Immo: le grand business des certifications environnementales
La durabilité d’un bien est dorénavant un élément incontournable pour louer ou vendre un immeuble de bureaux, un centre commercial ou un ensemble résidentiel. Tous les développeurs courent toujours plus vite derrière une certification environnementale et tentent d’accrocher un étendard international à leur projet. Surfant sur le coup marketing dans un premier temps, ils doivent désormais aller encore un cran plus loin pour se différencier sur le marché.
Le Black Pearl, l’Allianz Tower, le siège de Bruxelles Environnement, le Belliard 65, le futur siège de BNP Paribas Fortis ou encore Docks Bruxsel. Et il y en a encore beaucoup d’autres. Autant d’immeubles bruxellois qui possèdent ou visent le top du top en matière de certification environnementale. De quoi évaluer au mieux la durabilité d’un bâtiment. Une tendance de plus en plus dans l’air du temps. Une manière aussi de se distinguer de la concurrence, d’améliorer son image et, en plus, de louer ou vendre son bâtiment bien plus aisément. Ce qui reste appréciable pour un secteur toujours plus avide d’optimaliser ses investissements. ” Il y a bien évidemment un côté marketing derrière cette démarche et cette course à l’efficience environnementale des bâtiments, reconnaît l’architecte Philippe Samyn, du bureau Samyn & Partners. Mais ne boudons pas notre plaisir, il faut également saluer le fait que cela tire les projets vers le haut. Présenter un beau bâtiment et bien situé ne suffit plus. Il doit posséder d’autres qualités. ”
Certains se contentent de regarder simplement le fait qu’un bâtiment a obtenu le Breeam sans s’attarder sur le fait qu’il est au plus bas niveau de l’échelle ou au plus haut.” – Jean-Louis Hubermont (Building for the future)
Quand un développeur immobilier se lance aujourd’hui dans un projet, que ce soit du bureau, un centre commercial ou un ensemble résidentiel, il a désormais, encore davantage que par le passé, cette obligation de se distinguer sur le plan environnemental. ” En matière de bureau, c’est devenu incontournable pour un nouvel immeuble, fait remarquer Erik Verbruggen, head of office chez le courtier immobilier JLL Belgium. Si un développeur veut le vendre ou le louer rapidement, plus personne ne se lance dans un projet sans tendre vers l’objectif de décrocher une certification environnementale élevée, qu’elle soit Breeam (lire l’encadré “Les principales certifications”) ou zéro énergie. Et encore davantage si un promoteur le loue au préalable avant de le vendre à un investisseur par la suite. ” Un constat confirmé par Philippe Sallé, responsable du développement chez le promoteur immobilier BPI : ” Surtout pour un acteur comme nous par exemple, qui n’avons pas vocation à garder dans notre portefeuille un immeuble de bureaux que nous développons. Il est difficilement concevable qu’un investisseur mette la main sur un bâtiment sans cela. Il s’agit d’un critère parmi d’autres, mais il est vraiment indispensable. ”
Une soixantaine de certifications sont actuellement sur le marché. La plus populaire est la Breeam, qui séduit la plupart des acteurs. Leed, HQE et DGNB complètent le top 4. ” A Bruxelles, 97 % des nouveaux immeubles sont certifiés Breeam, relève Jean-Louis Hubermont, directeur général de Building for the future, une société qui propose une assistance et des conseils dans le domaine de la certification. Elle a l’avantage d’être reconnue sur le plan international, ce qui permet aux investisseurs d’avoir un certain étalon de comparaison quand ils souhaitent acheter un immeuble. Leed est beaucoup moins utilisée. Même si CFE et Cofinimmo viennent de la choisir pour Neo II (projet de développement du plateau du Heysel, Ndlr). ” Ajoutons que la Belgique a également développé son propre outil de certification, avec Valideo. Mais c’est un euphémisme d’écrire qu’il est peu utilisé et relativement méconnu. La faute au fait que, selon certains observateurs, il soit arrivé avec une décennie de retard sur le marché.
Si on dénombre donc de nombreuses méthodes d’évaluation en matière de durabilité des bâtiments, elles fonctionnent toutefois d’une manière relativement similaire. Toutes doivent pouvoir prouver tout au long du chantier le respect de quelques critères qui balaient une série de thèmes durables (santé, bien-être, énergie, eau, transport, matériaux, déchets, étude de site, écologie, pollution, management), avec des objectifs minimums à atteindre. Si l’accent était, au départ, principalement mis sur les enjeux énergétiques des bâtiments, il y a désormais une visée bien plus large. Le confort des occupants, la localisation, la gestion des déchets, la réversibilité du bâtiment, la proximité des transports en commun, la mise à disposition de vélos ou de véhicules électriques ou encore la pollution sont maintenant pris en compte. Un certificat est ensuite décerné en bout de course en fonction du niveau atteint (de satisfaisant à excellent). ” Le travail des assesseurs est à ce titre essentiel, précise Jean-Louis Hubermont. Ils doivent suivre le chantier et attribuer un certain nombre de points en fonction des différents critères. L’introduction de ces certificats a en tout cas vraiment permis de faire évoluer la conception et le développement d’un projet. ”
Vendre son immeuble plus rapidement
Quel est l’intérêt pour un promoteur de se lancer dans une telle certification ? Les réponses sont multiples. Le coût est relativement marginal (30.000 à 75.000 euros) dans la financement global d’un projet de plusieurs dizaines de millions d’euros. Le retour sur investissement est par contre difficilement quantifiable. ” Il y a quelques années, l’obtention d’un certificat Breeam permettait de louer ou de vendre son bien beaucoup plus rapidement ( une étude effectuée aux Etats-Unis montrait que le taux d’occupation (+ 3%), le loyer (+ 3,5%) et la valeur (+ 7,5%) d’un immeuble certifié Breeam sont plus élevés que pour un immeuble non certifié, alors que les coûts opérationnels sont inférieurs, Ndlr). Mais, à ma connaissance, cela n’a jamais fait grimper le prix de vente en Belgique, se souvient Jean-Louis Hubermont. ” Un sentiment partagé par Erik Verbruggen, de JLL. ” Par contre, ne pas avoir de certificat en poche peut diminuer le prix de vente, ajoute-t-il. Il vaut donc mieux l’avoir, comme d’autres techniques élémentaires ou gestes architecturaux. La durabilité est devenue un élément standard chez les grands groupes internationaux. Certains vont même jusqu’à refuser de s’installer dans des bureaux qui n’ont pas de certification durable. ” Ajoutons aussi que l’acquéreur peut poursuivre le travail de certification après avoir investi ses nouveaux bureaux, par le biais par exemple du Breeam In-Use, qui permet de suivre l’évolution des efforts environnementaux dans le temps.
” Cela permet aussi à l’immeuble d’être up-to-date et de garder une certaine valeur, lance Philippe Sallé. Le coût opérationnel d’un bâtiment est de plus en plus pris en compte lors d’un deal. S’il est modulable et smart, c’est encore mieux. Nous allons aussi vers une mixité des utilisations. Avec du coworking au rez-de-chaussée et des utilisations variées aux étages, avec différents services connexes offerts (voitures ou vélos partagés, salle de sport, laverie, etc.). Il est intéressant de se montrer exemplaire vis-à-vis de nos clients, de manière à pouvoir être crédible dans notre démarche environnementale. ”
Un emplâtre sur une jambe de bois
” On relève toutefois actuellement un léger essoufflement de l’attractivité des certifications, du fait de la relative standardisation de cet outil, prévient Erik Verbruggen. Il en faut donc davantage pour se démarquer. ” La certification environnementale est en effet aujourd’hui devenue en quelque sorte la norme sur le marché pour un nouvel immeuble. A l’avenir, il faudra donc aller un cran plus loin pour émerger face à la concurrence. Présenter un beau bâtiment fonctionnel, bien certifié et doté d’un certificat Breeam ne suffira plus. ” D’autant que certains se contentent de regarder simplement le fait qu’un bâtiment a obtenu le Breeam sans s’attarder sur le fait qu’il est au plus bas niveau de l’échelle ou au plus haut, note Jean-Louis Hubermont. Il y a un peu de marketing là derrière. Les investisseurs ne vont pas creuser plus loin. ” Et de citer l’attention qui sera portée à l’avenir sur le confort d’un bâtiment, sa modularité ou encore son recyclage.
” Les certifications environnementales, c’est un petit business qui ressemble à un emplâtre sur une jambe de bois, fait remarquer l’architecte Philippe Samyn. C’est intéressant, mais cela ne résout pas les grandes questions environnementales actuelles. La réflexion doit être globale. Va-t-on continuer à utiliser du béton plutôt que du bois à brûler ? Les immeubles qui se vendent actuellement ne sont pas nécessairement bons pour la planète. Construire en hauteur est par exemple banni à Bruxelles. Or, à l’avenir, nous devons aller en ce sens sur le plan environnemental, de manière à aménager des espaces verts sur les zones non construites. Il faut aller plus loin que ces certifications. Breeam et Leed sont déjà pratiquement dépassées. Il va falloir devenir de plus en plus sélectif à l’avenir dans les choix effectués. Réfléchir davantage en amont au cradle to cradle (écoconception, Ndlr). Aller vers des immeubles autonomes en énergie. Nous devons arrêter avec cette approche court-termiste, qui vise à démolir et reconstruire les bâtiments. J’ai contribué à cette économie. Mais il faut aujourd’hui changer son fusil d’épaule. ”
BREEAM
L’acronyme de Building Research Establishment Environmental Assessment Method. Il s’agit de la certification la plus reconnue et répandue au monde pour déterminer la durabilité d’un bâtiment. Près de 600.000 bâtiments ont obtenu un tel certificat. Cette certification, développée au Royaume-Uni, est devenue le standard courant pour les entreprises européennes et la plus utilisée en Belgique. Des assesseurs, nommés par pays, sont chargés de guider et d’évaluer le niveau de performance d’un bien immobilier en matière de durabilité. L’évaluation va de satisfaisant à excellent. Une septantaine de critères sont pris en compte. Cette certification s’applique tant aux bureaux, qu’aux hôpitaux, établissements scolaires ou habitations.
HQE
Label haute qualité environnementale. C’est la certification française. Elle repose sur quatre critères : l’énergie, l’environnement, la santé et le confort. On recense près de 400.000 bâtiments certifiés dans le monde. Elle est très peu utilisée en Belgique et critiquée par certains.
LEED
Leadership in Energy and Environmental Design. L’homologue américain de Breeam. Il est principalement populaire sur le continent américain (près de 100.000 bâtiments certifiés dans le monde). La recherche d’une certification Leed en Europe est souvent justifiée par la recherche d’investisseurs ou de locataires à dimension internationale. Si les objectifs sont semblables, les règles et critères diffèrent quelque peu par rapport au Breeam.
VALIDEO
C’est la version belge, mise au point par le bureau de contrôle technique pour la construction Seco, BCCA (Belgian construction certification association) et le CSTC (Centre scientifique et technique de la construction). Elle a pour objectif de valoriser la qualité, le confort, l’impact social et environnemental d’une construction et la compétence d’une organisation. Valideo a toutefois quelques difficultés à percer, la plupart des développeurs préférant le côté international de Breeam. ” L’initiative est intéressante mais arrive avec 10 ans de retard “, confie un observateur du secteur.
Le bureau d’architecture bruxellois A2M est l’un des précurseurs belges en matière de construction durable. Il suffit d’ailleurs de jeter un oeil sur son site internet pour voir que ce bureau ne fait pas les choses comme les autres : ses différents projets sont classés selon leur niveau de performances énergétiques et non, comme c’est toujours le cas, par type de bien. Rencontre avec Sébastien Moreno-Vacca, à la tête de ce bureau d’une vingtaine de collaborateurs fondé au début des années 2000.
TRENDS-TENDANCES. Un développeur immobilier peut-il aujourd’hui se passer d’une certification environnementale ?
SÉBASTIEN MORENA-VACCA. Non. Par contre, pour ma part, je n’y suis pas spécialement attaché. Cela a permis de conscientiser le secteur sur les enjeux de la construction durable à une époque où le passif était considéré comme la lubie de certains environnementalistes. Mais aujourd’hui, comme les standards sont la plupart du temps atteints, ce n’est plus vraiment une priorité.
Les développeurs que vous rencontrez sont-ils conscientisés par ces enjeux ou l’argument marketing prime avant tout ?
Aujourd’hui, obtenir la certification Breeam est devenu un réflexe naturel. Il faut reconnaître que cela a permis de structurer l’approche durable d’un projet, de faire évoluer les consciences. En immobilier, la plupart du temps, les gens ne se soucient guère du nom de la certification, du moment qu’ils l’obtiennent et qu’ils pourront la valoriser. Or, certaines sont vraiment de faible qualité. Il y a en quelque sorte une course à la certification.
Il faudrait donc aller un cran plus loin. Comment y parvenir ?
Quand l’architecture, la localisation ou les performances énergétiques sont relativement similaires, les promoteurs souhaitent pouvoir offrir autre chose de manière à vendre rapidement leur immeuble de bureau. Il faut proposer davantage qu’une simple ferme urbaine, qui est un classique aujourd’hui. Désormais, il faut aller au-delà du zéro énergie et de l’impact CO2 neutre ( par le biais de compensation, Ndlr), il faut permettre de régénérer le site. C’est-à-dire que la situation environnementale doit être meilleure après la construction qu’avant. Sur le plan de la biodiversité par exemple. C’est notamment ce que nous avons développé pour Atenor dans le cadre d’un concours à Paris baptisé ” Réinventer la métropole “.
Le coût supplémentaire de ce type de projet freine-t-il les ambitions des promoteurs ?
C’est un faux débat. Pour des projets de plus de 5.000 m2, il y a suffisamment de leviers sur lesquels nous pouvons agir pour équilibrer le budget. Un promoteur proposera rarement dès le départ un bâtiment vert. Par contre, s’il a l’assurance de le vendre ou de le louer plus rapidement, il s’engouffrera plus facilement dans la brèche. Or, ce type d’immeuble est aujourd’hui très demandé.
Etes-vous optimiste pour l’avenir ?
Oui, vraiment. Car, par rapport à ce que l’on découvre à l’étranger, le niveau est très bon en Belgique. Il y a un savoir-faire élevé des entrepreneurs, des bureaux d’études ou encore des ingénieurs. Ce qui devrait multiplier à l’avenir les développements de qualité.
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici