À Bruxelles, la rénovation énergétique des grandes tours de bureaux est aujourd’hui un enjeu de taille. Au point de les détruire pour en rebâtir de nouvelles ? La décarbonation de la tour Bastion éclaire sur certains choix techniques… et économiques.
Dans la capitale, les exigences climatiques et réglementaires encouragent les propriétaires et investisseurs à accélérer la rénovation énergétique de leurs bâtiments. Pourtant, transformer une grande tour de bureaux n’a rien d’anodin. Entre choix des techniques, contraintes et défis économiques… La décarbonation de l’immobilier bruxellois représente un travail de longue haleine. Récemment, la tour Bastion s’est offerte une cure énergétique importante. Un projet porté par des acteurs comme Schroders et Veolia, qui nous expliquent en détails cette métamorphose.
Une solution hybride ingénieuse pour un bâtiment ancien
Pouvez-vous nous décrire en quelques mots la transformation énergétique de la Tour Bastion?
Pierre Hilbert (Schroders): « On a fait réaliser un audit général de la tour Bastion, afin de trouver des points d’amélioration. L’un de ces points était le remplacement de la chaudière à mazout, qui datait des années 2000 et qui ne correspondait plus du tout aux attentes de nos occupants. »
Franck Genin (Veolia): « Pour vous donner un ordre d’idée, au début des années 2000, on était à peu près sur une consommation annuelle de 450.000 litres de fuel. Grâce à la régulation, l’optimisation des consommations et l’éducation des occupants quant à la sobriété énergétique, la consommation est passée sous la barre des 300.000 litres en 2024, soit un peu plus de 30% d’économies. »
L’avantage, c’est que vous pouvez garder les installations actuelles tout en passant au renouvelable.
Afin d’améliorer davantage cette consommation, les deux acteurs ont décidé de remplacer l’ancien système de chauffage par une solution hybride gaz-électricité. Celle-ci combine une pompe à chaleur « quatre tubes » et des chaudières à condensation. Un choix lié aux installations déjà présentes et aux limites techniques.
Le principal défi technique de la Tour Bastion résidait en effet dans le fait que ses installations intérieures, comme les radiateurs, étaient dimensionnées pour fonctionner à de hautes températures (65-70°C). « Étant donné qu’une pompe à chaleur seule ne peut pas produire de l’eau supérieure à 55°C, on a un complément qui est assuré par des chaudières à condensation au gaz », explique Franck Genin. « L’avantage, c’est que vous pouvez garder les installations actuelles tout en passant au renouvelable. »
« Une solution 100% électrique aurait en effet nécessité de lourds travaux », confirme Pierre Hilbert.
Quels résultats concrets attendez-vous, en termes d’économies d’énergie et de coûts?
Ce projet de transition énergétique a un impact concret très significatif, permettant de réduire:
- les émissions de CO2 de 389 tonnes par an ;
- de 33% les émissions liées à la consommation des parties communes ;
- d’environ 25% les émissions de l’ensemble de l’immeuble, locataires inclus.
« Il y a des économies d’énergie qui seront liées à la fois à la condensation et au coefficient de performance de la pompe à chaleur », complète Franck Genin.
Cette vision à long terme vise également à réduire durablement les charges des locataires, un facteur d’attractivité essentiel. « Le niveau de charges a augmenté à cause de l’inflation qu’on a connue ces dernières années, notamment avec la crise en Ukraine », précise Pierre Hilbert. « C’est donc important pour nous de s’assurer de réduire les charges. »
Une stratégie d’amélioration du bâti existant
Pourquoi vous concentrez-vous davantage sur la rénovation et l’amélioration du bâti existant, plutôt que sur la construction de neuf?
Dans ce cas précis, Schroders a choisi d’opter pour la rénovation et l’amélioration du bâti existant plutôt que la démolition/reconstruction. Une approche cruciale pour éviter les émissions de carbone liées à la construction neuve et au béton. « Si on peut s’économiser ces émissions de carbone, on fait déjà un grand pas. Il faut penser avec l’immobilier existant, le parc immobilier présent. On ne va pas pouvoir raser tout Bruxelles et reconstruire à neuf », explique Pierre Hilbert.
Quels étaient les principaux défis techniques?
Si du côté administratif et réglementaire, les deux acteurs ne se sont pas heurtés à des obstacles, les travaux ont tout de même posé des défis logistiques majeurs, étant donné la hauteur de la tour. « Elle fait plus de 100 mètres de haut », chiffre Franck Genin. « On a donc dû faire appel à une grue géante de 140 mètres. » Cette opération a notamment exigé le blocage de la « petite ceinture » de Bruxelles pendant deux jours. « Il faut donc anticiper ce genre de projets», précise-t-il.
Le défi est de réaliser des travaux dans un immeuble occupé.
« Le défi numéro deux, c’est le fait de réaliser des travaux dans un immeuble occupé », ajoute Pierre Hilbert. Un projet qui nécessitait donc une plage d’intervention très restreinte. « On ne pouvait pas déconnecter les équipements techniques en plein été, en raison des températures trop élevées dans les locaux. Et à l’inverse, on ne pouvait pas non plus faire les travaux en plein hiver, parce que les occupants allaient avoir trop froid. »
Afin de garantir le confort des locataires, les deux acteurs n’ont eu d’autres choix que de réaliser ces travaux entre septembre et octobre.
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Les exigences du marché actuel
Selon vous, à quoi ressemblera un immeuble de bureaux “zéro carbone” à Bruxelles?
Cette rénovation n’était pas seulement motivée par les exigences réglementaires bruxelloises – pour rappel, le placement de chaudières à mazout neuves est désormais interdit dans la capitale – mais aussi par les attentes du marché immobilier.
« La transition énergétique est une obligation, ce n’est plus une option », selon Franck Genin. Tant les locataires que les investisseurs exigent des immeubles qui tendent vers le zéro carbone. « On parle parfois même de valeur verte », ajoute Pierre Hilbert. « On voit que la liquidité des immeubles est bien plus importante sur les immeubles vertueux. »
Mais pour voir la capitale complètement métamorphosée, il faudra s’armer de patience. « Je pense que c’est juste une question de temps », conclut Pierre Hilbert. « Il faut comprendre que Bruxelles ne s’est pas construite en une semaine. Il va donc falloir attendre quelques années pour pouvoir la transformer. Mais c’est en cours. »
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