Comment décarboner son portefeuille immobilier

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Décarboner son portefeuille immobilier est aujourd’hui l’objectif de la plupart des propriétaires. S’il s’agit d’une piste pour séduire les investisseurs potentiels, il s’agit surtout de ne pas voir la valeur de ses actifs 
se déprécier. Reste que la voie à emprunter peut s’avérer plus compliquée qu’il n’y paraît.

Les chiffres sont loin d’être anodins : l’ensemble des bâtiments sont aujourd’hui responsables d’environ 40 % des émissions mondiales de carbone liées à l’énergie. Agir sur ce volet est donc inévitable pour atteindre d’ici 2050 les objectifs européens de décarbonation. Surtout quand on sait que 80 % des immeubles actuels seront encore sur pied en 2050. “L’immobilier est l’un des secteurs qui a le plus grand potentiel pour contribuer à la réduction des émissions de carbone”, estime Benoît Cruysmans, directeur ESG & Sustainability BeLux au sein du conseiller immobilier CBRE.

Sauf que si le temps presse, les entreprises et autres grands propriétaires ne semblent pourtant pas aussi empressés d’établir un véritable plan de décarbonation de leur portefeuille immobilier. “Ils courent pourtant le risque de voir leurs actifs se déprécier, ce qui ne fait pas très bonne figure dans un rapport annuel d’activités, surtout quand on connaît l’importance de ce volet aujourd’hui, poursuit Benoît Cruysmans. La dépréciation d’un actif peut atteindre les 30 %, ce qui est énorme.”

D’autant plus que les exigences en la matière vont s’enchaîner. Dès 2025, près de 50.000 multinationales européennes devront par exemple se conformer à la directive CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive), qui établit de nouvelles normes pour le reporting extra-­financier, imposant des critères ESG plus rigoureux. Une directive qui vise à améliorer la transparence et la comparabilité des informations sur la durabilité des entreprises.

De nombreuses sociétés sont donc actuellement en train d’interroger leurs propriétaires sur les critères de durabilité des bâtiments qu’elles louent ou s’interrogent sur leur patrimoine si elles en sont propriétaires. “Les questions sont en effet nombreuses, que ce soit en matière de consommation d’énergie ou de qualité de l’air, explique Benoît Cruysmans. Et en Belgique, les résultats sont souvent décevants, ce qui oblige les entreprises à déménager, même si elles apprécient le bâtiment qu’elles occupent ainsi que son emplacement. Ce mouvement ne va faire que s’accélérer.”

Suivre la courbe de 
la décarbonation

Etablir une stratégie de décarbonation de son portefeuille immobilier est donc de plus en plus obligatoire. “Les grands acteurs sont au courant de ces futures obligations mais des investisseurs locaux ou des petits propriétaires qui disposent de cinq à dix immeubles ne réalisent pas l’ampleur des changements, relève Benoît Cruysmans. Or, il y a un vrai risque de voir leurs immeubles perdent de leur valeur. Quand on nous sollicite, réduire la consommation énergétique fait partie des priorités. Mais d’autres aspects entrent également en jeu.”

Montoyer 10 (Cofinimmo). C’est dans cet immeuble situé dans le quartier européen, que devrait être franchie d’ici la fin de l’année la barre symbolique des 400 euros/m2 de loyer à Bruxelles. © Cofinimmo

Pour établir une stratégie claire, chaque immeuble est passé au crible. Certification, réduction de la consommation d’énergie, résilience aux effets du changement climatique, technologie intelligente pour réduire l’impact sur l’environnement ou encore production d’énergie renouvelable sont autant d’éléments pris en compte par les investisseurs et qui doivent donc être renforcés.

“Dans la majorité des cas, nous établissons une courbe de décarbonation pour chaque immeuble, pointe Benoît Cruysmans. Si la courbe descend dans le rouge, cela signifie que l’actif se déprécie. Il est donc moins attractif pour les locataires potentiels ou pour une éventuelle revente. Chaque client doit établir sa stratégie au rythme qu’il souhaite. Soit à l’horizon 2030, 2040, 2050. Cela dépend de ses besoins. L’important est surtout d’avoir une approche cohérente. Avec des mesures qui soient les plus efficientes au niveau des coûts.”

Une prime à 
la certification de 7 %

Les certifications environnementales (BREEAM,…) sont aujourd’hui incontournables pour vendre un nouvel immeuble à des investisseurs internationaux. Selon une étude de CBRE portant sur 19 pays européens et 40 villes, il existe une corrélation significative entre ces certifications et la valeur marchande des bâtiments. “Les propriétaires et les investisseurs continuent à rechercher des certifications environnementales pour leurs immeubles de bureaux, explique Ludovic Chambe, Head of ESG & ­Sustainability Services, chez CBRE Europe. Sur les marchés analysés, la part certifiée s’élève à 22 % au premier semestre 2023, contre 15 % en 2019. De quoi confirmer la tendance selon laquelle la durabilité est un facteur important pour les occupants dans le processus de sélection des bâtiments. Toutefois, la composition du parc local de bureaux limite la possibilité pour les occupants de choisir des bâtiments certifiés.”

Investisseurs locaux et petits propriétaires ­disposant de cinq à dix immeubles ne réalisent pas l’ampleur des changements.” – Benoît Cruysmans (CBRE)

Une situation à laquelle Bruxelles n’échappe bien évidemment pas, l’offre restant bien faible. Et ce, même si les promoteurs continuent à développer des projets. “Il y a une prise de conscience croissante de ces questions, fait remarquer Dimitri Vanneste, Director, Head of Occupier Services chez CBRE. Nous assistons à une polarisation des relocalisations, dans le but de se rapprocher des employés : soit le siège social sera au centre, soit à la périphérie, mais plus entre les deux. Beaucoup d’entreprises reportent pour l’instant leur décision de déménager dans de nouveaux bureaux. Nous menons actuellement une réflexion approfondie avec les entreprises sur la manière de répondre à toutes ces nouvelles directives liées à la taxonomie européenne.”

Trouver le bon équilibre entre les préférences en matière d’emplacement et le programme de développement durable reste en tout cas un défi lorsqu’il s’agit de franchir le cap d’un déménagement. “A court terme, l’équilibre des marchés locaux sera influencé par la proportion d’espaces certifiés qui sont en cours de construction, explique Benoît Cruysmans. Mais si l’on considère le parc immobilier dans son ensemble, la proportion de projets en cours de réalisation qui sont certifiés est beaucoup plus élevée que la proportion certifiée du parc existant. Ce qui a un impact indéniable sur les loyers. Lorsque les effets de la taille, de la localisation, de l’âge et de l’historique des rénovations d’un bâtiment sont pris en compte, les bâtiments certifiés développement durable bénéficient d’une prime de loyer de 7 %. Cette prime est disponible pour les immeubles de bureaux certifiés, quelle que soit l’année de construction. La certification des immeubles neufs et existants garantit des loyers de bureaux plus élevés que ceux des immeubles non certifiés.”

“Le loyer prime sera bientôt à 400 euros/m²”

L’apparition du volet ESG a clairement modifié l’approche de l’immobilier, tant du côté des développeurs que des propriétaires. Avec parfois quelques surprises à la clé.
“Cela a clairement un impact important sur les coûts de construction et de rénovation, relève Rikkert Leeman, CEO d’Alides. Nous allons davantage vers des projets circulaires qui maintiennent la structure existante de manière à limiter l’empreinte carbone. Mais, comme vous le savez, une rénovation coûte plus cher qu’une construction neuve. Elle se chiffre en moyenne à 15 % et ne se répercute pas nécessairement dans le prix de vente qui, lui, dépend d’une série de facteurs. Par contre, cela a un impact au niveau des coûts.”

Le parc immobilier belge est loin d’atteindre des performances énergétiques optimales. Même si elle est incontournable, sa transformation sera lente, coûtera cher et devrait donc avoir d’importants impacts en matière de loyers.
“Le taux de remplacement des immeubles est en moyenne en Belgique de 2,5 % par an, ajoute Rikkert Leeman. Si nous voulons reconvertir l’ensemble du patrimoine existant, nous mettrons donc environ 40 ans. C’est énorme. Si des sociétés veulent aujourd’hui déménager dans un bâtiment neuf, elles devront, la plupart du temps, patienter. Par contre, je suis convaincu que cela va entraîner une pression vers le haut sur les loyers pour les produits qualitatifs. Le loyer prime à Bruxelles commence enfin à monter. Des transactions se réalisent autour de 375 euros/m2. Je suis certain que, d’ici 6 à 12 mois, nous passerons le cap des 400 euros/m2.”

Et les observateurs avertis de citer le Montoyer 10 (Cofinimmo) comme immeuble idéal pour franchir d’ici l’automne ce nouveau cap.

Investir au plus vite

Le marché du bureau est actuellement essentiellement dynamisé par ces transactions appelées up to date. Soit visant les immeubles les plus efficaces sur le plan énergétique. “Aujourd’hui, il n’y a plus de transactions sans stratégie de décarbonation d’un immeuble de bureau, analyse Benoît Cruysmans. Il faut démontrer qu’une plus-value sera apportée au bâtiment existant. Les propriétaires qui investissent le plus tôt dans la modernisation de leur portefeuille en tireront les plus grands bénéfices à long terme. Ce qui est étonnant, c’est le fait que les investisseurs adoptent une position défensive lorsqu’ils apportent des améliorations durables à leurs biens immobiliers afin d’éviter les décotes et de protéger la valeur, plutôt que d’essayer d’obtenir des primes en prenant des mesu­res en tête du marché.”

Focus sur le marché Bruxellois de bureau
• 13 millions de m2
• 11 millions de m2 devront être transformés d’ici 2050
• L’âge moyen des immeubles de bureau est de 24 ans
• 2 millions de m2 sont certifies BREEAM
• 84% des immeubles ne répondent plus aux normes énergétiques actuelles

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