Immo: la revanche de Wilhelm & Co sur la Ville de La Louvière

La Louvière – La Strada

Le litige financier entre le promoteur immobilier Wilhelm & Co et la Ville de La Louvière touche à sa fin. L’indemnisation pourrait atteindre près de 85 millions d’euros. Un record. Il met surtout en lumière les relations compliquées qui peuvent apparaître entre communes et promoteurs.

En septembre dernier, 16 ans après avoir remporté l’appel d’offres européen pour mener à bien via un partenariat public-privé la réhabilitation de l’ancien site des faïenceries Boch en un nouveau quartier mixte (16 hectares au centre de La Louvière), Wilhelm & Co a enfin débouché le champagne. Pas vraiment pour célébrer l’inauguration de ce vaste projet immobilier de près de 100.000 m². Mais plutôt pour saluer la décision en sa faveur de la cour d’appel de Mons, mettant fin à une décennie de tensions et de relations exécrables entre des pouvoirs publics et un promoteur immobilier.

Une dégustation au goût amer donc, mais avec une pointe de revanche qui ne devait pas être désagréable dans la bouche de Peter Wilhelm. D’autant que si l’expert judiciaire – qui vient d’être nommé et rendra son avis d’ici six mois – confirme l’estimation du préjudice subi, le CEO de Wilhelm & Co aura de quoi s’acheter quelques milliers de caisses des meilleurs champagnes. PwC a en effet calculé le préjudice du promoteur à 85 millions. La Ville de La Louvière a, de son côté, demandé à Deloitte d’estimer ses pertes.

Des indemnités historiques

Au départ, pourtant, tout le monde semblait gagnant dans l’opération. La Louvière avait l’occasion d’effacer les stigmates de son passé industriel en construisant 600 logements, un centre commercial d’envergure, des salles de cinéma et des loisirs divers. De l’autre, Wilhelm & Co pouvait espérer un beau retour sur investissement, comme il l’a démontré avec la construction des centres commerciaux de L’Esplanade à Louvain-la-Neuve et de Médiacité à Liège.

Au final, rien ne s’est passé comme prévu. Incompréhensions, mauvaise foi et coups bas ont rythmé les relations pendant plus de 15 ans. Chaque partie ayant ses torts. Pour quel résultat à l’arrivée ? Seuls 96 logements ont été construits par le promoteur. Le chancre est toujours présent, les terrains sont revenus dans l’escarcelle publique, Wilhelm & Co ne veut plus entendre parler de La Louvière et l’ardoise que la Ville devra payer pour compenser la rupture du marché s’annonce salée. “Tout le monde est perdant dans cette affaire, analyse un observateur de la première heure de ce projet. L’animosité entre deux hommes a plombé toute possibilité de mener ce développement immobilier à bon port.”

Si l’indemnisation qui s’annonce sera historique sur le marché immobilier belge, le dossier de La Strada met surtout en lumière les relations tumultueuses qu’entretiennent régulièrement promoteurs et responsables communaux. L’arrogance et l’impétuosité des uns se confrontant le plus souvent à la prudence et aux réticences des autres. “Il est évident que ce sont deux mondes différents qui se rencontrent lors d’un projet immobilier, confie Gilles Delacroix, cofondateur du cabinet d’accompagnement juridique D-Sight. D’un côté des professionnels aguerris, de l’autre des politiques qui ne disposent pas toujours des ressources techniques et humaines qui sont nécessaires à la gestion d’un projet d’envergure. Cela peut donc créer des étincelles. Mais il faut également préciser que les relations peuvent être bonnes dans de nombreuses situations. Tout n’est pas noir ou blanc.”

Il est évident que ce sont deux mondes différents qui se rencontrent lors d’un projet immobilier.
Gilles Delacroix

Gilles Delacroix

D-Sight

Des conflits de personnes à tempérer

L’époque où un promoteur fonçait tel un bulldozer vers la demande de permis sans consulter au préalable la commune ou présenter le projet aux riverains est clairement révolue. À l’exception bien évidemment de quelques kamikazes qui estiment toujours que, sur un malentendu, cela peut passer.

“Le travail en amont d’un dossier est de plus en plus important, reconnaît Gilles Delacroix. Lors d’un refus de permis, chacun peut toutefois avoir des torts. Une commune peut se braquer car elle ne souhaite pas une densité élevée pour l’urbanisation d’un terrain ou car cela ne cadre pas avec sa vision du territoire ni avec celle des riverains. De l’autre, un promoteur peut parfois également ne pas entendre des remarques et se braquer. Il peut notamment estimer que son projet ne peut descendre en dessous d’un certain nombre d’appartements car cela entraverait sa faisabilité financière. Toutefois, ce n’est pas parce qu’il a payé son terrain trop cher que la collectivité doit compenser le fait qu’il a mal travaillé. En résumé, les deux parties ont des positions fortes et assumées, avec lesquelles il faut composer.”

Un constat partagé par Olivier Carrette, le CEO de l’Upsi (Union professionnelle du secteur immobilier), qui estime que seul le dialogue peut permettre une issue favorable : “Certains promoteurs sont à même de saisir les projets qui s’intègrent au mieux dans la vision d’une ville. D’autres ont, par contre, davantage de difficultés à les percevoir. Cela se traduira inévitablement dans la durée d’obtention d’un permis. Pour le reste, il y a bien évidemment des questions de personnes qui entrent en jeu, de qualité architecturale, de densité ou des contraintes techniques. Mais développer des projets cohérents est un premier pas vers une compréhension des besoins mutuels. Les communes ont besoin des promoteurs. Et vice-versa.”

Et Olivier Carrette de prendre l’exemple de Maxime Prévot, bourgmestre de Namur, qu’il vient d’inviter à une conférence, pour démontrer que certaines autorités communales possèdent une vision et s’y tiennent, qu’importe les oppositions. “Ce n’est bien évidemment pas le seul, dit-il. Mais il faut pointer ceux qui ont le courage politique de prendre des décisions. Une commune possède tout à fait le droit de refuser un projet. Mais ce que souhaitent les promoteurs avant tout, c’est un cadre d’action qui soit clair et bien défini. Et que les règlements juridiques et urbanistiques soient respectés. Cette prévisibilité est essentielle. Nous sortons d’une période électorale qui a gelé bon nombre de projets. J’espère que chaque commune va dorénavant déterminer ses ambitions en matière de développement immobilier.”

Les droits et devoirs de chacun

Si les tensions entre promoteurs et communes sont nombreuses et qu’elles ne semblent pas prêtes de diminuer, des voies médianes semblent néanmoins possibles à trouver. “Je peux comprendre les réticences des communes à octroyer des permis d’urbanisme, fait remarquer Bernard Jacquet, CEO du promoteur Aboreal. Il s’agit d’une matière compliquée, qui est très sensible pour une partie de la population, ce qui entraîne son lot de réactions. Surtout à Bruxelles et en Brabant wallon où la densité est déjà très importante et la pression foncière également. Je relève toutefois, dans certains cas, un manque de courage et de vision politique pour favoriser le bon développement d’une commune ou d’une ville. Je pense sincèrement qu’avec une communication plus transparente, il est possible de supprimer bon nombre d’incompréhensions.”

Il serait intéressant de prévoir des phases intermédiaires qui soient irréversibles.
Peter Wilhelm

Peter Wilhelm

Wilhelm & Co

Un avis qui est en tout cas rejoint par Peter Wilhem : “De nombreux projets immobiliers se déroulent très bien. Mais quand des problèmes apparaissent, cela peut être lié à la personnalité des acteurs, au manque de compétence des élus, à un déficit de personnel dans les services urbanisme et à l’absence de sécurité juridique si le projet dépasse une législature. Il serait intéressant de prévoir des phases intermédiaires qui soient irréversibles.”

En Wallonie, un autre élément risque toutefois d’encore accentuer les tensions à court et moyen terme. Chaque commune dispose désormais de six ans pour ajuster le périmètre des centralités défini dans le Schéma du développement du territoire. Et ce via l’élaboration d’un schéma de développement communal. Tant que cet outil n’est pas adopté – et sa réalisation prend de trois à quatre ans –, les communes pourraient être tentées de repousser les velléités des promoteurs. “C’est clairement une crainte que nous avons, relève Olivier Carrette. Ce ne serait pas de nature à rassurer le secteur de la construction qui reste capital pour l’économie belge. Il y a toutefois des règlements urbanistiques à respecter. Tous les projets ne pourront donc être refusés. On verra. Dialoguons !” 

Un expert doit valider l’indemnité de 85 millions

Il faudrait de longues pages pour retracer tous les épisodes urbanistiques et juridiques qui se sont succédé ces dernières années entre Wilhelm & Co et la Ville de La Louvière. Le dernier en date ? La décision de la cour d’appel de Mons, actée le 25 septembre, qui précise que l’appel du promoteur sur la résiliation unilatérale de la convention de partenariat était fondé et que la demande d’indemnisation de la Ville de La Louvière était partiellement fondée. Une belle victoire pour Wilhelm & Co puisque les retournements de situation sont désormais très minces. Seul un pourvoi en cassation est encore possible.
Un expert judiciaire a désormais six mois pour déterminer les préjudices financiers des deux parties, que ce soit sur les frais déjà engagés, sur les bénéfices non réalisés ou encore sur les frais dû à l’allongement des délais d’exécution. L’expert peut également tenter une conciliation entre les deux parties.
PwC estime que les pertes de Wilhelm & Co s’élèvent à 15 millions d’euros pour les frais déjà engagés (architectes, urbanistes, ingénieurs, avocats, etc.) et à 70 millions pour les bénéfices non concrétisés. Ce dernier montant est basé sur un rendement espéré de 15 %. “Sans vouloir présager du travail de l’expert, ni m’avancer sur les montants, je m’attends à un calcul peut-être différent mais seulement à la marge”, a lancé Peter Wilhelm à nos confrères de SudPresse, lui qui ne veut plus s’exprimer sur le fond du dossier tant que l’expert n’a pas remis sa décision. La Ville de La Louvière espère de son côté être dédommagée à hauteur de 15 millions d’euros. Un montant largement exagéré, selon la partie adverse qui ne s’attend pas à payer davantage qu’1 million.
Reste la question à 2 euros : Wilhelm & Co touchera-t-il un jour cet argent ? Les possibilités que ce ne soit pas le cas sont en tout cas aujourd’hui très faibles.

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