BuildUp: “Le marché prend conscience de la nécessité de construire différemment”

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Dix ans après avoir fondé beSteel (désormais intégrée dans BuildUp), Hélène de Troostembergh cède les commandes à François Snoeck. Un changement de CEO qui doit permettre à l’entreprise de poursuivre sa croissance et de trouver davantage de partenaires pour hisser le secteur de la construction vers plus de durabilité.

En lançant beSteel et ses structures en acier hors site, Hélène de Troostembergh voulait insuffler un vent de durabilité au très polluant secteur de la construction. Depuis, elle lui a offert une petite sœur : Retrofitt, spécialisée dans la rénovation rapide. Deux divisions désormais réunies dans le groupe BuildUp, dont Besix a acquis 40% du capital en 2021.

En ce début d’année, Hélène de Troostembergh a passé le flambeau à François Snoeck, déjà actif dans l’entreprise depuis 2022. L’occasion pour l’ancienne et le néo-CEO de partager leur vision sur l’innovation dans un secteur en crise… et d’annoncer un premier projet d’envergure à Bruxelles.

TRENDS-TENDANCES. Pourquoi avez-vous choisi de changer de CEO 10 ans après la fondation de votre entreprise ?

HÉLÈNE DE TROOSTEMBERGH. J’ai lancé et dirigé beSteel avec énormément de passion et d’ambition. Aujourd’hui, on sent que l’entreprise est sur une autre piste de croissance. Créer une entreprise et continuer de la gérer une fois qu’elle a grandi sont deux choses très différentes. J’avais l’impression qu’il était temps de faire appel à un autre profil.

FRANÇOIS SNOECK. Cette décision n’a pas été prise du jour au lendemain. Lorsque je suis arrivé chez BuildUp, je n’avais pas l’ambition d’en devenir le gérant. Cela s’est fait assez naturellement. On s’est rendu compte qu’Hélène disposait d’une excellente vision pour créer de nouvelles choses, mais qu’elle était moins à l’aise dans la gestion journalière d’une boîte en pleine croissance. Mon profil lui a plu, dans la mesure où je suis plus à l’aise pour identifier des best practices et faire évoluer une équipe.

C’est cette vision plus pragmatique qui vous a séduite, Hélène ?

H.d.S. Bien sûr. Deux autres éléments ont guidé mon choix. D’une part, il fallait que le nouveau CEO ait une bonne maîtrise sur le plan technique, car je trouve qu’il y a trop de gérants déconnectés du produit de leur boîte. D’autre part, je souhaitais confier BuildUp à une personne partageant les mêmes valeurs que moi. François correspond à ces critères. Je suis donc très contente qu’il ait accepté.

Vous ne quittez pas le navire pour autant.

H.d.S. Non, je reste administratrice et je représente encore la boîte lorsque c’est nécessaire. La construction durable continue de me passionner.

Avec beSteel et Retrofitt, BuildUp dispose de deux divisions : allez-vous vous concentrer davantage sur l’une d’elles?

F.S. La question de la rentabilité doit désormais guider en partie nos choix. On ressent cette pression depuis un petit temps : les investisseurs ont des attentes. Actuellement, beSteel est bien mieux armé. On va donc accentuer notre focus sur nos ossatures en acier léger qui constituent, finalement, la base de tous nos produits. Aujourd’hui, beSteel est rentable, mais on doit encore augmenter le chiffre d’affaires.

“Aujourd’hui, beSteel est rentable, mais on doit encore augmenter le chiffre d’affaires.” – François Snoeck, Head of Operations de BuildUp

Quid de Retrofitt ?

F.S. La demande est là et on a acquis une bonne réputation, mais on a un problème de marges.

H.d.S. C’est dommage parce que notre produit a vraiment du sens. On couvre rapidement les bâtiments avec une enveloppe isolante et selon une logique circulaire. Malheureusement, les marchés prennent beaucoup de temps à se développer.

F.S. Mais on y croit encore ! Les besoins de la construction vont au-delà de l’ossature métallique. Il faut des rénovations rapides et des solutions préfabriquées. On va encore réaliser des projets avec des subsides et d’autres en nous associant à des partenaires prêts à partager ce risque financier. Et on va bien sûr poursuivre la R&D. On est peut-être arrivé trop tôt, mais on est convaincus que la révolution approche.

Pour l’instant, la majorité de vos projets se situent en France. Commencez-vous à gagner du terrain en Belgique?

H.d.S. En France, l’État a provoqué un effet de push en encourageant vivement les méthodes de construction modernes telles que les nôtres. Chez nous, c’est moins le cas… Mais c’est en train de bouger, via un mouvement bottom up. Le secteur belge prend conscience de la nécessité de construire différemment. C’est une bonne nouvelle parce que c’est encore mieux que lorsque c’est poussé par l’État.

F.S. Il est toujours plus facile de travailler dans son propre pays. Je suis certain qu’on va bientôt trouver des projets en Belgique. On vient d’ailleurs de décrocher un contrat très prometteur à Anderlecht.

Dites-nous en plus…

H.d.S. On participe à un projet d’envergure qui comprend 80 unités de logements sociaux pour le compte de la Société du Logement de la Région Bruxelles-Capitale (SLRB). C’est la première fois qu’on construit sept bâtiments en ossature métallique à Bruxelles, alors que ça se fait depuis des années à l’étranger. Nous sommes particulièrement fiers d’y contribuer. Ça va nous ouvrir beaucoup de portes.

F.S. C’est notre partenaire Meccabuild qui va s’occuper du montage. Il faut souligner que ce projet a été vendu “clé sur porte” à la SLRB. Une méthode plus classique – avec un cahier des charges et un appel d’offres – mène à des projets plus génériques qui excluent fortement l’innovation. On espère montrer l’exemple.

D’autant plus que vous estimez que vos solutions répondent aux objectifs européens en matière de climat.

F.S. Oui, car il y a urgence. Le marché de la construction étant fier de ses habitudes, il est difficile à bouleverser. Les solutions sur chantier doivent être rapides et c’est le cas de notre produit. Notre projet à Anderlecht va le prouver. L’autre enjeu est lié à la durabilité des matières premières. Bien qu’il soit controversé, l’acier présente plusieurs avantages. C’est un matériau très performant et il faut peu de matière première pour réaliser un immeuble. En outre, il faut privilégier la réutilisation de l’existant. BuildUp répond parfaitement aux objectifs de zéro artificialisation des sols. Retrofitt améliore la performance du bâti, tandis que beSteel surélève les bâtiments avec ses structures légères. Nos solutions sont aussi très utiles pour les projets de réhabilitation. Construire dans un bâtiment existant entraîne pas mal de difficultés techniques par rapport auxquelles la légèreté est un atout intéressant.

H.d.S. Il n’y a pas d’autre solution que d’utiliser des matériaux hyper-circulaires et recyclables. Il faut aussi rappeler que nous diminuons de près de 50% l’impact carbone d’un bâtiment par rapport à la construction traditionnelle. L’innovation dans le secteur peut avoir un impact gigantesque. C’est tellement criant qu’on peut se demander pourquoi ce n’est pas encore poussé plus massivement.

Dans le même temps, vous dites pouvoir apporter des solutions à la crise du logement.

H.d.S. On peut apporter une réponse rapide dans le neuf, tout en offrant une solution en matière d’isolation et de surélévation dans l’existant. BuildUp est hyper-flexible.

F.S. L’aspect financier joue aussi un rôle très important. Notre fonctionnement permet de mieux maîtriser les prix. C’est un argument de vente auquel on tient énormément. C’est un facteur décisif pour le client, qui est un élément central du marché de la construction.

Le prix de l’acier a justement connu de fortes fluctuations ces dernières années. Comment vous y êtes-vous adapté?

F.S. À nouveau, la rapidité nous aide. Quand un projet est acheté chez nous, les délais de livraison sont estimés entre trois et huit mois. Le risque lié à l’inflation est donc moins important. Pour le client, la variabilité du prix de l’acier n’influence de toute façon pas énormément le coût total de la construction. L’acier représente à peine 5% du coût final.

Quel est votre regard sur les droits de douane de 25% récemment imposés par les États-Unis sur l’acier européen ?

H.d.S. L’acier européen traverse une crise de grande ampleur. Or, il est nécessaire d’être souverain en la matière. Le choc venu des États-Unis peut s’avérer positif et réveiller les Européens.

Où vous approvisionnez-vous ?

H.d.S. Chez ArcelorMittal, principalement sur leur site de Gand et un peu aux Pays-Bas.

N’avez-vous jamais été tenté par l’achat d’acier asiatique ?

F.S. On a été submergé par les offres d’acier chinois, qui est beaucoup moins cher. Mais dès le lancement de l’entreprise, Hélène a mis un point d’honneur à acheter du local et on continue de se tenir à ce principe. On a été tenté d’acheter de l’acier au Japon ou à Dubaï, mais on ne l’a pas fait. On veut créer un lien fort avec nos fournisseurs et rester fidèle à nos valeurs.

H.d.S. Notre mission consiste à créer un impact positif dans le secteur de la construction. Lorsqu’on a ressenti la pression de la rentabilité, on a vite compris qu’acheter de l’acier asiatique pouvait nous aider. Mais on s’est demandé si ça restait en phase avec notre vision. La réponse était clairement non. François et moi voulons être fiers de ce que nous faisons.

“Avec la pression de la rentabilité, acheter de l’acier asiatique pouvait nous aider. Mais ce n’était pas en phase avec notre vision.” – Hélène de Troostembergh, fondatrice de BuildUp

Vous dites vouloir faire bouger les lignes. Avez-vous le sentiment que le secteur vous suit dans ce désir ?

H.d.S. Le potentiel du réemploi dans la construction est gigantesque. La place pour une nouvelle filière est là. Et je pense que le changement est en marche. Les early adopters ont initié le mouvement, puis d’autres ont dû suivre pour des raisons réglementaires. Désormais, intégrer la durabilité est même devenu nécessaire d’un point de vue sociétal. On accepte de moins en moins de construire des bâtiments catastrophiques d’un point de vue environnemental – et il y en a eu énormément ces dernières décennies.

F.S. Je pense qu’on n’a pas encore atteint ce point de bascule. Le facteur financier compte encore beaucoup, surtout avec une approche top down. Tant que les contrats publics seront octroyés sur base du prix, avec très peu de critères liés à l’écologie, il n’y aura pas de bouleversement. Il faut se rendre compte qu’il y a moins d’acier dans nos bâtiments que dans les constructions en béton avec des armatures en acier. C’est un non-sens. Je pense que notre approche bottom up peut inspirer le marché, en privilégiant la réduction du volume des matières premières. Après, on pourra regarder du côté des matériaux plus écologiques.

Pourriez-vous opter pour de l’acier “vert”, dont on parle de plus en plus ?

H.d.S. Il présente un réel potentiel pour atteindre la neutralité carbone en Europe. La technologie est là. Mais pas encore le financement. Il est normal que son développement prenne du temps, mais je pense que l’Europe a réellement un coup à jouer. La crise géopolitique actuelle et cette prise de conscience que nous devons tendre vers davantage de souveraineté rejoint finalement l’urgence environnementale. On doit privilégier le local et le durable. Dans notre secteur, les possibilités sont immenses.

Seul, BuildUp aura tout de même du mal à provoquer cette révolution….

F.S. On a longtemps essayé d’ouvrir ce marché tout seuls, mais on réalise qu’il faut créer des synergies. Nous espérons que le projet à Anderlecht va créer une émulation. On lance un appel à tous nos potentiels partenaires désireux de construire de manière plus durable. C’est en s’alliant que l’on pourra proposer au client final ce type de produit à un prix compétitif. Et là, nous pourrons réaliser quelque chose qui n’a jamais été fait : bousculer le secteur de la construction.

Olivier Daelen

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