Hainaut: les friches se transforment en atout lorsqu’il s’agit de les reconvertir

Les friches à Charleroi se transforment en atout lorsqu’il s’agit de les reconvertir © Getty Images

En Hainaut, l’activation des nombreuses friches commence souvent par une impulsion des autorités locales, suivie assez rapidement par des investissements privés. Le contexte difficile de l’immobilier neuf pourrait toutefois menacer cette dynamique…

Une simple observation de la carte des sites à réaménager en Wallonie suffit à se faire une idée du potentiel du Hainaut en matière de friches. Les gros points rouges représentant les zones de plus de 50 ou 100 hectares à réhabiliter se concentrent en effet majoritairement dans la province, et cette impression visuelle se confirme dans les chiffres : parmi les quelque 2.058 sites et 3.224 hectares à réaménager inventoriés en Wallonie, un peu moins de la moitié sont situés en Hainaut, à savoir 868 zones occupant un total de 1.428 hectares. Comme le veut la définition de la Région wallonne, ces sites à réaménager (SAR) concernent toutes sortes de bâtiments affectés à d’autres activités que le logement, et dont le maintien dans leur état actuel “est contraire au bon aménagement des lieux ou constitue une déstructuration du tissu urbanisé”.

Dans les faits, la plupart des friches hainuyères sont liées au passé industriel et sont concentrées dans et autour de grandes villes comme Charleroi, Mons ou encore La Louvière. Cette présence de friches dans le tissu urbain est bien sûr un point noir tant qu’elles sont laissées en l’état, mais elle se transforme souvent en atout lorsqu’il s’agit de les reconvertir. “En tant que promoteur, il est intéressant d’un point de vue sociétal de transformer un chancre en quartier vivant, mais notre approche de développement se base avant tout sur la localisation, explique Bernard Jacquet, CEO d’Aboreal, groupe de développement immobilier. La tendance est de concentrer le bâti autour des services et des centres, et comme en Hainaut, beaucoup de friches sont situées au cœur des communes, on en vient souvent à s’y intéresser.”

Ces dernières années, Aboreal développe à lui seul plusieurs centaines de logements sur des friches hainuyères : le projet Arborescence sur l’ancien site Technigum à Soignies (160 unités), les Maisières (155 appartements) à la place d’un hôtel abandonné près du Shape à Mons, l’Orée de Bozière (149 appartements) sur la friche Dunlop à Tournai, etc. Le développeur n’est toutefois pas une exception ; de nombreux autres promoteurs s’intéressent aux friches hainuyères, pas seulement parce qu’elles sont bien situées mais aussi parce que les reconversions sont souvent encouragées par les autorités locales. “Beaucoup de communes en Hainaut sont demandeuses d’attirer du ‘sang neuf’ sur leur territoire, donc nous recevons généralement un très bon accueil”, constate Bernard Jacquet.

Parmi les 2.058 sites et 3.224 ha à réaménager inventoriés en Wallonie, un peu moins de la moitié sont situés en Hainaut.

Cet accueil peut se traduire par la facilitation des démarches, mais il va parfois bien plus loin. A Jemappes, les autorités montoises sont par exemple en train d’investir massivement dans l’amélioration des espaces publics, le rachat de chancres et leur transformation en logements ou zones vertes, la création d’une ligne de bus à haut niveau de service ou encore l’implantation du futur Grand hôpital de Mons. Objectif : redynamiser la zone et y attirer les investissements privés. “Jemappes est la deuxième plus grosse entité montoise et elle a beaucoup souffert sur le plan économique et social depuis 40 ans. Donc sous cette mandature, nous avons défini une stratégie d’aménagement du territoire cohérente et ambitieuse afin de redynamiser la commune et lui redonner de la valeur sur le plan foncier/immobilier”, souligne le bourgmestre de Mons Nicolas Martin.

Cette stratégie inclut notamment la reconversion des anciens laminoirs de Jemappes, une friche de 20 hectares qui sera dans un premier temps développée avec un centre de formation en éco-technologies, des infrastructures sportives privées et publiques et des espaces pour PME. Quelque 400 logements ponctués d’espaces verts viendront ensuite se greffer dans ce quartier dont le développement devrait s’étendre sur 5 à 10 ans. “On l’a testé sur Mons-Ville : le fait d’avoir une impulsion forte sur l’aménagement des espaces publics a tout de suite des conséquences très positives en termes d’investissements privés, observe le bourgmestre. A Jemappes, nous partons d’une situation un peu plus difficile mais il y a déjà des effets concrets de cette dynamique, puisque l’ancien athénée près du futur hôpital vient d’être racheté par un privé qui va y développer de l’immobilier.”

D’autres projets résidentiels sont en cours ou prévus à Jemappes, notamment à l’avenue de la Faïencerie ou sur le site de l’ancien Aldi. Des reconversions de grande ampleur se profilent aussi ailleurs en région montoise, par exemple sur le site des anciennes tours de Ghlin (8 hectares autrefois occupés par des logements publics) ou sur la friche Bel Fibres à Hyon, où le promoteur Delzelle prévoit la construction de 243 appartements.

Un équilibre financier menacé

Mons n’est évidemment pas la seule grande ville du Hainaut à offrir des friches qui se prêtent aux projets résidentiels. A La Louvière, la “friche Boch” est par exemple en développement depuis plusieurs années. Il était d’abord question d’y implanter un grand centre commercial mais la commune a revu ses plans et recentré le quartier autour des logements (300), auxquels s’ajouteront des activités ludiques et commerciales.

A Charleroi, les possibilités ne manquent pas non plus : la tour Inter-Béton a fait l’objet d’un master plan et sa reconversion pourrait mener à la création de plus de 500 logements, le terril Sacré Français devrait devenir un écoquartier mixte avec plusieurs centaines d’habitations, le site Verlipack à Jumet va être développé par Matexi qui y prévoit la construction de 300 logements, etc. “Auparavant, on parlait surtout de petites opérations, mais l’on voit désormais des projets résidentiels d’ampleur sur Charleroi”, observe le bouwmeester carolo Georgios Maillis.

Même si l’on attend encore que ces projets se concrétisent, la cité carolo suscite l’intérêt de grands promoteurs et investisseurs étrangers ces dernières années. Comme à Mons, les autorités locales ne sont pas étrangères à ce phénomène. “Il y a eu beaucoup de rénovation des infrastructures à Charleroi ces dernières années (l’esplanade de la gare, plusieurs places et bâtiments publics, etc.), et on commence à y voir des espaces publics beaucoup plus qualitatifs”, poursuit Georgios Maillis. “Les développeurs le voient, ils y sont sensibles et cela les arrange.”

Le site des anciennes tours d’habitation de Ghlin verra naître un ­nouveau projet résidentiel réfléchi par l’immobilière sociale Toit&Moi.

Préparer le terrain pour les investisseurs favorise donc souvent la reconversion des friches. Les autorités locales y consacrent des moyens car il en va de leur image, mais aussi parce que ces réhabilitations sont nécessaires pour répondre à divers enjeux. “La finalité est d’habiter Charleroi, et cet objectif ne peut se faire qu’à travers un développement correct de toutes les programmations urbaines, et en particularité de l’habitat, souligne le bouwmeester. Il y a des enjeux importants à ce niveau dans toutes les grandes villes, notamment pour éviter l’étalement urbain, mais aussi parce qu’habiter près des activités auxquelles on participe (travail, loisirs, etc.) est bon en terme d’économie au sens large.”

Le bourgmestre montois Nicolas Martin souligne quant à lui que les reconversions des friches “permettent de requalifier des lieux qui abîment l’attractivité d’un quartier ou d’une commune, et offrent des opportunités car le foncier pour construire se fait de plus en plus rare”. Selon lui, l’activation de ces friches à des fins résidentielles est également nécessaire pour maintenir un parc de logement accessible financièrement, et ce alors que Mons gagne progressivement des habitants.

Côté promoteurs, ces opérations rencontrent généralement un beau succès commercial, mais travailler sur les friches hainuyères pourrait devenir plus difficile à l’avenir. “La dépollution des terrains coûte de plus en plus cher en raison de la rigidité croissante des exigences de la Région wallonne, et les coûts de construction ont littéralement explosé en deux-trois ans, précise Bernard Jacquet. Or, vu le marché immobilier en Hainaut, on ne peut pas mettre en vente des logements à plus de 3.000 ou 3.200 euros/m2, ce qui est déjà beaucoup pour la province.” L’équilibre financier risque donc de devenir compliqué à trouver pour les promoteurs, surtout lorsqu’il s’agit de sites fortement pollués. Les développeurs tels qu’Aboreal continuent cependant à s’intéresser aux friches hainuyères, car les projets de reconversion mettent de longues années à se finaliser. Et d’ici leur sortie de terre, l’immobilier neuf pourrait retrouver un contexte plus favorable.

Chantal Vincent (bureau Dessin et Construction), 
créatrice du masterplan du terril Sacré-Français à Charleroi: “ Les friches offrent aussi d’autres opportunités que l’urbanisation »

Le Hainaut comporte de nombreuses friches : est-ce dû à son passé ou est-­ce parce que peu de sites ont été ­réhabilités ?
Peut-être qu’il y a moins de mises en œuvre car la province est moins attractive au niveau immobilier que d’autres comme le Brabant wallon, mais cet aspect est négligeable par rapport à la question de fond qui est la superficie affectée à l’industrie. Le Hainaut comptait de très grosses entreprises qui ont fait la richesse de la Belgique et qui avaient besoin d’énormément d’espace. Donc c’est normal qu’on y retrouve tant de friches industrielles.

Les reconversions de ces sites semblent souvent longues. Pour quelles raisons ?
Beaucoup de ces zones sont toujours affectées à l’industrie dans le plan de secteur et leur modification demande des procédures assez longues. Ce sont souvent des sites pollués et, même si ce n’est pas un mal, les réglementations sont de plus en plus exigeantes en termes de dépollution et de normes en général. Il y a aussi la question du marché. A Charleroi, par exemple, beaucoup de projets sont dans les cartons mais peu sortent car ces grands sites nécessitent beaucoup de travaux d’infrastructures et il faut trouver une rentabilité économique qui n’est pas présente pour l’instant. Les promoteurs attendent le bon moment pour sortir les projets.

En parallèle de ces difficultés, quelles opportunités offrent les friches ?
On parle beaucoup de zéro artificialisation des sols, donc l’intérêt n’est peut-être pas d’utiliser ces terrains mais de préserver les autres. Par exemple, c’est important que de nouvelles implantations économiques se fassent sur d’anciens sites économiques et pas sur des terres agricoles. Les friches offrent aussi d’autres opportunités que ­l’urbanisation. Sur le terril du Martinet à Charleroi, une grande partie du site est restée comme espace vert accessible au public, et c’est important pour les habitants comme pour la biodiversité. La difficulté est que ces zones n’ont pas de rentabilité économique directe, alors que les propriétaires ont des charges d’entretien.

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