“Il faut éviter de tuer la poule aux oeufs d’or en Brabant wallon”
L’attractivité du Brabant wallon ne se dément pas. Tant pour les candidats-acquéreurs que pour les promoteurs. Si la réhabilitation de nombreuses friches en quartiers mixtes a fait basculer un marché centré sur les villas vers un marché d’appartements et a freiné l’étalement urbain, tous les politiques ne tirent pas encore dans le même sens. Jusqu’à quand ?
L’un veut encore donner l’une ou l’autre orientation majeure avant un départ à la retraite. L’autre multiplie les projets d’envergure comme Courbevoie à Louvain-la-Neuve ou les Jardins de l’Orne à Mont-Saint-Guibert. Rencontre croisée entre le fonctionnaire délégué Christian Radelet et le développeur immobilier Jean-Luc Son, administrateur délégué de la société REIM.
TRENDS-TENDANCES. Le Brabant wallon a actuellement l’opportunité de reconvertir de nombreux anciens sites industriels en quartiers mixtes mêlant logements, commerces et bureaux. Les papeteries de Genval ont été le premier du genre. D’autres ont suivi et vont suivre (Court-Village, Jardins de l’Orne, Sucrerie de Genappe, Forges de Clabecq, etc.). La réhabilitation effectuée à Genval est-elle un modèle à suivre en termes de mixité et d’aménagement ?
Christian Radelet. Le principal regret est que le programme est essentiellement orienté vers les appartements. Mais cela peut toutefois se comprendre vu les frais considérables d’assainissement du site. Le promoteur ne pouvait amortir ces frais qu’en développant une certaine densité d’appartements. Sur l’ensemble du quartier, il n’y aura pas beaucoup de diversité sur les ambiances, les gabarits ou encore l’expression architecturale. Mais pour le reste, c’est une vraie réussite. Et si la place de la voiture est aujourd’hui prépondérante, les responsables d’Equilis estiment que la situation s’équilibrera une fois les trois phases de construction terminées. Ce qui permettra aux visiteurs d’utiliser davantage de parkings souterrains.
Jean-Luc Son. Cette réhabilitation a surtout été marquée par la longueur de son processus.
Ces nouveaux quartiers mixtes ne se ressemblent-ils pas tous un peu en matière d’aménagement et d’architecture ?
C.R. Je partage également cette impression !
J-L.S. Il faut apporter des nuances. Un projet est le résultat des exigences locales. L’architecte doit tenir compte du contexte. Je reste personnellement sceptique sur le mimétisme par rapport au tissu existant. Reproduire le même schéma est inadéquat. Le monde constructif évolue, les exigences énergétiques et les techniques également. Il y a des modes en architecture. Un projet est le reflet de son temps. Il doit toutefois être davantage synonyme d’un courant que d’un moment. Une solution serait de proposer ce type de projet à plusieurs architectes. Ce qui amènerait davantage de diversité.
Le prix de vente des appartements a permis d’attirer les promoteurs dans ces chancres. Peut-on dire que le Brabant wallon a été en quelque sorte un laboratoire en termes de densification ?
J-L.S. En effet. S’il n’y a pas de subsides pour traiter le passif environnemental, seul le prix de vente des logements peut permettre de payer le prix du terrain, des voiries et de la dépollution. Ce qui a été un atout indéniable pour le Brabant wallon.
Cette province a connu une importante mutation urbanistique ces dernières années. Pensez-vous que cette évolution va dans le bon sens ?
C.R. Je ne vais bien évidemment pas dire non (sourire). Il y a une prise de conscience que le territoire change. Les valeurs foncières étant de plus en plus élevées, on ne peut plus systématiquement demander des permis pour des maisons de 25 ares. La mitoyenneté est encouragée. Ces idées traversent les esprits, mais il y a encore des réticences auprès de certains mandataires. Des élus affirment vouloir préserver le caractère rural de leur commune. Mais qu’est-ce que la ruralité ? Est-ce le fait d’avoir des grands terrains, une faible densité, une image bucolique, un mode de vie centré sur l’agriculture ? Il y a débat. Beaucoup de gens sont attachés au slogan sans savoir ce qui est fait derrière.
J-L.S. Nous cherchons pour notre part des projets qui ont une certaine densité, car ils nous permettent d’avoir une influence sur l’environnement. Pour le reste, je constate que le marché a basculé du côté des appartements au détriment des maisons.
Le grand public rêve encore majoritairement d’une maison quatre façades avec jardin. Sur le terrain, voyez-vous toutefois une évolution des mentalités ?
J-L.S. Les nouveaux habitants ont clairement moins l’envie, ou les moyens, d’acheter une villa quatre façades.
C.R. Les gens ne cherchent plus à acheter des briques, mais un concept. Ils sont à la recherche d’un environnement qui leur propose une vie différente, avec une série de facilités à disposition.
J-L.S. En effet, les gens achètent aujourd’hui avant tout une qualité de vie. A cet égard, les chartes qui émergent dans les nouveaux quartiers sont intéressantes. Ce modèle est aux antipodes du lotissement classique.
A contrario, ces nouveaux quartiers ne vont-ils pas créer un urbanisme de poche, comme le définissait le sociologue et urbaniste Yves Hanin, soit une somme de quartiers refermés sur eux-mêmes ?
C.R. Je suis arrivé à la conviction que l’élément le plus important dans l’action que les pouvoirs publics peuvent mener est l’aménagement des espaces publics. Le tissu existant mérite une revalorisation profonde. Beaucoup de communes du Brabant wallon souhaitent par exemple créer des places publiques, comme on en voit à Waterloo. Ces lieux seront générateurs d’échanges et d’activités. Ces aménagements sont intéressants tant pour la qualité de vie que pour la détermination d’une identité. Si j’avais encore du temps devant moi (il sera admis à la retraite en octobre prochain, Ndlr), je me battrais pour que les communes mettent le paquet sur ce volet.
J-L.S. La manière de travailler des investisseurs a bien évolué depuis une dizaine d’années. Le volet paysager et espace public est dorénavant réellement pris en compte.
Seuls les appartements semblent aujourd’hui trouver grâce auprès des promoteurs. Une manière de répondre à un déficit d’offre. Mais ne va-t-on pas vers une surproduction en la matière ?
J-L.S. Non. Tous les projets sont phasés et les développeurs s’adaptent au marché. Pour le moment, il est dynamique. Le contexte hypothécaire est favorable et de plus en plus de gens réfléchissent à l’évolution de leur patrimoine. Et puis, dans de nombreux projets, on cite des chiffres de 300, 500 ou 1.000 logements. Or, il faut souvent 10 ans pour qu’un dossier se concrétise.
C.R. Rappelons qu’un permis n’est jamais une obligation de réaliser le projet. Les promoteurs s’adaptent au marché et à la demande. Cette offre conséquente ne m’inquiète pas. Seule Nivelles possède une importante offre d’appartements neufs et souhaite d’ailleurs calmer le jeu. A Tubize, j’ai signalé qu’on devrait davantage diversifier le programme pour ne pas proposer uniquement des appartements, mais également des maisons mitoyennes.
Y a-t-il assez de locataires pour absorber cette offre d’appartements qui fait la part belle aux investisseurs ?
J-L.S. L’investisseur n’a pas toujours une visée liée au rendement. Il peut s’agir d’une planification successorale ou d’un choix de vie. Cela représente la moitié des investisseurs. Pour le reste, le marché locatif est très élastique, ce qui permet de gérer son bien sur la durée. La demande pour habiter en Brabant wallon est présente. Des locataires, on en trouvera donc toujours.
Les notaires du Brabant wallon affirment que la villa quatre façades perd de plus en plus de son attrait. Partagez-vous ce constat ?
C.R. Oui, évidemment. Même si on s’attendait à ce que davantage de personnes âgées vendent leur villa pour s’installer dans un appartement. Ce phénomène n’est pas aussi marquant qu’on ne le dit.
J-L.S. Je suis relativement méfiant avec les statistiques immobilières. Il faut distinguer les villas actuelles de celles des années 1980, dont la rénovation fait peur aux jeunes. Pour eux, il n’y a pas que la contrainte financière : ils souhaitent réellement vivre dans un habitat écologique. Et, en faisant le calcul, ils remarquent qu’une maison neuve coûte moins cher dans cette optique.
La transformation de ces lotissements datant des années 1960, 1970, 1980 composés de villas trop chères, spacieuses et énergivores sera tout de même un des grands enjeux à venir. Quel avenir voyez-vous pour ce parc de logements ?
C.R. C’est clairement un problème. Je ne sais pas comment cela peut évoluer sur le terrain. Nous avons très peu de demandes pour des divisions de villas.
J-L.S. Mais c’est surtout lié au fait que ce sont les règles urbanistiques qui bloquent ce type d’évolution du bâti. Nous ne pouvons modifier un lotissement et son environnement si aisément. Le recyclage futur du territoire passera vraiment par là.
C.R. La reconstruction d’une villa obsolète par une neuve se multipliera. Par contre, pour la division, je suis beaucoup plus sceptique.
Que pensez-vous de ce slogan ” Stop au béton ” ?
C.R. La grande question sera de voir s’il y aura réellement une volonté politique de dire “non” quand les politiciens seront soumis à de projets précis. Quand je vois aujourd’hui le nombre de permis qui sont obtenus en recours auprès du ministre wallon de l’Aménagement du territoire, j’en doute. Mais il faut parfois des slogans forts pour faire avancer les idées et évoluer les mentalités. Dans le cadre de mon travail quotidien, cela ne va rien changer. Je me bats pour que le Brabant wallon conserve des respirations, des zones non urbanisables. C’est une terre attractive mais il faut éviter de tuer la poule aux oeufs d’or. C’est un défi quotidien. On vient me demander toutes les semaines des dérogations au plan de secteur, par exemple pour transformer une bergerie en grande villa. Précisons aussi que les premiers à grappiller de la terre agricole, ce sont les pouvoirs publics car ils ne peuvent plus se payer du foncier ! Que ce soit pour une caserne des pompiers, un centre sportif ou encore des logements sociaux. Ce n’est pas normal car il n’y a même pas de compensation en termes d’aménagement du territoire.
J-L.S. Je suis bien évidemment favorable à la fin de l’étalement urbain. On le voit d’ailleurs dans tous les projets que j’accompagne, ils sont situés dans des noyaux centraux. Je regrette par contre ce slogan ” Stop au béton ” qui est clairement caricatural et populiste. Les promoteurs sont visés alors qu’ils ont bien compris les enjeux de la densification. Rappelons que c’est un stop à l’étalement urbain et non un stop à la construction.
C.R. Je suis convaincu que la Région wallonne n’a pas les moyens de cette politique. Notamment pour les indemnisations. Il faut des outils efficaces de politique foncière. Mais la plus grande difficulté est de faire passer auprès de la population la notion de densification. Et, a priori, elle n’est pas demandeuse.
Quelles sont aujourd’hui les communes intéressantes pour faire un achat ?
J-L.S. A proximité des centres-villes. Les problèmes de mobilité vont aller en s’accentuant. Les communes de l’est et de l’ouest ont encore des prix abordables. Le triangle d’or Chaumont-Wavre- Louvain-la-Neuve reste attractif mais est très cher. Une commune comme Chastre multiplie les projets immobiliers, même si on reste loin de lieux culturels, sportifs ou commerciaux.
C.R. Les communes qui ont de l’avenir, ce sont Jodoigne, Genappe, Perwez. Les communes qui sont à proximité de la Région bruxelloise sont saturées. Tubize est un pôle qui va se développer, même si les contraintes restent énormes. Je crois beaucoup en Nivelles. Elle s’est fantastiquement rénovée ces dernières années. Elle possède une stratégie urbaine très claire. C’est un lieu où il fait bon vivre. Et cela ne va aller qu’en s’accentuant.
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