L’hôtel Astoria renaît de ses cendres: rêver et “bruxeller” à nouveau !

Hôtel Astoria

Quasi 20 ans après sa fermeture, l’hôtel Astoria, bâti pour accueillir les visiteurs de l’Expo Universelle de 1910, vient de renaître de ses cendres grâce au groupe maltais Corinthia. Symbole légendaire au même titre que le Ritz à Paris, le Sacher à Vienne ou le Negresco à Nice, cette grande dame entend permettre à Bruxelles de retrouver sa place dans le circuit de l’ultra-luxe.

La fin du 19e siècle et le début du 20e ont vu fleurir dans toute l’Europe de grands hôtels de luxe. Ils offraient aux nantis des endroits uniques où ils pouvaient se faire chouchouter. Ils faisaient aussi partie de ce qu’on appelait le Grand Tour, un voyage éducatif qu’entreprenaient les jeunes aristocrates dans toute l’Europe. C’est à cette époque que sont nés quelques-unes des pépites de l’hôtellerie de luxe toujours en activité aujourd’hui : le Ritz à Paris imaginé par César Ritz, l’entrepreneur suisse surnommé l’hôtelier des rois et le roi des hôteliers, le Negresco à Nice, ardemment désiré par Henri Negresco, l’ancien maître d’hôtel de la famille Rockfeller, etc.

À l’époque, Bruxelles bruxellait et n’était pas en reste. En 1896, sous l’impulsion des familles de la brasserie Wielemans-Ceuppens, le Métropole, mélange d’Art nouveau et d’Art déco, ouvrait ses portes place de Brouckère. Bâti en 1909 sous l’impulsion du roi Léopold II pour accueillir royalement les visiteurs de l’Expo universelle, le Grand Hotel Astoria est inauguré, lui, en 1910 dans le quartier de Notre-Dame-aux-Neiges à Bruxelles.

Ces deux établissements mythiques, qui ont accueilli tous les grands de ce monde, ont dû fermer leurs portes. L’Astoria en 2006, le Métropole en 2020. Si la restauration du second est toujours en cours, celle du premier est désormais achevée. Il aura fallu quasi 20 ans entre le rachat par un cheikh saoudien, sa revente au groupe Corinthia en 2016 et le début effectif de sa rénovation par MA2, le bureau d’architecture de Francis Metzger, en 2020.

Le 9 décembre dernier, le Corinthia Grand Hotel Astoria Brussels a ouvert ses portes et une partie de ses 126 chambres (dont 36 suites) au public. N’espérez pas connaître le coût de sa rénovation, c’est un secret bien gardé !

“Je sais exactement ce que l’Astoria nous a coûté mais je n’en parlerai jamais publiquement, sourit Simon Casson, le CEO de Corinthia Hotels. C’est une somme conséquente plus importante que prévu mais cela le valait. Cet hôtel sera encore là dans 100 ans. Un tel investissement se regarde en termes de générations. Ensuite, Bruxelles méritait un tel écrin. La Ville et la Région nous ont soutenus dans notre démarche. Le problème, c’est que ce ne fut pas une rénovation au sens strict du terme mais la renaissance d’un mythe qu’on a eu l’honneur de se voir confier. En fait, nous nous sommes créé des problèmes nous-mêmes, notamment avec la verrière. Mais nous ne pouvions pas ne pas faire cette dépense de plusieurs millions d’euros.”

“Je sais exactement ce que l’Astoria nous a coûté mais je n’en parlerai jamais publiquement.”
Simon Casson, le CEO de Corinthia Hotels.

Simon Casson, le CEO de Corinthia Hotels.

Le palace bruxellois appartient totalement au groupe Corinthia. À l’avenir, comme de nombreux groupes hôteliers, sa croissance passera davantage, comme c’est le cas dans le palace new-yorkais qui s’ouvrira l’an prochain, par de la gestion opérationnelle pour le compte d’un investisseur plutôt que par la mobilisation de capitaux propres.

La verrière de 1910

© La verrière et les vitraux de la galerie du 1er étage ont retrouvé leur lustre d’antan.

Quand il passe la porte massive frappée du A de l’hôtel, le client arrive dans l’ancien atrium rebaptisé Palm Court. Ce qui frappe par rapport au passé, c’est la grande luminosité. Et pour cause, la magnifique verrière a retrouvé la forme et la disposition originelles de 1910.

“En 1947, les propriétaires ont démonté la verrière d’origine, confie Francis Metzger. Elle fuyait et ils l’ont remplacée par une verrière plate et plus sombre. Celle dont se souviennent les gens aujourd’hui. Nous avons retrouvé d’anciennes photos d’avant-guerre. Au premier étage, subsistaient encore des vestiges d’une autre verrière originelle. Les deux éléments nous ont permis de reconstituer la verrière d’origine, un élément d’une complexité redoutable, à la fois convexe et concave. Des tonnes d’acier et de verre qui ne reposent sur rien. Un travail de deux ans !”

La croissance du groupe passera davantage par de la gestion opérationnelle pour le compte d’un investisseur plutôt que par la mobilisation de capitaux propres.

Le coût de la rénovation s’est aussi heurté au classement de la façade et du rez-de-chaussée. Impossible de faire quoi que ce soit sans avoir l’aval des administrations ad hoc.

“La couleur verte qui domine dans le Palm Court n’a été découverte qu’après avoir minutieusement enlevé des couches et des couches de peinture, explique Sophie Clarke, director sales & marketing du Corinthia Brussels. Mettre des œuvres d’art au mur n’était pas autorisé non plus. Les portes du Palm Court sont celles d’origine avec un simple vitrage. Nous aurions aimé les parer de tentures pour atténuer le bruit de la salle Elisabeth, notre salle de bal, mais ce n’était pas autorisé. Fort heureusement, les chambres n’étaient pas classées…”

Le retour de l’ultra-luxe

Le Corinthia Grand Hotel Astoria Brussels boxe dans la catégorie Palace qui n’existe qu’en France et pas en Belgique. Chez nous, on évoque plutôt le cinq étoiles supérieur. Il n’en existe plus à Bruxelles. Seuls le Botanic Sanctuary à Anvers et la Réserve à Knokke y ont droit. Ramener l’ultra-luxe à Bruxelles est essentiel pour faire revenir des visiteurs qui, aujourd’hui, ne font plus que passer entre Brussels Airport et le TGV à la gare du Midi. C’est tout l’enjeu de l’équipe du Corinthia Brussels, mais pas que…

“C’est à la Ville de mettre Bruxelles sur la carte du luxe, affirme Simon Casson. Nous ne sommes qu’une société indépendante qui arrive dans la capitale avec un palace de classe mondiale, comme on peut en trouver à Paris, New York ou Dubaï. Nous offrons un havre de paix aux amateurs mais c’est à la destination d’investir pour se promouvoir auprès de ce public, en termes d’arts, d’artisanat, de patrimoine historique, etc. Bruxelles a sa place dans le tour du luxe de l’Europe. Nous sommes là pour faire revivre cette magie et rappeler que ce fut le cas à une époque. Bruxelles sera différent de nos autres établissements. C’est normal: on ne peut pas ressentir la même chose dans un palace à New York ou à Paris. Il y a de la consistance dans nos offres mais l’expérience doit être unique. Ici, c’est l’architecture, la cuisine et l’équipe belge, jeune et dynamique, qui vont l’apporter. Il y a des éléments qui font qu’un hôtel est bon et d’autres qu’il est excellent. Les premiers s’achètent : les lustres en cristal, le marbre, le spa, etc. Les autres sont intangibles: c’est le côté humain, l’expérience que l’on fait vivre. Ce qu’une équipe réalise pour rendre un séjour inoubliable. Quand j’étais jeune, je n’osais pas rentrer dans le Ritz à Londres. Les hôtels avaient un côté formel qui faisait peur. De nos jours, chacun doit s’y sentir le bienvenu quel qu’il soit. À la fin de la journée, nous demeurons des aubergistes et nous perpétuons la tradition plus que séculaire d’offrir un abri et de la nourriture. Cela doit rester dans nos cœurs tous les jours.”

Pour compléter ce que dit Simon Casson, on comprend aisément que Bruxelles se doit, en effet, de rester vigilante sur son attractivité. Il suffit de penser à la mobilité, à la propreté ou à la sécurité. Autant de thèmes qui ont fait débat ces derniers mois. Tout comme l’absence d’un véritable centre de congrès ultramoderne pouvant accueillir des milliers de participants…

Le studio anversois de design WeWantMore a imaginé un cadre très feutré pour le Petit Bon Bon.

250 employés

L’intangible, selon Simon Casson, sera au Corinthia Brussels entre les mains de 250 personnes. Soit deux personnes par chambre et deux fois plus que dans les autres cinq étoiles bruxellois. Le cadre est rempli et, vu le contexte de notre horeca, surtout dans la capitale, c’est un véritable exploit.

“Le contexte dont vous parlez est mondial, poursuit Simon Casson. Même à Dubaï, c’est compliqué. À Bruxelles, plusieurs choses ont joué : l’intérêt pour la marque qui a bonne réputation dans le milieu en termes d’expérience employé et l’excitation de participer à la renaissance d’un palace. Nous avons engagé en fonction de l’attitude, du sourire et de l’étincelle. Les bases du métier s’apprennent mais ni l’empathie ni l’envie de créer des moments magiques pour le client. Nous avons engagé très majoritairement des Belges mais aussi quelques Néerlandais et des Français, dont certains travaillaient déjà dans l’hôtellerie de luxe comme Cheval Blanc.”

Le Palm Court est le lieu de vie de l’hôtel où il est possible, que l’on soit client ou pas, de désaltérer ou de sustenter.

Pour certains postes spécifiques, et c’est de bonne guerre, Corinthia s’est tourné vers la concurrence. Ainsi, la concierge, un poste clef dans un palace, s’appelle Ahlem Mosaddak et officiait à l’Amigo. L’expérience locale unique évoquée plus haut se retrouve dans le côté boutique de l’hôtel. Celui qui doit permettre à la clientèle locale de s’approprier les lieux et d’y revenir. C’est un pan essentiel du business model.

Le public a ainsi accès à un magnifique spa (il court, dix mètres sous terre, sur l’ensemble de la surface de l’hôtel ou quasi) imaginé avec Emilie Bazzocchi, la directrice générale de Sisley Belux et à Coutume, une boutique inédite dédiée à des créateurs belges et située à front de rue. On y retrouve, entre autres, le travail du fleuriste Daniel Ost (il a détaché un employé qui va gérer toutes les compositions florales de l’hôtel), les créations de mode anversoises de Florence Cools et Artur Tadevosian ainsi que, pour la première fois dans un magasin physique, les foulards de Marylène Madou et les bijoux de Joke Quick.

La salle Elisabeth est, elle, réservée aux événements sociaux et privés. Même s’il dispose de petites salles adaptées à des conférences de presse ou à des réunions de conseil d’administration, l’Astoria n’entend pas se positionner sur le créneau des congrès ou des grandes réunions d’affaires.

Enfin, l’hôtel dispose de deux restaurants bien distincts: Palais Royal, avec une ambition gastronomique élevée, est géré par David Martin, bi-étoilé à La Paix à Anderlecht. Dans le Petit Bon Bon, Christophe Hardiquest, étoilé avec Menssa, propose une cuisine de brasserie haut de gamme mais désembourgeoisée et à des prix conformes au marché.

Nous ne voulions pas de menus « signés par ».
Sophie Clarke, director Sales &Marketing du Corinthia Brussels

Sophie Clarke, director Sales &Marketing du Corinthia Brussels


“La gastronomie est un élément essentiel de notre côté boutique, assure Sophie Clarke. Mais nous ne voulions pas de menus ‘signés par’. Mais le luxe, ce n’est pas que des étoiles Michelin et il fallait les deux styles de resto. David et Christophe ont une obligation de présence partielle dans les cuisines même s’ils ont, chacun, un chef exécutif en dessous d’eux. Il est aussi possible d’organiser un événement privé dans la salle Elisabeth avec présence d’un des deux chefs. Nous voulions aussi que les deux restaurants soient accessibles au public local. Vous avez évoqué les prix de la brasserie, ceux du Palais Royal sont beaucoup plus bas qu’à La Paix. Enfin, au mois de février, Hannah Van Ongevalle, meilleure barmaid de Belgique, ouvrira son premier projet solo. Un bar à cocktails très original appelé Under The Stairs.”

Pour attirer la clientèle ad hoc et mettre Bruxelles sur la carte de l’ultra-luxe, l’équipe du Corinthia Brussels a déjà beaucoup travaillé. Pour de nombreux consultants de voyage auxquels font appel ces voyageurs très particuliers, Bruxelles n’était, en effet, pas une destination évidente.

“Sur le thème de l’excellence à la belge, nous avons organisé deux événements dans la boutique Delvaux, située sur la 5e Avenue à Manhattan, conclut Sophie Clarke. Le premier était réservé à la presse, le second aux consultants dont vous parlez. Des marques comme Baobab ou Marcolini ont été associées à l’événement. Christophe et David y ont cuisiné un menu à 10 services qui a enchanté nos invités. Beaucoup d’entre eux ne savaient pas que Delvaux était belge et plus ancien qu’Hermès ! On a reproduit le même genre de soirée à Paris dans la boutique Delvaux au Palais Royal. Enfin, à l’occasion de l’International Luxury Travel Market, organisé début décembre dans le Palais des Festivals de Cannes, nous avons accueilli 20 consultants américains à l’Astoria pour leur faire comprendre que Bruxelles méritait quelques jours. Nous sommes sortis des lieux courus comme la Grand-Place ou le chocolat et avons mis en évidence l’œuvre d’Horta, le Sablon, les galeries d’art, des marchands comme Degand ou le temple de la bière situé dans l’ancienne Bourse. Bruxelles, pour leurs clients, nécessite qu’on les guide et c’est exactement ce que nous allons proposer. Les commentaires de ces consultants sont très encourageants pour la suite.”

Pour conclure, parlons évidemment des prix : une nuit à l’Astoria coûte entre 620 et 20.000 euros… 

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