“Il n’y a pas de crise immobilière”

L’immobilier belge coté se porte à merveille. Il faisait même figure d’exception en Bourse jusqu’à ce que les taux d’intérêt entament leur remontée l’an passé. Les cours ont alors chuté, mais la situation commence à se redresser.

L’an 2022 avait été une année véritablement noire pour l’immobilier coté. L’indice REIT Europe, qui regroupe les principales sociétés immobilières réglementées (SIR) de la zone, avait cédé plus de 30%. Entre le niveau le plus élevé et le plus bas, la perte avait même atteint 40%.

Le phénomène s’est tout simplement poursuivi cette année, relativise Gert De Mesure, analyste indépendant et spécialiste des SIR: “Il ne s’est en réalité rien passé de neuf en 2023. Les taux d’intérêt ont continué à augmenter jusqu’à la fin du mois d’octobre et les cours des SIR, à se replier, puisque les investisseurs négligeaient les fondamentaux”, résume-t-il.

Cette année avait pourtant bien commencé. “L’immobilier coté se comportait on ne peut mieux, rappelle Pascale Nachtergaele, qui gère un fonds immobilier chez Nagelmackers. En février, les cours avaient progressé de plus de 10% car les relèvements de taux décidés par les banques centrales commençaient à être considérés comme de l’histoire ancienne. Mais c’est là que plusieurs banques aux Etats-Unis et Credit Suisse en Europe ont eu les problèmes que l’on sait. Conjuguée aux nouvelles hausses des taux longs, la situation a pesé sur les cours, qui sont tombés au plus bas en octobre. Nous assistons depuis à une reprise”, décrit l’experte.

Robert Stenger
© PG

“La plupart des SIR vont réduire leur portefeuille de projets. Donc leur croissance sera plus rentable.”
ROBERT STENGER (VAN LANSCHOT KEMPEN)

La plupart des indices SIR européens sont en effet supérieurs à ce qu’ils étaient au tournant de l’année. “Le sentiment macroéconomique a influencé le marché, même si les fondamentaux et les résultats de la plupart des SIR sont restés extraordinairement solides, analyse Robert Stenger, gestionnaire du Kempen (Lux) European Property Fund chez Van Lanschot Kempen. Il a fait s’enfoncer les valeurs immobilières sous-jacentes. Cela crée évidemment des opportunités. Les choses se calment depuis quelques semaines car chacun est persuadé que les taux d’intérêt ont atteint leur maximum. Mais toutes les incertitudes ne sont pas levées.”

Cibles potentielles

Comme en 2022, la hausse des taux a porté un coup aux valorisations des portefeuilles immobiliers. “A une certaine époque, Care Property cotait à 30 fois ses bénéfices courants. Aujourd’hui, ce chiffre est tombé à 13 alors que ses résultats ne se sont en rien détériorés”, donne en exemple Gert De Mesure. “Tant que les revenus locatifs se maintiennent, ces fluctuations dans les valorisations ne posent aucun problème”, rassure Robert Stenger.

Pour ce qui est des coûts de financement, que les relèvements de taux propulsent à la hausse, c’est une autre histoire. “La plupart des SIR ont pris des mesures pour s’en prémunir mais ces garanties ne seront pas éternelles, avertit Gert De Mesure. Elles se sont couvertes pour six ans en moyenne, un chiffre qui peut donc varier d’une société à l’autre. Wereldhave Belgium et Vastned Belgium, dont une grande partie des emprunts doivent être refinancés cette année ou l’an prochain, sont les plus vulnérables sur ce plan.” L’évolution des taux d’intérêt rappelle l’existence des ratios d’endettement, auxquels la réglementation interdit de dépasser 65% mais que la plupart des SIR s’efforcent de maintenir sous 50%.

“Les SIR dont le ratio d’endettement est trop élevé ont deux possibilités: vendre une partie de leur portefeuille immobilier ou lever des fonds en émettant de nouvelles actions, énumère Pascale Nachtergaele. Le problème est que le marché des grands projets est pratiquement à l’arrêt, ce qui fait de l’augmentation de capital la seule option envisageable pour nombre d’entre elles.”

L’unique grande transaction dans l’immobilier coté en Belgique cette année a été l’acquisition de la SIR Intervest par le fonds TPG, qui a accepté de mettre sur la table une prime correspondant à plus de 50% du cours de Bourse. “D’autres sociétés encore, comme Care Property, sont des cibles intéressantes. Care Property fait toujours l’objet d’une décote et son flottant (les actions pouvant être échangées en Bourse, Ndlr) est élevé. Cela la rend particulièrement vulnérable aux rachats”, poursuit Pascale Nachtergaele. En 2023, plusieurs SIR, dont Aedifica, Shurgard et Cofinimmo, ont procédé à des augmentations de capital. “La marge de manœuvre ainsi dégagée leur permettra de saisir les opportunités quand elles se présenteront et, partant, de croître. Je m’attends à l’annonce de transactions”, prédit notre interlocutrice.

Marché belge

Les SIR belges n’ont pas évolué au même rythme que les indices européens. En cause, du moins en partie, la faiblesse des résultats de l’immobilier de santé de quelques-uns de nos grands acteurs. Pour Pascale Nachtergaele, plusieurs exploitants de maisons de repos européens ont connu des difficultés financières cette année: “Ce qui a pesé sur le titre de sociétés comme Aedifica, Cofinimmo ou Care Property, dont les revenus locatifs ne sont pourtant pas en cause. La plupart d’entre elles se négocient toujours moyennant une décote assez importante par rapport à leur valeur intrinsèque”.

L’immobilier logistique, l’autre segment de croissance des SIR, s’est mieux porté: “Il avait considérablement souffert en 2022, analyse Pascale Nachtergaele. Il avait alors été tellement sanctionné qu’il était redevenu intéressant. Mais il s’est d’ores et déjà redressé. L’immobilier logistique est le segment qui affiche toujours les perspectives les plus réjouissantes. La demande reste intense. La plupart des acteurs ont encore beaucoup de terrains sur lesquels construire, pour une rentabilité encore suffisante. La majorité d’entre eux se négocient moyennant une surprime, mais celle-ci est limitée”.

“Compte tenu des valorisations actuelles, il n’est pas nécessaire de générer beaucoup de croissance pour obtenir des plus-values, déclare Gert De Mesure. La croissance n’est plus aussi spectaculaire dans tous les segments mais elle le reste dans celui de l’immobilier logistique. Il est toujours possible d’y développer des projets financés à 3 ou 4% qui rapportent du 7%. Dans les autres segments, c’est plus compliqué. “

“Les cours des SIR retrouveront un nouvel équilibre, mais pas leurs niveaux d’antan.” GERT DE MESURE (ANALYSTE INDÉPENDANT)

L’immobilier commercial a lui aussi relativement bien progressé. “Il a été durement touché dans les années pré- et post-covid. A l’époque, les investisseurs croyaient les magasins physiques définitivement condamnés. Aujourd’hui, ils ont compris que le commerce électronique et les boutiques physiques sont appelés à coexister, explique Pascale Nachtergaele. Dans le commerce de détail, l’inflation peut être intégralement répercutée sur les loyers. C’est quelque chose que le marché apprécie.”

Le bureau est l’autre source de préoccupation du secteur. “Ce segment se situe là où se trouvait le retail il y a quelques années. Il faut toutefois distinguer les bureaux de qualité, durables, facilement accessibles, et le reste du marché. Les premiers trouvent encore très facilement preneur”, précise Pascale Nachtergaele. “La Belgique compte un certain nombre d’acteurs de niche dans les segments logistique et autres, dont les perspectives sur le marché européen sont excellentes, se réjouit Robert Stenger. Ces acteurs se déploient avec succès à l’étranger également.”

Décotes

Les investisseurs en SIR ont été extrêmement gâtés entre 2010 et 2021. La faiblesse des taux d’intérêt a soutenu les valorisations des portefeuilles immobiliers et les cours des actions. Gert De Mesure n’escompte pas de retour à cette situation: “Les cours ont sans doute trop baissé depuis un an et demi, analyse-t-il. Ils retrouveront un nouvel équilibre mais pas leurs niveaux d’antan”. Robert Stenger confirme: “Les primes colossales précédemment consenties ne reviendront pas. Les investisseurs doivent s’y faire, mais cela ne signifie pas que le secteur se porte moins bien”. En 2021, certains acteurs logistiques, comme Montea et WDP, s’échangeaient à plus du double de leur valeur sous-jacente.

“Cette situation, qu’expliquaient les revalorisations de leurs portefeuilles immobiliers, leur permettait d’obtenir des rendements très élevés sur leurs capitaux propres, dit Gert De Mesure. Ainsi WDP a-t-elle engrangé 1,3 milliard d’euros de plus-values entre 2016 et aujourd’hui, sur une capitalisation boursière d’environ 5 milliards d’euros. Soit un rendement des capitaux propres de 25%, un chiffre phénoménal. Les investisseurs se sont précipités, ce qui a propulsé les cours à des niveaux record.”

L’expert conseille aux investisseurs de ne pas se focaliser sur les primes et les décotes sur la valeur intrinsèque des portefeuilles immobiliers: “La valeur intrinsèque correspond à la valeur des biens diminuée des dettes. C’est la valeur de liquidation s’il fallait vendre, dit-il. Or, les cours tiennent compte d’autres éléments, comme les rendements, les taux d’occupation, les projets envisagés, etc. Ce sont des dynamiques différentes qui interviennent.”

Le dividende n’est pas non plus la seule chose qui compte. “On peut accorder la priorité aux rendements en dividende mais si l’action est amputée de 40% de sa valeur, cela sera peu utile, raisonne Gert De Mesure. Je comprends la frustration de nombreux investisseurs en SIR: les cours ont dégringolé de 40% en 2022 et en 2023 alors que ces personnes avaient fait le choix non pas d’un segment de croissance spéculatif, mais d’un investissement défensif.” La hausse des taux d’intérêt oblige les SIR à revoir une stratégie qui, avant 2022, s’inscrivait sous le signe de la croissance.

Optimisme prudent

“Les nouveaux projets immobiliers seront beaucoup plus sélectifs, prédit Robert Stenger. La plupart des SIR vont réduire leur portefeuille de projets, donc leur croissance va ralentir mais elle sera plus rentable. Elles ne veulent plus construire pour de faibles rendements initiaux. C’est ainsi que, du fait du changement de paradigme, les choses devraient se dérouler.” Le spécialiste n’en estime pas moins les perspectives appréciables: “Nombre de SIR ont encore d’excellents projets dans le cadre desquels un immobilier de qualité sera gage de taux d’occupation élevés. Si l’on ajoute à cela la récente revalorisation des cours et la stabilisation des taux d’intérêt, voire la baisse, on obtient de belles perspectives de rendement”, calcule-t-il.

Les experts que nous avons interrogés font, ceci dit, preuve de circonspection: “Certains éléments, comme des rebonds inattendus des taux d’intérêt ou une récession, restent susceptibles de faire tomber les cours, avertit Pascale Nachtergaele. Le marché européen affiche une décote de 28%, ce qui est considérable. Je n’exclus pas non plus que nous assistions à des réductions de valeur sous peu. La prudence reste de mise”, poursuit la spécialiste qui voit arriver une autre difficulté pour les immobilières cotées: “De plus en plus d’investisseurs considèrent les obligations comme une solution de rechange à part entière”.

Quoi qu’il en soit, rien de tout cela n’est catastrophique. Gert De Mesure s’est parfois agacé des nouvelles alarmistes: “Certains parlent d’une crise immobilière, mais une crise, c’est quand on voit des panneaux ‘à vendre’ et ‘à louer’ à toutes les fenêtres et que les locataires ne peuvent plus payer. Or, c’est loin d’être le cas. On constate au contraire des pénuries partout. Tant les logements pour étudiants que l’immo logistique sont en situation de pénurie criante en raison de la rareté des permis accordés. La demande dans le segment de l’immobilier de santé va s’envoler. Les bureaux modernes et durables sont également en pénurie. Vu, en outre, le peu de biens de mauvaise qualité que les SIR ont en portefeuille, on est loin de la crise.”

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