La périlleuse production du logement abordable

A Namur, via un partenariat entre la Régie foncière et Thomas & Piron, des logements du projet Novia sont proposés à un prix plus abordable, sans le coût du foncier. © Sofia Trombello

Si les pistes sont nombreuses, développer des logements abordables à grande échelle reste complexe. Ce segment est traditionnellement financé par les autorités publiques mais il doit se réinventer, faute de moyens. Les partenariats public/privé semblent être une option à explorer davantage.

Une hausse des prix de 18 % en cinq ans pour les appartements. Et de 22 % en cinq ans pour les maisons. Les prix de l’immobilier belge se sont envolés ces dernières années. Seules deux diminutions ont été dénombrées en 20 ans. Preuve de la tendance haussière de la brique belge et de l’inaccessibilité croissante du marché immobilier. La part de revenus dédiée à l’achat d’une maison est d’ailleurs passée en cinq ans de 33 à 38 %. Bien au-delà du seuil de 33 % défini pour déterminer un logement abordable.

Une situation qui pousse en tout cas la plupart des politiques à mettre à l’agenda la nécessité de développer davantage de logements abordables et de qualité. Reste qu’entre la théorie et la réalité, les pistes pour résoudre cette équation sont aujourd’hui loin d’être activées. “L’abordabilité n’est pas qu’un problème belge, c’est un problème européen”, précise toutefois Cédric Van Meerbeeck, head of real estate insights & valuations chez Deloitte, qui vient de réaliser une étude sur le sujet auprès de 24 pays. Il y relève notamment qu’en Belgique un ménage doit en moyenne mettre de côté 7,9 salaires annuels nets pour acheter une nouvelle maison de 70 m². Un chiffre qui place notre pays au milieu du classement européen. Précisons qu’aux Pays-Bas et en République tchèque, les ménages doivent épargner respectivement 15,1 et 13,3 salaires annuels pour acheter un logement comparable.

“Malgré cette position relativement favorable, l’accessibilité au logement reste un problème croissant en Belgique, en particulier à Bruxelles, où près de 40 % de la population est menacée de pauvreté ou d’exclusion sociale, fait remarquer Cédric Van Meerbeeck. En outre, plus de 60.000 ménages sont sur la liste d’attente pour un logement social ou abordable. Le déséquilibre entre l’offre et la demande a entraîné une forte hausse des loyers, ce qui a encore aggravé l’accessibilité des logements locatifs. Dans les grandes villes comme Bruxelles et Anvers, les loyers ont augmenté de manière significative.”

A Louvain-la-Neuve, l’UCLouvain veut aménager un nouveau quartier de 1.250 logements. 40 % seront vendus en dessous des prix du marché et sous emphytéose, avec un système qui permet de lutter contre les plus-values foncières. © pg

Maîtriser l’ensemble du processus

La production de logements neufs se concentre aujourd’hui essentiellement dans les communes les plus chères et les plus centrales. Les promoteurs s’aventurant rarement dans des villes où le prix de vente et la demande sont peu élevés. “Ils ne construisent que là où les prix montent et sont déjà suffisamment élevés pour absorber les surcoûts du projet, nous expliquait il y a peu l’urbaniste David Miet, CEO de la start-up d’urbanisme Villes Vivantes. Et ils construisent naturellement dans des volumes qui ne remettent pas en cause cette tendance haussière. Les risques pris par les promoteurs ne sont acceptables que dans un schéma haussier des prix de vente. Dès que les prix ne montent plus, ils s’arrêtent de produire.”

Les risques pris par les promoteurs ne sont acceptables que dans un schéma haussier des prix de vente.
David Miet

David Miet

Villes Vivantes

L’un des principaux critères qui fait grimper l’addition reste l’incertitude : sur l’obtention d’un permis, sur les coûts de construction, sur les recours éventuels ou encore sur le rythme de commercialisation. “La maîtrise totale et entière du processus est un élément clé, précise Katrien Kempe, directrice de l’UPSI-BVS. Le système est tellement hasardeux que les promoteurs sont contraints d’augmenter les prix pour compenser les risques.” Ils ne visent donc pratiquement que les projets qualitatifs et vendus à des prix élevés, ce qui, s’ils n’y prennent garde, réduira toutefois sérieusement à terme le nombre d’acheteurs potentiels. De quoi se tirer une balle dans le pied.

“Maîtriser les coûts et la rapidité du processus est capital pour parvenir à proposer du logement abordable, lance Luc Parmentier, CEO d’Equilis, qui a réussi à développer un projet de ce type à Gilly (Hainaut), en comprimant les coûts via une architecture épurée, des surfaces plus petites et des services mis en commun. Cela passe aussi par une standardisation de la production, avec une architecture qui va à l’essentiel. Notre projet pourra être vendu environ 20 % en deçà des prix du marché. Mais le modèle serait encore davantage transposable si la construction était modulaire et réalisée hors site. Il faudrait néanmoins être un peu plus soutenu par les pouvoirs publics quand nous lançons ce type d’opération, de manière à éviter des charges et coûts supplémentaires.”

Reste qu’aujourd’hui des promoteurs ne s’aventurent plus dans certaines communes de Wallonie et de Flandre car les prix de vente sont trop faibles par rapport aux coûts de construction. Envisager d’y produire du logement abordable relève donc de l’utopie. “Car les coûts de construction sont les mêmes partout, poursuit Luc Parmentier. Le prix de vente et le prix d’achat du terrain sont donc deux variables d’ajustement majeures.”

A Gilly, Equilis est parvenu à développer un projet de 69 appartements et 18 maisons et à vendre les logements 20 % moins cher via une réduction des surfaces et en comprimant les dépenses. © @DDS+

Le salut des partenariats

Outre une réduction de la taille des logements, une des principales clés pour produire davantage de logements abordables est le foncier. Surtout si le foncier est public (communes, CPAS, fabriques d’église, etc.) et activé via des partenariats public/privé. Soit le fait qu’un acteur public cède sous emphytéose un terrain à un promoteur pour construire des logements avant que celui-ci ne rétrocède ces logements avec une décote sur le prix de vente. “Le dynamisme du secteur privé conjugué aux réserves foncières du secteur public permettrait en effet de réaliser davantage de projets ambitieux, dont des projets de logements publics, estime Katrien Kempe.

Un très grand nombre de PPP pourraient voir le jour sous une structure différente.
Katrien Kempe

Katrien Kempe

UPSI-BVS

Actuellement, la plupart des partenariats public/privé (PPP) qui ont été développés sont dans la grande majorité des cas des ‘PPP financiers’, à savoir des financements publics de projets réalisés par des entreprises de construction. Or, un très grand nombre de PPP pourraient également voir le jour sous une structure différente, avec par exemple, la mise à disposition de foncier public à des développeurs privés afin qu’ils réalisent et financent des projets immobiliers. la différence des PPP actuels, ces projets n’engageraient pas les finances publiques, tout en permettant le développement de projets qui entreraient dans la stratégie de développement du territoire. On y observerait aussi une meilleure programmation entre logements publics et logements privés.”

Ce type de projets existe mais reste encore peu développé en Flandre et en Wallonie. Les possibilités semblent pourtant nombreuses. “La Belgique est confrontée à une pénurie de logements sociaux, des capacités de construction faibles, des besoins de rénovation du parc actuel et des moyens financiers peu élevés, pointe Cédric Van Meerbeeck. Nous estimons qu’il faut plus de 100 milliards pour rénover et augmenter le parc immobilier de logements sociaux. Un montant difficile à financer pour les pouvoirs publics. Le démembrement de propriété est donc une piste qui peut être intéressante à suivre. À Bruxelles, le foncier représente environ 30 à 35 % du coût d’un projet. Si les pouvoirs publics acceptent de céder des terrains via une emphytéose de 99 ans, cela permettrait de réduire les coûts d’acquisition. Il faudra être créatif en la matière mais le foncier public existe. Il y a, il est vrai, des freins comme le fait d’acheter un logement sous emphytéose. Ce qui ne sera pas apprécié par tout le monde mais il faut oser !”

À Bruxelles, le foncier représente environ 30 à 35 % du coût d’un projet.
Cédric Van Meerbeeck

Cédric Van Meerbeeck

Deloitte

Et Cédric Van Meerbeeck d’ajouter que Deloitte étudie actuellement pour la VLAIO (Agence flamande pour l’Innovation et l’Entrepreneuriat) l’idée de développer de l’habitat hybride comme alternative à l’achat et la location classique. Soit le fait de devenir propriétaire de son logement de manière différente, via une coopérative : cette dernière achète le terrain, finance la construction et revend les logements sous forme de parts. “Chaque propriétaire achèterait des parts en fonction de son apport de fonds propres et payerait un loyer plus faible ou plus élevé en fonction de son apport, détaille Cédric Van Meerbeeck. Mutualiser la propriété est une vraie possibilité pour renforcer l’accessibilité. En fait, les possibilités sont multiples mais les pouvoirs publics doivent définir un cadre réglementaire.”

Les pouvoirs publics ont les clés

En Wallonie, dans sa déclaration de politique générale, le gouvernement a inscrit sa volonté d’accentuer le développement des partenariats public-privé. Une manière de “renforcer l’offre de logements de qualité à un coût abordable, notamment par un démembrement du droit de propriété, avec la mise à disposition de terrains publics pour la construction de logements privés et publics via le principe des charges d’urbanisme. Des terrains mis à disposition d’acteurs privés seront ainsi valorisés par divers types d’habitat et d’équipements collectifs.”

Une prise de position qui a en tout cas de quoi satisfaire Michaël Zapatero, responsable des projets de partenariats public-privé chez Thomas & Piron : “Le département des PPP devient l’un des plus importants chez nous. C’est la preuve que cela fonctionne déjà bien. Mais le potentiel reste important. Les pouvoirs publics pourraient actionner encore davantage ce type de collaboration, en mettant notamment à disposition du foncier sur lequel un promoteur vendrait des logements à prix réduit. Cela permettrait de développer du logement abordable à grande échelle. Pour le moment, il s’agit essentiellement de partenariats où nous devons réserver 10 à 15 % des logements pour l’organisme public qui commandite le marché. Mais il est possible de faire beaucoup plus.”

Le département des PPP devient l’un des plus importants chez nous. C’est la preuve que cela fonctionne déjà bien.
Michaël Zapatero

Michaël Zapatero

Thomas & Piron

Et de citer des collaborations avec citydev.brussels, le BEP (Namur), SPI (Liège) ou l’APIBW (Brabant wallon) pour notamment démontrer que c’est possible. “En fait, pour rendre le logement plus abordable, c’est simple, il est nécessaire de réduire les coûts, tranche Cédric Van Meerbeeck. Pour ce faire, une étroite collaboration entre les autorités publiques et le secteur privé sera essentielle. Il faut donc encourager cela.”

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