîtrise le contact humain, mais sait aussi quand utiliser ses compétences de négociation pour obtenir le maximum pour son client, le propriétaire vendeur.” Johan Krijgsman s’attend à ce que le secteur évolue vers moins de professionnels, mais ceux-ci seraient mieux formés. “Les charges administratives seront en grande partie automatisées. Ce qui reste, c’est le noyau : un agent avec de la force commerciale, qui agit en même temps de manière relationnelle et connectante.”
“Les gens ne veulent pas de solution partielle, mais quelqu’un qui règle tout pour eux.” – Kim Ruysen (Trevi Group)
Numérisation et IA : c’est inévitable
Des systèmes CRM et une constitution de dossiers automatisée aux assistants pilotés par IA : la numérisation progresse dans l’intermédiation résidentielle. “L’intelligence artificielle en particulier entraîne des changements à la vitesse de la lumière”, remarque Kim Ruysen. Il s’attend à ce que l’IA transforme fondamentalement le métier, surtout au niveau des processus internes et du marketing. “La manière dont les gens recueillent des informations en ligne a été énormément accélérée et facilitée par l’arrivée de l’IA, affirme-t-il. Cela a inévitablement aussi un impact sur la façon dont ils vont trouver un logement et aboutir chez un agent.”
“De nouvelles possibilités de recherche, plus intelligentes et pilotées par IA, mettront également sous pression le modèle économique des plateformes immobilières classiques comme Immoweb et Zimmo”, estime Michiel Vanhaverbeke.
Chez Trevi, l’IA est déjà ancrée dans le fonctionnement quotidien. Kim Ruysen donne l’exemple d’un “assistant de messagerie vocale” piloté par IA qui répond aux questions en dehors des heures de bureau, vérifie les disponibilités et planifie des visites. “Cela procure une meilleure expérience client, estime Kim Ruysen. Les gens reçoivent une réponse immédiate, même quand nous sommes fermés. L’IA aide ainsi à accroître notre accessibilité, sans remplacer l’expertise personnelle. Celle-ci reste essentielle.”
Marleen De Vijt voit surtout de la valeur ajoutée dans l’automatisation du travail répétitif. “Nous utilisons l’IA pour éliminer les tâches chronophages pour nos collaborateurs, afin qu’ils puissent se concentrer pleinement sur le client.” Elle-même utilise l’IA quotidiennement pour structurer des articles de blog et gérer des dossiers. Le site web d’Azull contient un chatbot nourri de données propres. “Vous n’avez plus besoin de chercher sur un site les questions les plus fréquentes. Tapez-le, et vous obtenez la bonne réponse. Cela permet de gagner du temps, et vous savez que c’est correct.” En même temps, Marleen De Vijt souligne l’importance de “l’intelligence authentique”, autrement dit le facteur humain : “En fin de compte, les gens achètent à des gens.”
ERA a été pionnier dans notre pays avec une application CRM propre aux agents immobiliers et veut aussi être de pointe avec l’IA. Dans le cadre d’un projet IT, il travaille notamment sur le développement d’un AI Sales Assistant (en collaboration avec Donna) et d’un AI Calling Assistant (en collaboration avec Ringtime).
Nous y investissons au total plus d’un million d’euros, un montant exceptionnellement élevé pour l’intermédiation immobilière, dit Johan Krijgsman. Mais nous croyons fermement en la valeur ajoutée, tant pour le consommateur – propriétaire et visiteur – que dans l’impact sur notre fonctionnement interne et le rôle de l’agent.”
“L’AI Sales Assistant décharge l’agent, explique Michiel Vanhaverbeke. Après chaque visite de bien, il traite automatiquement l’administration et pose des questions supplémentaires si nécessaire. Ainsi, le client reçoit plus rapidement un retour et l’agent gagne du temps. De plus, l’assistant utilise les données CRM pour préparer les rendez-vous avec des informations pertinentes sur le client et le quartier – ce qui renforce l’image professionnelle.”
“Les agents les plus forts en tireront un avantage, pense Johan Krijgsman. Ils pourront se concentrer sur là où ils font la différence : relation, conseil et négociation.”
Pression des médias sociaux
Azull est une agence immobilière belge spécialisée dans la vente de biens immobiliers en Espagne. Elle compte environ 60.000 abonnés sur les réseaux sociaux comme TikTok, Instagram et Facebook. Via ces canaux, le bureau inspire et informe les gens sur l’immobilier espagnol. Marleen De Vijt est elle-même le visage des vidéos, dans lesquelles elle répond de manière accessible – selon ses mots, “en langage enfantin” – à des questions comme “Louer en Espagne, est-ce de l’argent jeté par les fenêtres ?” ou “Combien coûte un appartement comme celui-ci en Espagne ?”. “Les personnes qui ont vu ces vidéos sont mieux informées lorsqu’elles viennent nous voir. Cela permet des conversations plus efficaces, constate-t-elle. En même temps, nous construisons la confiance par ce biais.”
Marleen De Vijt ne voit donc pas les réseaux sociaux comme un fardeau, mais comme une opportunité. “Autrefois, il fallait de gros budgets pour passer à la télévision. Aujourd’hui, tout le monde a la possibilité de faire connaître son service ou produit à faible coût. Oui, cela prend du temps – mais pour quelqu’un qui démarre, le temps est le seul capital. Construire la confiance demande de la constance et de la patience, mais ça marche.”
Michiel Vanhaverbeke souligne lui aussi l’importance des réseaux sociaux dans la construction de la confiance. “Celui qui veut vendre son logement recherche une preuve sociale. Autrefois, on regardait dans la rue : quel agent a déjà des panneaux dans le quartier ? Cela joue toujours. Mais aujourd’hui, les réseaux sociaux sont l’équivalent numérique de ce panneau de vente. Si vous voyez plusieurs ventes du même bureau dans votre quartier et dans votre fil d’actualité, la confiance grandit.”
“Aujourd’hui, les réseaux sociaux sont l’équivalent numérique du panneau “à vendre” placé dans la rue.” – Michiel Vanhaverbeke (Alfabet)
Johan Krijgsman est convaincu que les réseaux sociaux auront un impact de plus en plus grand sur l’intermédiation. “Mais comment exactement, je ne le sais pas encore, dit-il. Aux États-Unis, la mise en avant des personnes fonctionne très bien, aussi dans l’immobilier.” Il fait référence à Ryan Serhant, un agent et influenceur qui s’est fait connaître grâce à la série Netflix Owning Manhattan. “En Belgique, c’est plus difficile, poursuit Johan Krijgsman. Ici, on n’apprécie pas trop ceux qui se mettent trop en avant. Mais il y a aussi des exceptions, pensez à une personnalité comme Average Rob. Que se passerait-il si quelqu’un comme ça se lançait dans l’immobilier ?”
Johan Krijgsman est convaincu que le métier d’agent est sur le point de vivre de grands changements. “Chaque profession qui pense que son travail est intouchable doit avoir peur”, affirme-t-il. Pourtant, il ne s’attend pas à une révolution radicale. “Les entreprises technologiques américaines et chinoises visent des marchés avec beaucoup de volume et de répétition, où les algorithmes peuvent faire leur travail. Mais l’immobilier est trop complexe pour cela. Chaque rue, chaque logement est différent. L’émotion joue aussi beaucoup. Même aux États-Unis, où beaucoup de données immobilières sont publiques, Zillow a perdu des milliards avec la revente automatisée de maisons. Justement parce que les données en immobilier sont difficiles à saisir complètement.”
Consolidation et bureau physique
L’intermédiation résidentielle belge a connu, ces dernières années, une tendance à l’élargissement et la consolidation. Un mouvement qui n’est pas encore terminé, affirment nos interlocuteurs à l’unisson. Selon Kim Ruysen, deux types d’agents resteront à terme. “D’une part, l’agent fort, ancré localement, avec un bon nom dans une ou plusieurs communes. Ceux-ci travaillent à petite échelle, souvent avec une équipe fixe de quelques personnes, et réussissent bien sans vouloir croître. D’autre part, les structures plus grandes, qui créent de la valeur ajoutée par les économies d’échelle : automatisation, services plus larges, marketing puissant.”
Pour les débutants, le seuil est selon lui devenu beaucoup plus élevé. “Vous devez construire un portefeuille, obtenir de la traction, investir dans l’IT, le marketing, un bureau… Alors que vous n’êtes payé qu’à l’acte. Entre-temps, il s’écoule facilement une période de six à huit mois. Ce préfinancement n’est pas évident.”
Johan Krijgsman fait une analyse similaire et voit disparaître le segment classique intermédiaire. “Ce qui reste, ce sont les grands acteurs, organisés professionnellement, qui prennent de l’avance via les données, la numérisation et les formations. Et de l’autre côté, quelques petits acteurs qui sont forts dans leur niche ou leur région.”
Le bureau physique d’agent est-il encore un must à l’ère numérique ? “Oui, répond Kim Ruysen. Même si sa fonction commerciale a fortement diminué à cause des plateformes en ligne. Jusqu’aux années 1990, la vitrine du bureau d’agent était un canal important pour chercher un bien. Maintenant, cela arrive bien plus rarement, sauf peut-être en vacances, par curiosité. Mais le bureau a toujours quelques fonctions importantes : visibilité, ancrage local, lieu de travail pour l’équipe…”
“Un bureau physique dégage de la fiabilité. Cela montre que vous n’êtes pas un feu de paille.” – Marleen De Vijt (Azull)
Johan Krijgsman voit aussi l’importance de la présence physique, surtout à cause de la dimension émotionnelle de l’immobilier. “La proximité reste cruciale, dit-il. ce n’est pas pour rien que nous avons 140 bureaux en Belgique. Mais chaque bureau n’a pas besoin d’être ouvert toute la journée. Les grands bureaux oui, mais dans les petites communes, des heures d’ouverture bien choisies suffisent.”
Selon Marleen De Vijt, un bureau est peut-être encore plus important pour les agents en immobilier étranger. “Un bureau physique dégage de la fiabilité. Cela montre que vous n’êtes pas un feu de paille. En Espagne, cette différence est même reconnue légalement : ceux qui n’ont pas de bureau doivent être assurés plus lourdement. Et c’est logique : sans bureau, vous semblez plus précaire.”
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