Comment la côte belge s’est-elle transformée en mur de béton ?

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La bétonisation de la côte belge n’est pas qu’une catastrophe architecturale qui pique les yeux. C’est aussi la cicatrice visible d’une croissance effrénée. Nulle part ailleurs que sur les 67 kms du littoral belge les construction, destruction et reconstruction ne se sont enchaînées aussi vite. Un « phénomène belge » analysé par de nombreux spécialistes de l’aménagement du territoire tant il soulève de nombreuses questions. Récit.

Autrefois composée de dunes sauvages, de plages naturelles et de petits villages de pêcheurs, la côte belge a connu une transformation radicale au cours des dernières décennies. Elle est aujourd’hui marquée par une urbanisation dense et une bétonisation qui ont profondément modifié son paysage et son identité. Certains terrains ont connu trois ou quatre affectations différentes en un siècle. Sur la Côte belge, l’on n’a plus construit les bâtiments l’uns à côté des autres, mais les uns sur les autres.

Les premières phases d’urbanisation ont lieu entre XIXe et le début XXe siècle

L’histoire de la bétonisation de la côte belge commence à la fin du XIXe siècle, à une époque où le développement du tourisme balnéaire en Europe prend son essor. C’est principalement sous l’impulsion de Léopold II, deuxième roi des Belges, que la côte belge commence sa mutation. Inspiré par les stations balnéaires luxueuses de la Côte d’Azur et de la Riviera, le roi Léopold II voit dans la côte belge un potentiel touristique inexploité. Et s’y lance à corps perdu.

Des projets ambitieux sont lancés, comme la construction de la Digue de mer à Ostende, un boulevard bordant la plage destiné à accueillir hôtels, villas et commerces. Cette période marque aussi le début de l’urbanisation de la côte, avec la construction de nombreux établissements de luxe, attirant une clientèle bourgeoise et aristocratique. Des stations balnéaires comme Knocke-Heist, Blankenbergue, et La Panne se développent rapidement, leur architecture reflétant le style Belle Époque en vogue à l’époque.

L’Entre-deux-guerres et l’essor du tourisme de masse

L’entre-deux-guerres représente une deuxième phase importante dans l’urbanisation de la côte belge. Avec l’amélioration des infrastructures de transport, notamment l’extension des lignes de chemin de fer, la côte devient accessible à un plus grand nombre de personnes. Le tourisme de masse commence à s’implanter, et avec lui, la demande pour des hébergements plus abordables et des infrastructures de loisirs se développe.

Cette période voit la construction de nombreux immeubles à appartements le long de la digue. Ces immeubles, souvent construits rapidement et sans souci esthétique, marquent les débuts d’une urbanisation plus dense et fonctionnelle, au détriment des espaces naturels et du charme architectural des premières constructions. La Seconde Guerre mondiale interrompt temporairement ce développement, mais la reconstruction d’après-guerre le relance avec encore plus d’intensité.

L’après-guerre : L’âge d’Or de la bétonisation

Les années 1950 à 1970 constituent une période clé dans la bétonisation de la côte belge. Le boom économique de l’après-guerre, associé à l’augmentation du pouvoir d’achat et aux congés payés, intensifie la demande pour des résidences secondaires. Les promoteurs immobiliers investissent massivement dans la construction d’immeubles à appartements le long de la côte. Les bâtiments deviennent de plus en plus hauts, et la densité urbaine augmente de manière significative.

Knokke © PG

C’est aussi durant cette période que la côte belge acquiert son visage actuel, avec des villes comme Knokke, Ostende, et Blankenberge se transformant en stations balnéaires fortement urbanisées. A Ostende, l’on construisait 1 appartement tous les jours. Cette période est également marquée par une quasi-absence de régulation stricte en matière de planification urbaine et d’architecture. Les constructions se multiplient sans réel souci pour l’harmonie avec le paysage naturel ou pour la préservation des dunes et des plages. Le mur bétonné de la mer du Nord était né.

Des années 1980 à aujourd’hui, cela continue mais sous une autre forme

À partir des années 1980, la prise de conscience environnementale commence à émerger, et avec elle, les critiques contre la bétonisation excessive de la côte belge. Des réglementations plus strictes sont mises en place pour tenter de limiter les dégâts. Les autorités locales et régionales prennent des mesures pour protéger certaines zones naturelles et imposer des restrictions sur la hauteur des nouvelles constructions. Cependant, malgré ces efforts, la bétonisation continue sous d’autres formes.

Impact économique de la bétonisation

Elle a même encore aujourd’hui des répercussions significatives sur le marché immobilier et l’économie locale. La côte belge connaît depuis plusieurs décennies une forte pression immobilière. L’attrait pour les résidences secondaires et les investissements immobiliers dans cette région a conduit à une multiplication des projets de construction. Cette dynamique est renforcée par une demande croissante, émanant aussi bien de résidents belges que de touristes étrangers, notamment en provenance des pays voisins comme les Pays-Bas et l’Allemagne.

L’urbanisation croissante de la côte a généré une hausse des prix de l’immobilier. Cette flambée des prix favorise principalement les investisseurs et les promoteurs immobiliers, qui voient dans cette région un marché lucratif. Par ailleurs, la rentabilité des investissements dans cette zone est accrue par la rareté du foncier disponible, ce qui incite à une densification du bâti et à l’optimisation des espaces.

Les projets de rénovation urbaine et de modernisation des infrastructures remplacent parfois les anciens bâtiments par des constructions encore plus massives, mais cette fois en intégrant des considérations environnementales et esthétiques.  En gros, on ne déconstruit pas, mais on rend le tout plus joli.  Cependant, cette bétonisation soulève des préoccupations quant à la durabilité économique à long terme.

Conséquences sur le marché immobilier

Le marché immobilier le long de la côte belge est marqué par une demande forte et une offre limitée, exacerbée par la bétonisation. Les nouveaux projets immobiliers, souvent des immeubles de grande hauteur, modifient profondément le visage des villes côtières. Si ces constructions répondent à une demande en logements et en infrastructures touristiques, elles contribuent également à une saturation du marché.

Cette saturation pourrait mener à une surévaluation des biens immobiliers, augmentant ainsi le risque de bulle immobilière. De plus, l’homogénéisation de l’offre, avec une prolifération de résidences standardisées, pourrait dévaloriser le patrimoine architectural de la région, réduisant l’attractivité à long terme pour les acheteurs potentiels. De même l’augmentation des constructions, souvent au détriment des espaces naturels et des zones vertes, pourrait à terme nuire à l’attrait touristique de la région. En effet, la dégradation du paysage côtier et la perte de biodiversité pourraient dissuader les touristes, affectant ainsi une économie locale fortement dépendante du tourisme.

Enfin, cette bétonisation accentue les inégalités d’accès au logement. Les prix élevés excluent une partie de la population locale, qui se voit contrainte de se déplacer vers l’intérieur des terres, où les prix sont plus abordables. Ce phénomène pourrait accentuer la désertification des zones rurales adjacentes, avec des répercussions négatives sur l’économie régionale.

Ce n’est pas seulement peu esthétique, c’est aussi potentiellement dangereux

En misant tout sur la rentabilité immédiate, on en oublierait presque aussi les défis climatiques qui s’annoncent. Car la bétonisation de la côte belge pose également des défis environnementaux majeurs. La construction intensive et la réduction des espaces naturels fragilisent l’écosystème côtier, augmentant les risques d’érosion et d’inondations. À long terme, ces problèmes pourraient entraîner des coûts importants pour la collectivité, en termes de protection et de restauration des zones côtières.

Il est donc urgent que les autorités se réveillent et resserrent la vis pour retrouver une forme d’équilibre entre ses besoins économiques et environnementaux. Car une côte belge noyée sous les flots ou calfeutrée derrière un haut mur anti-inondations risque de manquer d’attractivité.

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