Faut-il encore construire des logements neufs en Belgique?
Il y aura 225.000 ménages supplémentaires en Belgique en 2030. Et autant de nouveaux logements à créer d’ici là. Avec un parc immobilier inadapté aux évolutions sociologiques attendues, l’approche devra être multiple pour y répondre. Avec des nouvelles constructions, des rénovations et des transformations. Et une ouverture d’esprit sur les nouveaux modèles à déployer.
Selon les chiffres de Statbel, l’immobilier résidentiel se compose de 3,8 millions de bâtiments (maisons et immeubles à appartements) en Belgique. Ce qui représente au total 5,44 millions de logements. Ces derniers sont répartis de manière relativement équitable entre les maisons deux façades (1,3 million), les trois façades (1 million), les quatre façades (1,5 million) et les appartements (1,64 million). L’occupation réelle de ce parc de logements est par contre inconnue. On sait seulement qu’on y dénombre 72 % de propriétaires. On sait également que seuls 20 % ont été construits après 1981. De quoi affirmer sans prendre trop de risque que ce parc immobilier est très peu performant sur le plan énergétique.
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Voilà pour ce qui est du bâti existant. Tournons-nous vers la demande. Le Bureau fédéral du Plan prévoit que la Belgique comptera 12,8 millions d’habitants en 2060, contre 11,6 millions aujourd’hui. Il s’attend également à une forte augmentation de la part des ménages isolés, qui passerait de 36 % à 40 % au cours des 40 prochaines années. Il en résulte donc que les besoins de logements vont nettement augmenter : il y aura 225.000 ménages en plus à loger d’ici 2030 et 810.000 à l’horizon 2060. Et ce alors que nous dénombrons actuellement 5,16 millions de ménages.
Une stratégie multi-facettes
L’équation semble limpide. De prime abord, il y a aujourd’hui moins de ménages que de logements. Sauf qu’il faut tenir compte des logements inoccupés et abandonnés, des logements vétustes ou encore de l’obsolescence d’une partie du parc immobilier (plus adapté aux besoins actuels en matière de nouveaux usages, mal situé, à l’architecture datée ou ne répondant plus aux normes). L’enjeu est donc de renouveler ce parc et d’agir de manière concomitante sur plusieurs plans. Cela passera par des rénovations, des transformations, des opérations de démolition/reconstruction ou encore des nouvelles constructions.
“Rien ne permet de dire quelle est la proportion de logements à créer via des nouvelles constructions ou par la transformation de bâtiments existants, pointe Niko Demeester, CEO d’Embuild. La rénovation d’un logement existant ne crée pas de logement. Pour créer du logement dans l’existant, il faut modifier le nombre de logements dans un bâtiment.” Que ce soit en scindant une maison en deux ou en ajoutant un étage à un immeuble voire en transformant un bâtiment non résidentiel en immeuble avec plusieurs logements. “Il n’y a pas de solution ultime pour résoudre les besoins en matière de logements, ajoute Hugues Kempeneers, directeur d’Embuild Wallonie. Il faudra travailler sur plusieurs volets. La construction, la rénovation et la transformation, de manière à optimiser le parc immobilier, qui est actuellement inadapté aux enjeux futurs et aux nouveaux ménages qui vont apparaître.”
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Reste que la situation n’est pas des plus simples. A Bruxelles, les ambitions de reconversion de bureaux en logements ont par exemple été revues à la baisse suite à une étude de perspectives.brussels. Sur le million de mètres carrés vacants, seuls 200.000 m² pourraient être reconvertis directement. Et les pouvoirs publics sont relativement réticents à permettre la division des logements ou d’ajouter des étages supplémentaires à des immeubles. Et cela alors que la taille des logements est souvent disproportionnée par rapport à leur occupation réelle. “Il faudra une certaine ouverture des administrations pour permettre ces changements dans le parc immobilier actuel, relève Yves Hanin, directeur du CREAT-UCLouvain. C’est essentiel.”
Augmenter le rythme des rénovations
L’équation est donc compliquée à résoudre : il faut davantage de logements, tout en accélérant la rénovation énergétique des logements et en transformant la typologie de certains. Or, ces éléments patinent sérieusement ces derniers mois. Le nombre de permis octroyés reste faible alors que la rénovation ne connaît pas d’accélération. “Le taux de rénovation actuel moyen est estimé à 1% par an et l’objectif de la stratégie de rénovation, destinée à lutter contre les changements climatiques, est d’atteindre un taux de rénovation de 3%, pointe Jean-Christophe Vanderhaegen, directeur d’Embuild.Brussels. En se référant au plus de 500.000 logements encore à rénover, il faudrait lancer en moyenne 50 rénovations par jour à Bruxelles.” La situation est similaire en Flandre et en Wallonie. Selon BNP Paribas Fortis, il faudra investir 378 milliards pour rénover l’ensemble du parc immobilier belge, dont 195 milliards rien que pour la Flandre.
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Autre problème, la construction de nouveaux logements traverse pour le moment une importante crise. Embuild s’attend à une baisse de 5 % en 2024 après une chute de 7 % l’an dernier. La rénovation de logements s’en tire un peu mieux, avec une croissance de 1,6 % prévue pour 2024. “Pourtant, cette augmentation de l’activité est insuffisante afin d’atteindre les normes européennes en matière de réduction de l’empreinte carbone d’ici 2050, pointe Niko Demeester. La construction peut aider à résoudre ces problèmes, mais on a besoin d’un soutien politique, même si nous comprenons que les circonstances budgétaires sont très difficiles. Ainsi, il est nécessaire d’instaurer à nouveau une TVA sur les démolitions-reconstructions à 6 % pour les projets de vente, comme c’est déjà le cas pour les projets privés ou de location. Pour faire face à la croissance démographique et à l’augmentation du nombre de célibataires et de familles monoparentales, nous devons construire des logements supplémentaires dans toute la Belgique d’ici 2030 et cette capacité supplémentaire ne peut être créée que par des promoteurs.”
“La clé est dans le logement existant”
L’un des principaux enjeux sera également de parvenir à créer des logements qui correspondent aux moyens financiers des ménages. Et, vu les prix de vente, cela pourrait difficilement passer par la promotion immobilière. “Car ce n’est pas parce qu’on construit plus de logements que les prix diminuent, nous disait il y a peu l’économiste française Ingrid Nappi. Nous l’avons observé ces 15 dernières années. Nous n’avons jamais autant construit et les prix n’ont jamais autant augmenté. Ce qui fait le prix n’est pas l’offre mais la demande. Ce n’est pas la construction neuve qui fait diminuer les prix. La production de logements de qualité n’est pas liée qu’à la construction. La clé de toute cette crise est dans le logement existant. Dire que les demandes de permis diminuent ou que les mises en chantier sont en recul n’est plus réellement un indicateur valable pour évaluer la dynamique des marchés immobiliers en Europe, car la rénovation va primer davantage dans le contexte actuel de la transition énergétique et écologique et de la crise climatique.”
15.942 – Nombre de logements octroyés via des permis de janvier à avril 2024 en Belgique, soit une baisse de 7 % en un an.
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