Bruxelles: la difficile acceptation de la densification
La capitale est aujourd’hui écartelée entre les besoins de densification pour répondre aux enjeux sociétaux de demain et l’acceptation de cette densification par les habitants. Une stratégie qui se traduit notamment via 13 plans d’aménagement directeurs. Un projet de ville qui doit améliorer la qualité de vie mais où un consensus semble compliqué à obtenir.
La donne est claire. Elle ne fait d’ailleurs plus vraiment débat. Pour répondre à la hausse démographique attendue dans les prochaines années, il va falloir accroître le parc immobilier bruxellois. En mettant notamment l’accent sur des logements plus abordables et plus compacts. Et en proposant, surtout, une répartition plus homogène de la densification dans les 19 communes bruxelloises. Un chantier qui ne sort pas de nulle part. Il fait partie d’une stratégie bien plus globale de refonte du territoire, qui vise notamment à résorber la dualisation sociale, améliorer le cadre de vie et réinventer la mobilité. ” On a souvent tendance à oublier qu’il y a un vrai projet de ville derrière cet objectif de densification raisonnée, lance Tom Sanders, directeur de la Stratégie territoriale chez Perspective.brussels. Il est balisé dans le Plan régional de développement durable (PRDD). Les villes vont se densifier. Ce n’est pas un choix mais une évidence. Elles concentreront encore davantage de besoins à l’avenir. Construire une ville agréable à vivre est donc essentiel. ”
A ce titre, les prochaines semaines seront décisives pour le gouvernement bruxellois. Une décision sera prise d’ici dans les prochaines semaines pour huit des treize plans (1) d’aménagement directeurs (PAD), ces outils planologiques qui permettent de déroger à toutes les autres normes et dont une fonction spécifique a été définie pour chacun (campus universitaire, cité des médias, etc.). De nouvelles orientations territoriales qui ont suscité de nombreux débats, témoignant notamment de la difficulté de faire accepter le principe de la densification et, surtout, de créer un consensus autour de cette nouvelle manière de vivre ensemble. ” Ces difficultés ne sont pas une surprise car ces projets sont d’une certaine envergure, estime Tom Sanders. Il est normal qu’ils fassent réagir. Même si les habitants s’inquiètent surtout de l’impact que cette densification pourrait avoir sur leur qualité de vie et leur mobilité. Nous essayons donc surtout d’expliquer qu’il est plus que temps de changer de paradigme dans beaucoup de domaines, tels que la mobilité, la compacité des logements ou encore la mixité des fonctions. ”
L’un des enjeux est notamment de faire accepter cette hausse du nombre d’habitants. Même si les perspectives démographiques ont été revues à la baisse par l’Institut bruxellois de statistique et d’analyse, passant de 10.000 à 5.000 nouveaux habitants par an d’ici 2025. ” Cela ne change toutefois pas les besoins en matière de densification, fait remarquer Justine Harzé, directrice de cabinet adjointe du ministre-président Rudi Vervoort, en charge du développement territorial. Les 13 PAD qui sont aujourd’hui sur la table proposent une programmation maximale d’environ 20.000 logements. Ils ne seront pas nécessairement tous construits et ce chiffre ne couvre d’ailleurs pas la moitié des besoins en unités de logement prévus à l’horizon 2040. ” Et ce même si nous ajoutons les 3.000 à 4.000 logements neufs construits par le privé et le public chaque année. ” Ces PAD ne sont donc qu’une partie de la réponse, poursuit la Schaerbeekoise. Et puis, rappelons qu’il est important de créer suffisamment de logements pour que l’offre et la demande s’équilibrent et n’entraînent pas une hausse des prix trop importante. ”
La coexistence d’intérêts qui s’opposent
Parmi les nouveautés de cette démarche liée aux PAD, la volonté d’une participation citoyenne accrue. Avec des objectifs qui, semble-t-il, ont été trop élevés et dont il faudra tirer les leçons. ” On peut déjà en tirer, dont notamment celle qu’il faut essayer d’atteindre un socle commun avant d’établir un projet et qu’il est préférable d’essayer de mieux expliquer le suivi des décisions, explique Tom Sanders. Mais penser que nous pourrions obtenir l’unanimité ou un consensus via la participation citoyenne est impossible. Il faudrait surtout réapprendre la coexistence d’intérêts légitimes mais qui s’opposent. Qu’il y ait des patrimonialistes, des promoteurs, des habitants qui souhaitent davantage de mixité fonctionnelle ou d’espaces verts, des personnes âgées, des jeunes, c’est très bien. Toutes ces positions, dans leur niche, se défendent. Mais le rôle des autorités publiques est, à un moment, d’arbitrer les débats de la manière la plus juste possible, en ayant l’intérêt général comme objectif. ”
De là à dire que des PAD tels que celui de MediaPark ou de Loi, ceux qui ont cristallisé le plus de débats, seront revus, il y a un pas qui ne sera pas franchi. ” Il est important de rester cohérent avec notre vision de la ville, fait remarquer Justine Harzé. Les remarques des différents acteurs seront bien évidemment entendues, on jouera le jeu. C’est d’ailleurs une obligation. Des évolutions sont donc possibles. Mais la ligne de conduite restera la même. Nous ne sortons pas ces plans, ces objectifs de densification, cette volonté d’améliorer les espaces publics et la qualité de vie, de nulle part. Ils ont été validés par de nombreux experts. Ce n’est dans l’intérêt de personne de créer des quartiers moches, trop denses et qui mènerait à l’immobilisme en matière de mobilité. ”
Dédensifier pour retrouver une homogénéité
Dans les PAD, et les réactions qui vont avec, il faut en effet distinguer ceux dont la Région a la maîtrise foncière et les autres. De même que ceux qui ont été repensés à partir de projets plus anciens et qui ont déjà fait l’objet de décisions politiques. Comme le PUL rue de la Loi ou Neo. ” Ce sont deux démarches totalement différentes, lance Tom Sanders. Ces dossiers avaient un historique. Leur dénouement est donc plus compliqué. Par contre, quand nous partions de zéro, il était beaucoup plus aisé d’expliquer notre projet et de ne pas avoir de procès sur la participation. Le PAD Loi est une rupture avec l’urbanisme bruxellois classique. Nous sommes sur un urbanisme aéré, avec des espaces ouverts et davantage d’espaces au sol. Il est vrai que cette proposition assez forte a déstabilisé pas mal d’acteurs. Mais, par exemple, est-il impensable que le tissu historique, mis notamment en avant par la Commission royale des monuments et sites, puisse évoluer dans le temps pour faire place à d’autres conceptions de la ville ? Je ne le pense pas. Il est important aujourd’hui de trouver un socle commun pour ce quartier. ”
Si la stratégie mise en place pour répondre aux besoins en logements supplémentaires est clairement définie (proposer une densification maîtrisée du foncier encore disponible, soit dans les zones prioritaires et la zone du canal, et densifier harmonieusement le tissu existant), il va falloir aller encore un peu plus loin. Bruxelles compte environ 7.440 habitants par km2. Une densité moyenne qui élude les différences entre quartiers : l’écart entre Vivier d’Oie à Uccle (1.277) et le quartier Bosnie, à Saint-Gilles (37.823), est gigantesque. ” Un rééquilibrage est donc nécessaire entre première et deuxième couronne, estime Justine Harzé. Chaque commune doit avoir sa part de densification. Il faut pouvoir aussi y créer du logement abordable. ” Et Tom Sanders d’ajouter : ” Ce travail s’accompagnera aussi d’un autre : la dédensification de certains intérieurs d’îlots. Dans le centre-ville, il serait opportun de diminuer la pression pour recréer des espaces publics, des espaces de vie. Ce sera un de nos chantiers des prochains mois. “
(1) L’enquête publique s’est clôturée au printemps 2019 pour les PADS de la Porte de Ninove, de la gare de l’Ouest, de Mediapark et des casernes d’Ixelles ; en décembre dernier pour les PAD Loi, Heyvaert, Delta et Josaphat.
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