Les grandes villes européennes brillent dans le classement des endroits les plus prisés sur le marché de l’immobilier de luxe, d’après Barnes, acteur majeur du secteur à l’international. La capitale espagnole mène le classement et dame désormais le pion à Dubaï. Bruxelles n’est pas mal classée, mais ne suit pas le mouvement à la hausse de ses concurrentes du Vieux Continent.
Cent mille euros du mètre carré pour s’offrir une villa ou un appartement dans le tout nouvel écoquartier de la principauté de Monaco, “La Mareterra”. Plusieurs transactions viennent de se nouer à ce prix, et cela avant même leur achèvement, pour des bâtiments dont la superficie ne descend jamais sous les 400 m². Monaco figure au pied du podium, en quatrième place du Barnes City Index 2025, un classement réalisé par la société immobilière spécialisée dans le luxe, sur base de critères financiers, pratiques et affectifs. Le Rocher profite évidemment de sa beauté, mais aussi de sa situation fiscale particulière.
Madrid, capitale de l’Amérique du Sud
La médaille d’or de cette année revient pourtant à une autre ville du sud de l’Europe : Madrid gagne trois places et domine aujourd’hui ce palmarès. Si elle vient se hisser en tête devant Dubaï, parmi les places les plus prisées du monde, la capitale espagnole le doit en partie à sa langue.
Ce sont en effet les familles fortunées d’Amérique du Sud, qui – après avoir beaucoup investi en Californie – plébiscitent désormais la ville de “La Puerta Del Sol” : parce que ces familles parlent déjà la langue, parce qu’elles ont souvent des facilités à obtenir le passeport espagnol, pour les 300 jours d’ensoleillement par an, la fluidité de la circulation dans la capitale espagnole, et le placement sans risques que ces achats immobiliers constituent.
Six villes européennes dans le top 10
Madrid est aujourd’hui le symbole d’une dynamique plus large : les grandes villes européennes trustent en effet une majorité de places dans le top 10 du classement des villes les plus attractives pour les personnes qui détiennent un patrimoine d’au moins 30 millions de dollars. On retrouve ainsi Milan à la cinquième place, devant Paris, tandis que Londres occupe le huitième rang devant Rome. La ville-phare du Royaume-Uni, malgré son statut de place financière charnière, continue de payer sa sortie de l’Union européenne et est en recul de deux positions.
Attardons-nous justement sur le succès fulgurant de Milan : la ville lombarde gagne 12 places et le doit notamment à un système fiscalement avantageux pour les plus fortunés : les revenus perçus hors d’Italie sont exonérés d’impôts, y compris les droits de succession, après paiement d’un forfait de 100.000 euros de taxes. Les riches familles d’expatriés viennent donc investir dans l’immobilier de luxe en Lombardie, région transalpine qu’ils préfèrent à Rome pour sa proximité avec les stations de ski, sans être trop excentrée des stations balnéaires.
À Bruxelles, une hausse des transactions mais…
Et notre capitale à nous, dans cet éventail de places de luxe ? Bruxelles figure à la 30e place du classement, un recul d’une place par rapport à l’an dernier. Dans l’entretien qu’elle nous a accordé, Frédérique Pauporté, CEO de Barnes Bruxelles, résume la situation : “On constate une hausse du nombre de transactions, mais dans un marché constant au niveau des prix. On ne transmet plus autant aux enfants, les gens restent moins longtemps propriétaire, ou sont davantage enclins à changer de formule d’habitat, même dans le luxe, quand les enfants quittent la maison par exemple.”
On tourne ici davantage autour des 7.500 euros du mètre carré, parfois avec des pointes record à 15.000 euros. Ces montants rougissent de la comparaison avec notre illustration monégasque en début d’article, évidemment, mais la capitale belge reste une valeur sûre, particulièrement ses “quartiers premium”, ceux qui fonctionnent toujours bien : de Fort Jaco au Châtelain, en passant par les étangs d’Ixelles, Val Duchesse, Montgomery (ciblé par de nombreux fonctionnaires européens) et la totalité de Boitsfort.
“On enregistre beaucoup de ventes à Bruxelles, mais dans un marché constant au niveau des prix.” – Frédérique Pauporté, CEO de Barnes Bruxelles
Des profils très diversifiés
Parmi les acheteurs de cet immobilier de haut standing chez nous, on retrouve des profils très diversifiés. “Si je regarde au sein de mes clients bruxellois, poursuit Frédérique Pauporté, il y a un agent de voyage qui habite à trois endroits du monde sur une année, un jeune artiste qui achète un bien ou un atelier dans la foulée d’une foire où il a pu écouler ses tableaux. Et des Français qui viennent habiter en Belgique, souvent avec plusieurs enfants.”
Sur ce terrain, le cliché d’un Bernard Arnaud qui viendrait fixer sa résidence dans notre Royaume pour des raisons fiscales semble moins présent qu’avant. “Ce samedi, j’ai des rendez-vous avec deux familles qui veulent s’installer dans notre capitale, dont une avec ses quatre enfants, ce qui nécessite une multiplication des pièces. On enregistre également de plus en plus de demandes pour ‘un bureau monsieur et un bureau madame’, depuis que les gens sont davantage en télétravail.”
La situation politique de Bruxelles épinglée
Si l’élection de Donald Trump accroît la volatilité du marché de l’immobilier de prestige, l’absence de gouvernement régional bruxellois provoque elle aussi des remous. L’absence de succession au gouvernement Vervoort empêche la capitale d’éventuellement s’adapter aux dernières évolutions mises en place au nord et au sud du pays. Les récentes décisions des gouvernements régionaux voisins rendent Bruxelles moins concurrentielle : 3% de droits d’enregistrement en Wallonie pour la résidence principale, 2% en Flandre, contre 12,5% à Bruxelles.
Trump déboussole les investissements dans l’immobilier de luxe
Avec quelques mois de recul, on constate que l’élection de Donald Trump a provoqué des réactions contradictoires chez les clients habituels de l’immobilier de luxe. Avant la victoire électorale du républicain, le marché était resté assez attentiste. Au soir de sa prestation de serment, un vent d’optimisme s’est installé, notamment parce que le nouveau président est lui-même un richissime promoteur immobilier.Mais les annonces changeantes sur les coupes budgétaires, les droits de douane et la diplomatie américaine ont créé un sentiment d’instabilité. Outre-Atlantique, un besoin de diversifier ses placements a amené les grandes fortunes américaines à acheter de l’immobilier parisien, ces derniers mois, dans la foulée des Jeux olympiques réussis. L’optique d’un retour de la guerre sur notre continent, attisé par les menaces du retrait du soutien militaire américain à l’Europe, agite également le marché immobilier européen.
“Ce qui nous est arrivé depuis l’élection de Trump n’est pas banal, épingle David Cardon de Lichtbuer, le directeur de Barnes Bruxelles. Certains de nos clients nous appellent le matin parce qu’ils veulent tout vendre, compte tenu de la menace d’une invasion russe au-delà de l’Ukraine. Pour la même raison, d’autres clients quelques heures plus tard nous appellent parce qu’ils veulent au contraire… investir tous leurs capitaux dans l’immobilier, valeur refuge par excellence ! Deux types de comportements et d’interprétation contradictoires des conséquences du risque de guerre, sur la même journée.”
Enfin, il y a encore une dernière source d’inquiétude suscitée par la situation politique : le système bruxellois de primes à la rénovation énergétique désormais en stand-by. Cet été, sa finançabilité a été remise en question, une rustine budgétaire a permis de prolonger l’octroi des montants promis jusque fin 2024.
“Or, même dans l’immobilier de luxe, les acheteurs sont attentifs à la performance énergétique des bâtiments, et au soutien financier public possible, pour réaliser les aménagements nécessaires à l’amélioration de ces performances, indique le directeur de Barnes Bruxelles, David Cardon de Lichtbuer. Les biens qui nécessitent des travaux effraient nos clients encore plus qu’avant. Le délai pour obtenir un permis d’urbanisme tourne autour de deux ans, la procédure mériterait d’être urgemment réformée ! De même, si les travaux freinent l’intérêt des candidats acquéreurs fortunés pour une demeure, c’est aussi parce qu’en Belgique, le secteur de la construction manque de travailleurs, dans plusieurs corps de métiers, il faudrait une bonne fois pour toutes prendre des mesures pour revaloriser ces filières.”

Les achats de luxe des Belges à l’étranger
Si la hiérarchie des villes prisées a subi quelques changements en 2025, et que la situation politique plus incertaine vient bousculer certains comportements, il y a en revanche assez peu de bouleversements dans les tendances d’investissement des Belges à l’étranger, toujours dans ce secteur de l’immobilier de prestige : “Le Belge investit énormément dans les résidences secondaires, comme à Verbier, Megève, Courchevel, dans les stations de montagne haut de gamme d’une façon générale”, détaille Thibault de Saint-Vincent, président de Barnes. Il y a aussi la Côte d’Azur, Nice (pour ceux qui prennent leur retraite), la Provence.
“Dans ses achats, le francophone vise des destinations plus discrètes, dans des endroits plus paisibles, au contraire de l’acquéreur flamand davantage attiré par le bling-bling”, ajoute la patronne de Barnes Bruxelles.
Des achats qui ne sont pas près de s’épuiser, et pas que pour les Belges, malgré le contexte international changeant. Depuis 2023, le nombre de personnes très riches a repris sa marche en avant : 426.330 personnes ou familles détiennent un patrimoine d’au moins 30 millions de dollars, les UHNWI (Ultra High-Net-Worth Individuals). Soit une croissance de 7,9% par rapport à la période covid, et qui pourrait atteindre les 600.000 personnes à travers la planète, dans les trois ans qui viennent.
Antonio Solimando