Crise du coronavirus: comment le marché immobilier va tenter de résister
Qu’attendre du marché immobilier résidentiel dans les prochains mois ? Si le nombre total de transactions sera en recul en 2020 par rapport à une année 2019 record et que les prix seront sous tension, de nombreux facteurs devraient cependant permettre de le maintenir à flot. Reste à voir quelles seront les conséquences à plus long terme.
Est-ce le bon moment pour acheter ? Dois-je patienter avant de vendre ma maison ? Les prix vont-ils connaître un sérieux recul ? Le marché immobilier résidentiel n’échappe bien évidement pas à l’incertitude économique actuelle qui alimente le quotidien de nombreux ménages. Reste que si certains avancent des scénarios particulièrement pessimistes, l’histoire de l’immobilier belge nous a appris à raison garder. Les garde-fous sont nombreux. Et s’il faut encore qu’elle se confirme, une baisse des prix de l’immobilier en 2020 ne serait qu’un accroc dans une tendance haussière de près de 30 ans. ” Les acquéreurs et les investisseurs ont, de plus, la mémoire courte, relève Eric Verlinden, le patron du réseau d’agences immobilières Trevi et l’un des plus fins connaisseurs du marché immobilier belge. Une seule question est en fait sur toutes les lèvres : quels sont les facteurs qui feraient que le marché immobilier ne reprendrait pas sa marche en avant ? Ils sont peu nombreux. ” Tentative de décryptage de ce qui nous attend dans les prochains mois.
Nous allons assister dans un premier temps à la mise sur le marché d’une série de biens qui sont en attente d’être mis en vente ou en location.” Eric Verlinden (Trevi)
1. Une reprise des activités en deux temps
Personne ne peut bien évidemment se risquer à établir un pronostic sur la date de reprise du marché immobilier tant que les détails de sortie du confinement n’ont pas été définis. Reste que, dans un scénario optimiste, la plupart des personnes interrogées estiment qu’une reprise des activités à la mi-mai, voire début juin, paraît plausible. Avec un scénario qui se dessine : un fort rebond des transactions suivi d’un ralentissement qui se prolongera pendant les vacances d’été avant une reprise dans les standards habituels en septembre. ” Nous nous attendons en tout cas à une importante diminution du nombre de transactions au premier semestre, estime Julien Manceaux, économiste chez ING. Mais l’activité devrait reprendre au second semestre. Après une crise, les transactions immobilières connaissent une reprise plus vigoureuse que la croissance économique. Deux facteurs permettent d’expliquer ce phénomène. Tout d’abord, de nombreuses transactions immobilières répondent à une nécessité. Les gens continuent en effet à déménager et ils ont besoin d’avoir un toit. Ils peuvent différer cette démarche mais ils ne peuvent le faire trop longtemps. ”
Un constat partagé dans les grandes lignes par Eric Verlinden, qui reste serein malgré le contexte actuel : ” Je pense que nous allons assister dans un premier temps à la mise sur le marché d’une série de biens qui sont en attente d’être mis en vente ou en location. Bon nombre de nos clients nous ont demandé de ne pas mettre leur appartement ou leur maison à la vente ou à la location. Les promoteurs vont également vouloir relancer leurs ventes de biens neufs au plus vite. Nous devrions donc assister au départ à un afflux de biens et à une offre supplémentaire. ”
S’il est indéniable que le nombre de transactions sera moins élevé en 2020 qu’en 2019 – année record, ce n’est pas vraiment surprise. Cette diminution était attendue, crise du Covid-19 ou non. Les acquéreurs ont boosté le marché en Flandre lors du dernier trimestre 2019, de manière à pouvoir encore profiter du bonus logement. Un constat qui se traduit d’ailleurs dans les derniers chiffres des notaires publiés début avril : une baisse de l’activité de 3,3% en Flandre entre le 1er janvier et le 17 mars alors que le nombre de transactions a par contre grimpé de 8 % à Bruxelles et de 3,5 % en Wallonie sur la même période. Le signe que tous les indicateurs étaient au vert. ” Une diminution de 5 à 10 % de l’activité était attendue en 2020, note Julien Manceaux. Avec le coronavirus, elle sera encore plus importante. ”
Si la plupart des observateurs naviguent quelque peu à vue pour le moment, quelques changements d’habitude pourraient aussi permettre de redresser la barre. ” Les vacances du bâtiment seront-elles maintenues ? Seront-elles étalées ? , se demande le notaire Renaud Grégoire, porte-parole de la Fédération royale du notariat belge. Les interrogations sont nombreuses. Les ventes entre le 12 juillet et le 20 août sont toujours très faibles. En sera-t-il de même cette année ? Pour le reste, je pense que les bonnes affaires seront rares. Cela concernera éventuellement des particuliers qui sont acculés financièrement et qui devront malheureusement vendre leur bien dans la précipitation. Mais cela restera une infime proportion. ”
Ajoutons que ce recul de l’activité pourrait se poursuivre quelque peu en 2021, dans une sorte de deuxième vague. Car si des promoteurs disposent encore de biens neufs à mettre en vente, leur portefeuille pourrait être bien moins fourni à l’automne voire cet hiver. ” Nous avions déjà accumulé un certain retard dans la concrétisation de l’un ou l’autre projet, relève Jacques Lefèvre, le CEO du promoteur BPI Real Estate. Je pense par exemple à Key West (Anderlecht) et Brouck’R (Bruxelles). Cette situation ne va rien arranger puisque le traitement des demandes de permis fonctionne au ralenti, avec des comités de concertation ou des enquêtes publiques qui sont annulés. Nos stocks de vente diminuent, ce qui va ralentir également la construction des logements. Bref, j’ai quelques craintes pour la fin de l’année et début 2021. ”
Si tout le monde met son bien en vente au même moment, il pourrait y avoir une baisse des prix. ” Renaud Grégoire (Notaire.be)
2. Des capacités d’emprunts à la baisse
C’est le principal problème auquel sera confronté le marché immobilier. Avec la récession économique qui s’annonce et la hausse du taux de chômage, de nombreux ménages devraient voir leurs revenus diminuer suite à cette crise sanitaire. ” La part de la population qui va être impactée par ce ralentissement économique reste pour l’heure inconnue et sera un élément à suivre de près pour le marché immobilier, explique l’économiste Roland Gillet, professeur à la Sorbonne (Paris 1) et à l’ULB (Solvay). Si le confinement perdure un certain temps, le manque à gagner va créer une diminution du pouvoir d’achat des ménages. Ce qui signifie que moins de gens pourront acheter un bien ou qu’ils seront plus prudents. ”
Selon ING, cette crise aura quoi qu’il arrive un impact négatif sur la croissance des revenus des Belges avec un effet négatif sur la capacité d’emprunt. ” Ces dernières années, outre les taux hypothécaires, c’est la croissance des revenus qui a soutenu le marché, lance Julien Manceaux. S’il y a une défaillance à ce niveau, il faudra en tenir compte. ” Ce contexte économique pourrait toutefois moins affecter le marché immobilier qu’il n’y paraît. ” Oui, car encore une fois, il faut relativiser, tempère Eric Verlinden. Soixante pour cent des ventes vont se poursuivre comme avant. Pour les acheteurs-occupants, certains sont aujourd’hui en chômage temporaire, mais une fois le déconfinement acté, la situation évoluera. D’autres vont par contre subir un chômage pur et dur. Eux seront impactés, ce seront principalement des jeunes ménages. De même que les indépendants, qui seront également touchés. Mais ces deux dernières catégories ne représentent qu’une faible proportion du marché immobilier. ”
3. Des prix sous tension
Une baisse de 3 % pour la banque KBC, de 2 % pour ING et de 1 % pour BNP Paribas Fortis. Les économistes sont pour leur part unanimes : il faut s’attendre à un recul des prix pour l’année 2020. Ce qui serait une première depuis 1983. ” J’indique 2 % mais cela pourrait être 1% ou 3 %, précise Julien Manceaux. Il faut reconnaître qu’il est difficile de faire des pronostics car le marché immobilier belge dispose toujours d’un haut niveau de confiance de la part des acheteurs et des investisseurs. Les Belges sont traditionnellement optimistes quant à l’évolution des prix immobiliers. Leur confiance bien ancrée dans la stabilité du marché immobilier rend donc moins vraisemblable une forte correction à la baisse. Comme la récession ne durera pas longtemps, cela ne devrait en principe pas ébranler cette confiance. Et une certaine relativité s’impose : les prix de l’immobilier ont augmenté de façon relativement importante ces dernières années et de nombreux propriétaires ont pu constituer un ‘coussin’ de sécurité. ”
Si les économistes pointent une baisse des prix en 2020, certains observateurs du marché sont beaucoup plus circonspects. ” Les prix du marché immobilier ne vont pas baisser en 2020 et les mêmes prix qu’auparavant seront appliqués “, fait remarquer Eric Verlinden. Un constat partagé par Renaud Grégoire : ” Si tout le monde met son bien en vente au même moment, il pourrait y avoir une baisse des prix. Mais ce ne sera pas le cas. Cette crise ne sera pas un cycle long pour l’immobilier, je pense donc que l’impact sur les prix sera minime “. Même topo pour le marché neuf, où Jacques Lefèvre ” ne pense pas qu’il y aura une baisse des prix. La plupart des promoteurs sont actifs sur le segment du moyen de gamme supérieur. Cela permet de maintenir une certaine stabilité “.
Croire que tout le secteur est à l’arrêt est bien évidemment un leurre.
4. Des taux bas pour longtemps
Cette crise ne devrait en tout cas pas provoquer des changements significatifs en matière d’octroi de crédits hypothécaires. La Banque nationale avait resserré la vis il y a quelques mois, en ne permettant plus d’octroyer des prêts au-delà de 90 % de la valeur du bien. ” Cette rigueur accrue dans l’octroi des crédits était déjà prévue pour 2020, précise Julien Manceaux. Les mesures de la BNB ne vont pas se desserrer avec cette crise. Car je doute que les banques prendront plus de risques sur leur portefeuille hypothécaire. ”
Dans tous les cas, il n’y a que peu de risques que la BCE procède à des relèvements significatifs des taux du marché et modifie sa politique monétaire. ” L’avantage de cette situation de crise, c’est que nous sommes partis pour des taux bas pendant de longues années “, détaille Eric Verlinden. Un élément qui renforce la stabilité du marché.
5. Des investisseurs bien présents
Tout le monde le sait, le marché immobilier résidentiel doit, ces dernières années, l’essentiel de sa croissance aux investisseurs. Leur présence est donc scrutée de près. ” Le marché des investisseurs va reprendre bien plus vite que celui des acheteurs-occupants, tranche Eric Verlinden. Eux, ils n’auront pas d’états d’âme. Ceux qui étaient actifs en Bourse, nous ne les verrons pas tout de suite sur le marché immobilier. Ils ne reviendront pas avant le quatrième trimestre 2020. Par contre, cette situation va amener vers l’immobilier ceux qui n’ont pas investi en Bourse, ont observé la déconfiture du marché boursier et qui se diront que seul l’immobilier peut leur fournir une stabilité dans leurs investissements. “
” Certains seront bien tentés de faire quelques bonnes affaires sur le marché boursier dans les prochaines semaines, précise Renaud Grégoire. Mais, d’une manière générale, beaucoup considéreront le marché des actions comme trop risqué vu les chocs de ces dernières semaines “. Et Julien Manceaux d’ajouter : ” Ces investisseurs seront alors attirés par le marché immobilier. C’est ce que nous avons pu observer ces dernières années. Et nous nous attendons à ce qu’il en soit de même dans les prochaines années “.
6. Embouteillage urbanistique en vue
Croire que tout le secteur est à l’arrêt est bien évidemment un leurre. Les architectes planchent sur des projets. Certains chantiers de construction reprennent. Les notaires peuvent désormais signer des actes de manière digitale, ce qui permettra de désengorger les salles d’attente une fois le déconfinement acté. Les promoteurs finalisent leurs prochains projets. Les agents immobiliers sont par contre particulièrement touchés. Quant aux administrations, les trois Régions ont suspendu les délais de rigueur et les délais de recours. Ce qui fait que les demandes de permis d’urbanisme ou enquêtes publiques sont mises entre parenthèses. ” Il est encore possible de rentrer des permis par voie électronique à Bruxelles, explique Jacques Lefèvre. Le dialogue est également très constructif. Mais il est évident qu’il serait opportun que les administrations reçoivent un certain soutien pour ne pas être inondées de demandes de permis. D’autant que délivrer des permis dans des délais raisonnables permettrait de relancer l’activité le plus rapidement possible. ”
Vivre sept semaines (voire plus) de confinement dans son petit appartement sans balcon ou sa maison sans jardin peut-il donner des envies d’ailleurs, redéfinir son rapport à l’habitat ou encore remettre en question les grandes tendances d’aménagement du territoire ? A savoir la densification des villes, la lutte contre l’étalement urbain, la diminution de la taille des appartements ou la réduction des projets de villas quatre façades. ” C’est encore un peu prématuré de déjà parler de cela, explique Yves Hanin, sociologue et urbaniste à l’UCLouvain. Mais plus ce confinement sera long, plus de nouveaux comportements pourront être adoptés. Ces interrogations renvoient à la notion de résilience. Tant que le phénomène reste épisodique, cela ne change pas les choses. Si cela dure un an ou deux avant d’en sortir complètement, comme certains experts l’évoquent, ce sera différent. Historiquement, chaque crise sanitaire a en tout cas amené de nouvelle normes de salubrité dans le logement. Ce pourrait être le cas ici également, avec des normes ancrées sur le bien-être de l’individu. On pourrait imaginer d’imposer une taille minimum plus importante pour les appartements ou imposer davantage d’espaces extérieurs à un appartement. Cette crise va surtout amplifier certains phénomènes déjà en place. Comme le télétravail, la place du vélo dans la ville, etc. Pour le reste, ceux qui vivent en ville le font pour bénéficier de ses nombreux avantages. Il faut donc veiller à les maintenir. La question du coût des logements est également importante car c’est un autre frein au changement. ”
Parmi les acteurs de l’immobilier, nombreux sont ceux qui pensent que ce confinement ne marquera pas de grands bouleversements. ” La tendance d’un retour sur la ville est marquée et ne va pas changer “, note Eric Verlinden. ” Par contre, cette période va nous pousser à réfléchir à proposer davantage d’espaces dans les immeubles, comme des bureaux partagés, lance Jacques Lefèvre. Les besoins vont évoluer et il faudra en tenir compte. ” Et Serge Fautré, le CEO d’AG Real Estate, de conclure : ” Dans tous les cas de figure, nous avons un grand besoin de logements en Belgique. Et plus que jamais, il va falloir travailler sur les logements abordables et la densification. Une chose est sûre, il faut arrêter avec cette tendance de réduire la taille des logements. C’est inacceptable. Ce n’est pas une réponse valable à la hausse des prix. ”
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