La saga du Thermae Palace à Ostende: entre héritage national et controverse
C’est l’un des joyaux architecturaux de la côte. Le Thermae Palace, à Ostende, a pourtant perdu de sa superbe. Urgente, sa restauration s’embourbe dans une saga où le surréalisme n’est jamais loin. Avec, en son cœur, une controverse à l’opposé de l’élégance du bâtiment.
Son histoire commence en 1905, à la Belle Époque. Imaginées par le roi Léopold II, ces Galeries Royales sont censées protéger la haute société de la pluie et du soleil sur pas moins de 330 mètres. À ces galeries s’ajoute plus tard, en 1933, le Thermae Palace (Palais des Thermes). Un hôtel de 150 chambres, des thermes et beaucoup d’art déco. Un trésor architectural que l’on doit à André-Louis Daniëls et au Français Julien Flegenheimer. Si la fièvre des bains des mers s’est quelque peu assoupie, toutes les grandes figures d’après-guerre se pressent dans ce palace. Édith Piaf, Louis Armstrong, Maria Callas ou encore Georges Brassens y passeront une nuit. En 1970, Harry Kümel y tourne même le film Les Lèvres Rouges. Un film étrange mêlant saphisme et vampire; devenu un classique aux États-Unis. Il offre une plongée fascinante dans ce lieu emblématique encore dans son jus.
Désastre patrimonial
50 ans plus tard, le Thermae n’a plus de thermes et ce fleuron de la reine des plages est dans un piteux état. Il se fissure et craque de partout. Dans la galerie un étayage jaune obstrue déjà la perspective depuis quelques années. Sans cela, tout se serait déjà effondré. À l’intérieur ce ne serait guère mieux et le toit et les fondations sont également en mauvais état. Le délabrement guette et sa restauration est devenue urgente. Certains évoquent même un désastre patrimonial national.
La faute à qui ? Les torts sont partagés puisque les Galeries et l’hôtel appartiennent à la ville d’Ostende, qui les loue. Mais c’est au locataire d’entretenir le complexe. Malheureusement, cela n’a jamais été fait et les bâtiments se sont détériorés au fil des années. Les administrations municipales précédentes ont, elles, laissé les choses aller à la dérive. Aujourd’hui, la ville n’a tout simplement pas les 100 millions nécessaires pour sa rénovation.
Un mauvais feuilleton
Et les millions qui manquent tardent à être débloqués sur fond de bisbrouille de moins en moins locale. Le sauvetage de Thermae Palace prend les allures d’un mauvais feuilleton. Pourtant après des années d’inaction et de projets tombés à l’eau, un plan sérieux semblait enfin se dessiner. En juin 2024, on annonçait avec fanfare et trompette le réaménagement du lieu. On allait rénover les lieux en y ajoutant de vrais thermes modernes et le Mu.Zee. De quoi mieux occuper le site où 70 % du bâtiment est vide. Au début, l’enthousiasme semble grand, mais rapidement le projet prend l’eau. On apprend que, pour financer ce renouveau, des logements résidentiels seront construits derrière le site et qu’il ne s’agit pas d’une dizaine d’appartements discrètement insérés dans l’ensemble. On parle d’une nouvelle construction de pas moins de 15 566 mètres carrés pour près 100 appartements de luxe avec vue sur la mer.
Que ce projet soit passé du côté des autorités en charge du patrimoine est tout aussi remarquable. Dans certaines maisons classées, on ne peut pas toucher à une poignée de porte alors qu’ici on ne trouve pas grand-chose à redire au fait que l’on construise un immeuble de potentiellement 15 étages derrière un monument protégé. Une tour qui risque bien de détruire la perspective fait la magie du lieu. Car, ici, la beauté s’étend en longueur. Il est l’un des derniers espaces de la côte belge sans construction en hauteur. Autre point bancal du projet, le déménagement du musée Mu.ZEE. C’est ainsi que les concepteurs du plan de sauvetage espéraient obtenir davantage de subsides flamands par le biais de l’argent des loyers. Sauf que ce même musée, aujourd’hui situé dans le centre, devrait fermer l’année prochaine travaux de rénovation grâce au 7 millions obtenu à la région. Il rouvrira en 2028 dans un bâtiment rénové pour déménager presque immédiatement à Thermae ? Peu probable, d’autant plus que le Mu.ZEE n’est pas un musée ostendais, mais une propriété de la Communauté flamande. La ville d’Ostende n’a donc aucune autorité sur ce point.
Face à tant de couacs, le tollé est tel que, début août, la ville d’Ostende, sous la direction de la coalition Trots Op Oostende, annonce son retrait du projet de construction d’une tour résidentielle et demande dans la foulée 30 millions à la Région flamande. Cette décision met en péril le plan de financement établi par le consortium formé par la ville, Restotel et la Participatiemaatschappij Vlaanderen (PMV). Dans le projet initial, les bâtiments publics et les terrains devaient en effet être joints pour un euro symbolique dans un consortium avec le partenaire privé Restotel, l’actuel concessionnaire des Thermes, qui aurait un co-contrôle de 51 %, contre 4 pour Ostende et 45 pour la Flandre.
Des révélations qui font trembler Ostende
La situation se complique lorsque des documents compromettants surgissent lors d’un conseil municipal houleux. La famille Vanmoerkerke, propriétaire de Restotel, qui gère actuellement l’hôtel, se révèle être impliquée financièrement dans Kaizer, l’entreprise choisie comme gestionnaire du projet. Cette relation, perçue comme un conflit d’intérêts par l’opposition, remet en question l’indépendance supposée du gestionnaire de projet. Tom Schockaert, représentant de Restotel, défend la transparence de son entreprise, affirmant que la ville était informée de leur participation. Malgré cela, les autorités locales affirment ne pas avoir été mises au courant de cette implication.
L’intervention de la Région flamande
Face à cette situation, les ministres flamands Jan Jambon et Matthias Diependaele interviennent, rappelant à la ville d’Ostende ses obligations envers ce monument emblématique. Dans une lettre acerbe, ils critiquent l’incapacité de la ville à trouver une solution viable et durable pour la restauration du Thermae Palace. Ils reprochent à Ostende de n’avoir toujours pas présenté de plan, notamment en ce qui concerne le montant du loyer, l’aménagement de l’espace muséal et l’utilisation d’espaces partagés. « À ce jour, nous n’avons vu aucun résultat concret de ce plan d’affaires », peut-on lire dans le document. Or la région ne va pas donner « un chèque en blanc » de 30 millions d’euros sans savoir à quoi servira cet argent. Dans ce même courrier, on indique tout de même que la Flandre donne son accord de principe » au déménagement de Muzee au Thermae Palace, mais « sous certaines conditions ».
La ville se retrouve avec la patate chaude. Elle est même mise sous pression pour réagir rapidement, d’autant plus que des fonds régionaux, conditionnés à l’avancement des travaux, pourraient être perdus si les délais ne sont pas respectés. Pour les galeries, Ostende a déjà reçu 10 millions d’euros de fonds de relance en 2022. Mais les travaux doivent être achevés en 2026, faute de quoi ces fonds risquent d’être redemandés.
Un héritage en suspens
Le débat sur l’avenir du Thermae Palace reste donc vif à Ostende et le flou le plus total semble à nouveau de mise. Entre les promesses non tenues, les conflits d’intérêts supposés et les pressions politiques, la ville doit désormais rapidement trouver un équilibre entre les intérêts publics et privés pour sauver ce qui reste de ce monument historique. Avec le même projet ou un énième nouveau projet ? L’avenir le dira. En attendant le Thermae Palace lui continue de sombrer.
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