Faut-il rénover à tout prix?


Moins 60% d’un côté, suppression de l’autre. Les primes à la rénovation sont jugées impayables en Wallonie et à Bruxelles. “Il fallait éteindre le feu”, s’est défendue la ministre wallonne du Logement, Cécile Neven (MR). “Un choix politique”, a répondu l’opposition. Mais une question demeure : les primes sont-elles la solution miracle pour rénover le bâti ?
“Vous êtes la Thatcher wallonne !'” Fin février, Cécile Neven, l’ancienne CEO de l’Union wallonne des entreprises, a connu sa première bronca politique, en tant que ministre de l’Énergie et du Logement. L’opposition était très remontée contre sa décision, soudaine, de baisser de 60% les primes à la rénovation et de plafonner à 70% le remboursement du montant total. Du jour au lendemain. Ce régime perdurera jusqu’à la refondation totale du système qui interviendra à l’automne 2026.
Une nécessité budgétaire. “La maison brûlait. Il fallait éteindre l’incendie”, s’est défendue la ministre. Faute de monitoring sur les dossiers entrants et le stock de dossiers en attente, la libérale a dû faire appel à son administration pour dresser un état des lieux complet des primes à la rénovation en Wallonie.
Un dérapage
Elle n’a pu que constater les fantômes dans le placard : “À politique inchangée, la facture globale aurait été de 674 millions d’euros pour fin 2025.” À savoir, 322 millions d’euros pour 2024 et 352 millions d’euros pour 2025. Problème : le budget alloué tournait autour de 100 millions d’euros par an. “Les bras m’en tombent”, réagissait la ministre. Qui plus est, “ce budget n’était pas structurel”, précisait-elle.
Pour l’ancienne patronne des patrons wallons, le point de départ de ce dérapage incontrôlé est la réforme du 1er juillet 2023. Au sortir de la crise énergétique, les montants des primes ont été augmentés de 40%, en moyenne, et le plafond de remboursement a grimpé à 90% du montant total. Et comme ça ne suffisait pas, son prédécesseur, le ministre Philippe Henry (Ecolo), a décidé d’engager 1,3 million d’euros pour une grande campagne de communication.
La ministre décide donc, mi-février, de tailler dans le vif. “On n’a pas pris cette décision de gaieté de cœur, admet-elle. Mais on a pu éviter un moratoire, comme à Bruxelles.”
À politique inchangée, la facture globale aurait été de 674 millions d’euros pour fin 2025.

Cécile Neven
Dans la capitale, le budget des primes Renolution a lui aussi dérapé : 42 millions d’euros en 2022, 52 millions en 2023 et 69 millions d’euros lors des six premiers mois de l’année 2024. Les caisses étaient vides et il a fallu dégager en urgence, et sans gouvernement de plein exercice, 71 millions d’euros supplémentaires pour finir l’année 2024. Là encore, les critiques ont été vives à l’encontre d’Alain Maron (Ecolo), ministre sortant de l’Énergie. Finalement, au début de cette année, la décision est prise de fermer le robinet.

Un choix politique
Du côté de l’opposition wallonne, on a pas du tout la même lecture du dossier. On rappelle que tout le gouvernement s’était félicité de la hausse des primes habitation/énergie, jusqu’à l’ancien et actuel ministre du Budget, Adrien Dolimont (MR), qui s’est même fendu d’un post sur les réseaux sociaux pour s’en réjouir.
Chez Ecolo, on va jusqu’à remettre en cause cette notion de bulle. “En 2023, le gouvernement avait tablé sur 2.500 dossiers par mois à la fin de la législature. Or, en juin dernier, l’administration a comptabilisé 2.000 dossiers. On est donc en deçà des estimations. On était loin de l’emballement que vous dénoncez ! Que s’est-il passé depuis juillet 2024 ?”, a questionné Céline Tellier (Ecolo). L’ancienne ministre de l’Environnement pointe plutôt du doigt la Déclaration de politique régionale (DPR). Celle-ci aurait envoyé un mauvais signal concernant les primes, provoquant une peur et donc un afflux des demandes.
Accusé, Philippe Henry réplique ces derniers jours dans la presse. Il dit disposer de documents qui attestent le suivi des primes à la rénovation. Il indique également avoir fait le point régulièrement avec le précédent gouvernement, dont Adrien Dolimont faisait partie. Mais quoi qu’il en soit, il ne voit pas où se situait le dérapage budgétaire, en juin 2024. “Il y avait 20 000 dossiers en stock, ce n’est pas ça qui allait faire exploser les budgets“, explique-t-il à La Libre.
Plus fondamentalement, Ecolo, mais aussi le PS et le PTB, estiment que la décision de broyer les primes est davantage un choix politique qu’une supposée tentative de sauver les finances publiques. “Deux-cent-cinquante millions d’euros pour la réforme des droits d’enregistrement, 380 millions d’euros pour la réforme des droits de succession et 270 millions d’euros pour l’impact de la réforme fiscale du fédéral : quand il a fallu aller trouver ces 900 millions d’euros, vous les avez trouvés”, a asséné Céline Tellier.
Une nécessité
Nous ne trancherons pas ici le débat politique. Ce qui ne souffre d’aucune interprétation, c’est l’état du parc des logements existants en Wallonie. Près d’un quart de l’ensemble des logements a plus de 100 ans et environ 80% de ces derniers ont été construits avant 1991. Au niveau des performances énergétiques, environ 60% des logements construits avant 2010 possèdent un PEB inférieur ou égal à E. Les choses s’améliorent pour les logements neufs, mais la situation évolue très lentement pour l’existant : entre 2012 et 2022, le nombre de logements vendus/loués avec un PEB G est passé de 36,8% à 21,4%. Malgré la baisse, ce chiffre reste très important.
On peut dès lors se demander si les primes à la rénovation sont le meilleur moyen pour parvenir à renouveler le bâti. De toute évidence, il ne s’agit pas d’une solution miracle. Le taux de rénovation est évalué à peine à 1%, alors qu’il devrait être de 3%. Et ce afin de respecter les objectifs climatiques de 2050. Cela représente 20 logements rénovés toutes les heures. Non seulement les primes sont onéreuses, mais elles manquent parfois leur cible, entre ceux qui en profitent alors qu’ils ont les moyens de s’en passer et ceux qui préfèrent passer leur tour face au labyrinthe administratif.
Le taux de rénovation est évalué à peine à 1%, alors qu’il devrait être de 3% afin de respecter les objectifs climatiques de 2050.
Pour les libéraux, les finances publiques n’ont pas vocation à payer l’intégralité de la rénovation du bâti. Les primes doivent surtout servir de déclic pour le citoyen. En commission, le député Olivier Maroy a accusé l’ancien système de créer des effets d’aubaine, reprochant même à certains entrepreneurs d’avoir réalisé des démarchages et gonflé certaines factures. Son collègue de parti, Yves Evrard, a lui rappelé l’épisode de la bulle du photovoltaïque : “Un montant d’1,8 milliard à payer pendant 10 ans. Par tous les Wallons. Personne ne peut plus accepter ce genre de mécanisme.”
“10 à 12 milliards par an”
“La question, c’est de savoir si l’on veut atteindre nos objectifs climatiques”, rétorque Quentin Jossen, consultant énergie et climat chez Climact. Si la réponse est oui, on estime que la rénovation du bâti coûterait entre 10 et 12 milliards d’euros par an, pour toute la Belgique.” On est donc bien au-delà des montants évoqués plus haut. “Mais si on y ajoute les gains au niveau de la santé, le boost économique pour le secteur ou encore le coût de l’inaction, le coût net est moins élevé qu’il n’y paraît”, nuance l’expert.
Dans tous les cas, le spécialiste plaide pour un système plus ciblé qui va plus loin que la simple prime à la rénovation. “Pour bien faire, il faudrait diviser la population en quatre catégories. Tout à gauche, on retrouverait les ménages aux revenus les plus bas pour lesquels il faudrait sans doute payer l’entièreté des travaux de rénovation. Tout à droite, on aurait ceux qui ont les moyens de tout payer et pour lesquels un cadre réglementaire suffit.” Entre les deux, une catégorie de personnes aux revenus modestes pour lesquels il faudrait jongler entre une aide économique directe et une solution de financement. Pour la catégorie au-dessus, le but serait de rendre le financement accessible, mais sans subsides directs.
“Pour chaque catégorie, il y a une série d’instruments spécifiques qui peuvent être mobilisés, poursuit-il. Par exemple, en France, il y a le ‘prêt avance mutation/rénovation’ pour lequel vous payez un remboursement très limité. Ensuite, quand vous vendez, vous remboursez la totalité du prêt. Ce système existe aussi en Flandre.” Il y a beaucoup d’autres exemples. “Typiquement, pour activer les personnes âgées ou les jeunes qui achètent leur premier bien, mais qui ne se projettent pas sur 30 ans, il y a les crédits rénovation liés au bâtiment. Dans ce cas, le propriétaire paye une redevance qu’il passe ensuite au propriétaire suivant quand le bien est cédé.”
Une obligation
Quentin Jossen plaide pour une approche obligatoire. Mais cela doit se faire de manière intelligente. “Si l’on veut éviter un phénomène de rejet de type Gilets jaunes ou Good Move, il faut qu’on soit très bon sur les instruments de financement”, plaide le spécialiste. C’est le seul moyen d’enclencher une dynamique globale et positive.
Et pour éviter un phénomène de goulot d’étranglement pour le secteur, l’expert en rénovation estime qu’une démarche planifiée est primordiale. À cet égard, les communes, poussées par les Régions, ont un grand rôle à jouer. Par exemple, en proposant des solutions clé sur porte, quartier par quartier, où toutes les démarches administratives seraient réalisées. Et où toutes les négociations avec le secteur seraient préparées, dans l’optique d’achats communs, par exemple. Une démarche qui apporterait de la visibilité pour les ménages et le secteur. “On proposerait aux gens de monter dans un train en marche”, résume Quentin Jossen. Plusieurs projets sont déjà à l’œuvre à Namur ou encore à La Louvière. “Mais maintenant, il faudrait passer la deuxième.”
Ce point nous mène à un autre cheval de bataille de la rénovation : la simplification administrative. Obtenir une prime ou entreprendre des démarches urbanistiques est souvent un parcours du combattant. “Chacune des trois Régions devrait prendre le temps de suivre le trajet d’un dossier. Et ainsi se rendre compte du nombre d’interlocuteurs qui vont instruire le même dossier. Je crois qu’on tourne autour d’une dizaine de personnes. On doit rationaliser, pour arriver à une ou deux personnes”, conclut l’expert.
“Le secteur doit être intégré”
Du côté du secteur, on n’a pas été totalement surpris par la décision de la ministre de raboter les primes. La déclaration de politique régionale annonçait effectivement la couleur. “On se réjouit que les primes aient pu être sauvées. Tout comme les prêts à taux zéro”, commente Hugues Kempeneers, le directeur général d’Embuild Wallonie.
Mais le directeur général se tourne déjà vers le futur. “On aimerait que le secteur porte la réforme de 2026. Avec une proposition qui est à la fois soutenable, mais aussi avec un maximum d’effets retour pour l’économie. Un euro d’argent public investi doit avoir un effet de levier maximal. Actuellement, en fonction de la prime, certains postes ont un effet de levier de 1 à 7. On peut faire encore mieux. Notamment en ciblant mieux les travaux de rénovation les plus efficaces.”
Ensuite, comme Quentin Jossen, Hugues Kempeneers soutient une approche de massification par quartier où les communes joueraient un rôle. “Spécifiquement en Wallonie où il y a des quartiers entiers, comme à La Louvière ou au Grand-Hornu, avec des maisons ouvrières. Cela permettrait de réaliser des économies d’échelle, mais aussi d’augmenter la qualité et d’aller plus vite.”
Le directeur général plaide lui aussi pour une obligation. “Aujourd’hui, on a des passoires énergétiques de PEB F ou G avec des prix totalement déconnectés de la réalité. Une obligation pourrait donc également servir à diminuer le prix de ce type de biens.” Il regrette toutefois que la rénovation ne soit pas devenue obligatoire dans le cadre de la réforme sur les droits d’enregistrement. “En Wallonie, on aurait pu par exemple conditionner l’obtention d’un taux réduit de 3%”, conclut-il.
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