La course contre la montre des mastodontes du coworking
Les annonces d’ouverture d’espaces de travail flexibles explosent dans la capitale. Tous les promoteurs veulent le leur. Et tous les opérateurs multiplient les prises de position pour tisser leur réseau et se faire une place au soleil. Le tout dans un marché encore empli d’incertitudes. Et où, à moyen terme, une consolidation inévitable en laissera quelques-uns sur le carreau.
Le premier sera installé dans la tour Manhattan, le second dans le Quatuor et le dernier dans la tour Seven. Ils seront distants d’à peine quelques dizaines de mètres. Trois espaces de coworking dans un mouchoir de poche. On y retrouvera Spaces (3.600 m2 mi-2019), Silversquare (10.500 m2 début 2021) et Fosbury & Sons (5.235 m2 mi-2019). Sans parler du fait qu’il suffira, début 2020, de prendre sa trottinette électrique et d’effectuer les 600 mètres qui les séparent de la place De Brouckère pour se rendre dans le plus important espace de coworking de Belgique (WeWork, 16.527 m2 dans la Multi Tower).
Cette hyper concentration d’espaces de coworking dans le quartier nord, à Bruxelles, démontre en tout cas clairement la tendance de fond qui émerge actuellement dans le monde immobilier belge : tous les promoteurs qui développent un projet de bureaux souhaitent installer un espace de coworking dans les premiers étages de leur immeuble. Qu’importe si la viabilité de telles activités n’a pas été démontrée. Qu’importe si les projets se multiplient aux quatre coins de la capitale. Qu’importe si la demande est encore incertaine. Il s’agit avant tout d’une nouvelle manière de rendre son immeuble bankable. ” Il est vrai que le coworking fait aujourd’hui partie des incontournables en matière de bureau, reconnaît Kris Verhellen, le CEO du promoteur Extensa qui accueillera début 2020 un espace de travail partage Spaces dans la Gare maritime (Tour & Taxis). Pratiquement plus aucun développeur ne refuse un espace de coworking dans son immeuble. Cela permet d’offrir des prestations supplémentaires et une flexibilité professionnelle, ce qui est de plus en plus demandé par les entreprises. ”
Tous les promoteurs qui développent un projet de bureaux souhaitent installer un espace de coworking dans les premiers étages de leur immeuble.
D’autant que ces promoteurs profitent d’une autre tendance, la volonté des nouveaux acteurs du coworking (des mastodontes internationaux et des Belges) d’envahir le marché au plus vite, de manière à pouvoir tisser un large réseau. Une clé essentielle de leur déploiement et de leur réussite. ” Le fait de disposer de plusieurs espaces de coworking permet en effet d’offrir des solutions multiples aux travailleurs, explique Axel Kuborn, cofondateur du la société belge Silversquare, pionnier du coworking en Belgique, qui projette d’ouvrir 20 à 25 espaces en Belgique d’ici 2025. Il faut également relever que la cible des utilisateurs a changé. Le coworking ne concerne plus uniquement les freelances et les indépendants. Il vise maintenant les entreprises de 50 à 100 personnes qui ont besoin de flexibilité et d’innovation. On entre dans une seconde vague du coworking. C’était impensable il y a trois ans. ”
Transformer 20% du marché en modèle flexible
Les ouvertures d’espaces de coworking se sont multipliées ces derniers mois dans la capitale. Il n’y a jamais eu autant de locations que l’an dernier : 71.198 m2 repartis dans 14 deals (deux fois plus qu’en 2017). Et c’est loin d’être fini quand on entend la plupart des acteurs parler de leurs velléités d’expansion.
La manière dont le leader mondial des solutions d’espaces de travail flexibles, l’Américain WeWork (20 milliards de dollars de capitalisation, 268.000 clients à travers le monde et 1 milliard de dollars de recettes annuelles), prend actuellement des positions à Bruxelles, espérant assommer la concurrence, le démontre amplement. On sait par exemple déjà qu’il va s’installer au Light On (Eaglestone), au Belmont (Axa) et à la Multi Tower (Whitewood). Avant d’autres encore. ” Cet afflux massif d’espaces de coworking ne m’inquiète pas outre mesure car la Belgique accuse un certain retard en la matière par rapport à d’autres pays européens, explique William Willems, directeur général de Regus et de Spaces Belgique, qui installera fin 2021 un espace Spaces dans le Tweed d’AGRE et de Macan Development (rue aux Laines). A Londres, Paris ou Amsterdam, le coworking occupe 4% des espaces de bureaux pour 1,5% à Bruxelles. Il y a donc encore de la marge. ” Et Axel Kuborn d’ajouter : ” Près de 80% des sociétés employant une à quatre personnes travaillent encore de manière isolée dans un bureau de 100 m2, selon un bail de 3/6/9 ans. Avec toute la paperasse que cela implique. Je suis certain que cela va changer d’ici peu. Nous estimons que 20 à 30% du marché actuel du bureau (sur un stock global de 23,6 millions de m2 en Belgique) vont encore se transformer en un modèle flexible, s’éloignant de la rigidité du bail classique de location. Les utilisateurs vont devenir le coeur de cible, au détriment des sociétés. Nous sommes vraiment au début d’une nouvelle ère. ”
Befimmo et Eaglestone en précurseurs
Un constat qui suscite toutefois encore une série d’interrogations et comprend son lot d’incertitudes quant à l’ampleur réelle qu’il peut prendre. ” Il est nécessaire que ces opérateurs aient une certaine masse critique pour pouvoir subsister et pouvoir offrir un réseau attractif d’espaces de coworking, explique Kris Verhellen, CEO du promoteur Extensa. Ils doivent donc prendre des positions et connaître une croissance très rapide. WeWork investit par exemple des milliards pour mettre la main sur le marché. Il est vrai qu’il y a eu ces derniers mois un certain nombre d’ouvertures mais nous ne sommes qu’au début d’un positionnement très fort. ”
Une situation qui ne laisse en tout cas pas les promoteurs indifférents, tous observant actuellement cette situation d’un oeil attentif ou circonspect. Si certains ont bien compris les enjeux actuels, allant même jusqu’à racheter une société de coworking pour favoriser l’émergence de ce type d’espaces dans leur portefeuille de bureau (Befimmo avec Silversquare) ou à prendre des participations (les 30% d’Eaglestone dans Welkin & Meraki), d’autres s’interrogent. Ce qui se traduit par le fait de suivre le mouvement par opportunisme ou de rester à quai, sceptiques sur cette évolution.
Mais une chose est bien certaine pour tout le monde : après l’explosion viendra le temps de la consolidation. Car même si ces ouvertures seront phasées dans le temps, il ne fait aucun doute pour certains observateurs que tous les acteurs ne pourront survivre dans cet environnement ultra-concurrentiel. ” Il va en effet y avoir des dégâts, prédit David Vermeersch, l’un des deux fondateurs du courtier immobilier BelSquare. Nous allons vers un certain nettoyage, une certaine consolidation. Certains vont disparaître, d’autres se renforcer. Les plus petits vont éprouver des difficultés à survivre. Cela explique en tout cas l’engouement actuel. Il faut aller vite et fort. ” Un scénario qui ne semble toutefois pas inquiéter Benoît De Blieck, le CEO de Befimmo, qui estime que cette concentration devrait être absorbée par le marché : ” Il y aura des réorganisations et des regroupements, mais le nombre de mètres carrés d’espaces de coworking restera et s’accentuera encore par la suite. Le mouvement vers des espaces flexibles n’en est qu’à ses débuts “.
Des stratégies différentes pour ces espaces flexibles
Pour s’en sortir, chaque opérateur devra en tout cas tenter de se différencier. Que ce soit en termes de prix, de taille du réseau ou de localisation. ” Le marché est en effet devenu extrêmement compétitif, explique Axel Kuborn. Il y a eu beaucoup d’annonces d’ouvertures en 2018. Je pense qu’il y en aura moins cette année. Les acteurs internationaux tels que WeWork, Spaces et Welkin & Meraki ont une stratégie quelque peu différente que des acteurs comme Silversquare ou Fosbury & Sons, où la communauté est davantage une préoccupation centrale que le volet financier ou immobilier. Cela fera la différence à moyen terme. ” D’autant plus que si l’ensemble des acteurs désirent être présents dans les centres-villes, à proximité de gares et de noeuds de communication, certains d’entre eux souhaitent par exemple se différencier par une présence dans des villes secondaires. ” Il n’y a pas que les centres-villes, estime William Willems, qui ambitionne de sortir 15.000 m2 d’espaces de coworking par an. Les problèmes de mobilité font qu’il est nécessaire d’avoir des implantations en périphérie. Notre atout est de jouer sur ces deux volets. Ce n’est qu’en se positionnant de manière différente que l’on pourra se partager le gâteau. “
A la différence d’un investisseur, l’un des objectifs d’un promoteur est de vendre son immeuble de bureaux au plus vite une fois la construction terminée. Et si c’est avant, c’est encore mieux. Le prix de vente dépend quant à lui du nombre et du type de locataires qui ont déjà signé un contrat de bail. Plus ils sont fiables et possèdent des baux à long terme, plus le prix grimpera. Vu le contexte actuel, il y a donc lieu de s’interroger sur la plus-value réelle que peut amener un espace de coworking à la valeur d’un bâtiment. ” C’est clairement un avantage, tranche David Vermeersch (BelSquare). Cela apporte de la valeur à un actif. Du moins si la prise en occupation ne dépasse pas un quart de la taille du bâtiment. ” Selon WeWork, tous les immeubles dans lesquels ils se sont installés ont pris de la valeur et se sont vendus à un prix supérieur.
Un espace de coworking permet en effet d’offrir de nouveaux services aux entreprises. Et de séduire les millennials, ces jeunes de 25 à 35 ans qui ne veulent plus être attachés à un bureau et qui ont besoin d’un cadre de travail attractif et séduisant. ” Sans parler du fait que cela peut répondre à des besoins ponctuels d’entreprises qui ont besoin de renforcer leur effectif pendant une période donnée ou pour un projet en particulier “, fait remarquer Kris Verhellen (Extensa).
A contrario, un immeuble qui serait intégralement loué à un acteur du coworking, comme cela commence à se faire, serait par contre un placement beaucoup plus risqué. ” Cela nous fait effectivement un peu peur, précise David Vermeersch. En matière de diversification des risques, ce n’est pas idéal. Il y a encore un peu trop d’incertitudes sur ce modèle, d’autant plus qu’on assiste à une multiplication des espaces de coworking. ” Reste que, d’après nos informations, les acteurs du coworking s’engagent sur des baux de longue durée (12 à 15 ans) et payent des loyers dans la moyenne du marché. ” Un espace de coworking ne prend pas la place d’autres locataires, lance Benoît De Blieck (Befimmo). Ce n’est pas un danger pour les opérateurs classiques. Nous louons même plus facilement à d’autres locataires quand il y a un espace de coworking dans l’immeuble. Il s’agit donc plutôt d’un atout. “
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