Bruxelles: “Il est temps d’accélérer la cadence dans la production de logements”

JACQUES LEFÈVRE et BETY WAKNINE © debby termonia

Tous les promoteurs ne jurent désormais plus que par le développement de projets mixtes qui tendent à augmenter la qualité de vie des Bruxellois. Un bémol, les conditions pour produire des logements à des prix abordables ne sont pas encore suffisamment rencontrées. Résultat : privé et public vont devoir accorder leurs violons pour ne pas accentuer les fractures entre candidats acquéreurs.

Son exposition médiatique est inversement proportionnelle au nombre de projets qu’il développe dans la capitale. Si Jacques Lefèvre, CEO du promoteur BPI, préfère l’ombre à la lumière, il n’a toutefois pas dû se faire violence pour rencontrer Bety Waknine, l’une des femmes les plus puissantes du paysage immobilier bruxellois, qui a également longtemps préféré l’ombre d’un cabinet ministériel à la lumière des médias. A la tête d’urban.Brussels, elle délivre notamment les permis d’urbanisme des projets d’envergure et dirige une administration qui tente de promouvoir un développement territorial durable de la Région. Rencontre sur fond de réformes et de grands chantiers en cours.

JACQUES LEFÈVRE. Les projets qui sont mis sur le marché s’écoulent à un rythme élevé. Une bonne localisation et des produits adaptés à la demande restent essentiels. A court terme, nous ne nous attendons pas à un ralentissement du marché. La difficulté aujourd’hui est surtout d’obtenir des permis pour proposer des appartements à la vente, que ce soit au nord ou au sud de Bruxelles.

Pour répondre au défi démographique, le Plan régional de développement durable (PRDD) estime qu’il faudra sortir de terre près de 3.000 à 4.000 logements publics et privés par an d’ici 2025. Les promoteurs semblent tenir le rythme, mais en se concentrant essentiellement sur le même produit, à savoir l’appartement deux chambres, destiné à la classe moyenne, voire au petit investisseur. Ne va-t-on donc pas vers une saturation du produit immobilier classique à Bruxelles, à savoir le modèle de l’appartement deux chambres ?

J.L. Non. L’offre est relativement variée selon moi. Pour attirer les clients, il est aujourd’hui nécessaire de proposer une grande mixité et une diversité de logements dans la programmation d’un projet. Son image architecturale est un autre élément essentiel. Car il est devenu important de se différencier pour sortir du lot.

Dans les demandes de permis que vous voyez passer sur votre bureau, constatez-vous ce manque de diversité dans l’offre de logements ?

BETY WAKNINE. Nous cherchons en effet à imposer davantage de mixité tant dans la typologie des logements qu’en termes de mixité sociale. Le segment conventionné, qui est le plus accessible pour les Bruxellois, reste sous-représenté. Il est essentiel d’inciter à produire davantage de logements abordables pour tous les Bruxellois. Pour ce qui est de la typologie des logements, nous allons, en collaboration avec perspective.brussels (le bureau bruxellois de la planification, Ndlr), établir un bilan du type de logements qu’il faudrait à l’avenir développer davantage à Bruxelles. De manière à savoir quelle direction prendre. Il est vrai qu’il y a, par exemple, peut-être un déficit de logements de grande taille. Ce ne sont pas ceux que l’on retrouve le plus souvent sur le marché. L’appartement deux chambres reste le plus développé.

J.L. Il est vrai qu’il représente une proportion importante, mais cette proportion correspond à l’évolution de la cellule familiale dans les grandes villes. Il y a, par exemple, de plus en plus d’expatriés et de ménages monoparental avec enfant(s). Les logements de grande taille ne sont pas ceux qui sont vendus le plus facilement. Ajoutons, de plus, qu’ils peuvent aussi être davantage l’apanage de développeurs publics. En fait, la vraie difficulté n’est pas la demande ou le type de bien mais la production qui est insuffisante.

Les conditions sont-elles aujourd’hui réunies pour répondre à la hausse démographique et assurer une cadence plus élevée en matière de délivrance de permis ?

B.W. Cela a été l’enjeu de cette législature. La mise en place de nouveaux outils, la réforme du CoBAT (Code bruxellois de l’aménagement du territoire), celle du RRU (Règlement régional d’urbanisme), la création d’urban.brussels : tous ces éléments visent à faciliter une densification raisonnable, une accélération des procédures et ainsi répondre aux grands enjeux actuels.

J.L. Il a en effet fallu un peu de temps pour mettre en place ces outils. Les promoteurs travaillent dans un marché qui évolue à court terme et espèrent bien évidemment toujours aller plus vite. Il est vrai que lors de certains projets, nous avons encore rencontré trop de difficultés en matière de timing. Mais cela devrait évoluer dans le bon sens.

Il y a encore trop de freins ?

J.L. Non. C’est simplement qu’il faut respecter le temps que nécessite la procédure. Le vrai point de départ est de recevoir l’attestation de complétude du dossier. Une fois cette étape franchie, nous avons une idée plus précise du timing et de la date de délivrance d’un permis.

B.W. Se fixer des délais de rigueur pour délivrer un permis est justement l’objectif premier de la réforme du CoBAT. Il y a des étapes qui sont de la responsabilité du demandeur et d’autres des autorités publiques. Sur celles-ci, la réforme du CoBAT nous engage à délivrer un permis dans des délais précis.

Quelles solutions préconisez-vous pour favoriser la construction de logements abordables, variés et accessibles ?

J.L. Investir aujourd’hui dans un logement pour usage propre est une opportunité. Nous mettons sur le marché des produits neufs beaucoup plus performants sur le plan énergétique et bien plus économes en matière de charges (électricité, gaz, eau). Mais ces logements sont soumis à un taux de TVA de 21%, tant pour le terrain que pour le bâtiment. Alors que pour le logement existant, il ne faut payer que les droits d’enregistrement. Il y a donc des contraintes en matière de coûts d’acquisition. Nous voyons toutefois des alternatives apparaître : des acquéreurs privés de logements neufs peuvent bénéficier d’un taux de 12% s’ils contractent avec des agences immobilières sociales (AIS). C’est une piste encore peu connue, qui est un facteur de diversité. Elle doit être encouragée. D’autant que les acquéreurs sont également exemptés de précompte immobilier.

L’UPSI souhaite que les promoteurs bénéficient de la TVA à 6% pour la mise sur le marché de logements neufs plus abordables. C’est une piste que vous préconisez, j’imagine…

J.L. En effet. Les terrains sont aujourd’hui rares. La démolition-reconstruction d’immeuble est privilégiée. Or, un privé ou un investisseur qui démolit une maison ou un immeuble bénéficie d’un taux de TVA à 6% alors qu’un promoteur doit toujours appliquer un taux de 21%. Nous souhaiterions passer nous aussi à 6%. Mais il s’agit d’une décision du gouvernement fédéral. Une partie de cette économie reviendrait en tout cas directement aux acquéreurs.

Ce sont des pistes que vous partagez ?

B.W. Je reste sceptique sur le fait que ce serait l’acheteur qui bénéficierait de la diminution de la TVA de 21% à 6% lors de l’achat de son logement. Je crains que ce gain ne se répercute pas sur les prix de sortie des logements. Le prix ne baisserait donc pas nécessairement et ne profiterait pas à une population moins nantie. Or, comme je l’ai dit, produire davantage de mixité sociale reste une nécessité. Cela passe, par exemple, par le fait de déterminer des charges d’urbanisme qui obligent à réserver un certain nombre de logements conventionnés. A terme, nous pourrions aller plus loin et même nous assurer que tous les projets comprennent des logements conventionnés. Mais ce qui est positif, c’est qu’il y a désormais un dialogue intéressant entre public et privé sur la nécessité d’être partenaire pour construire la ville ensemble.

Le marché est principalement dynamisé par les investisseurs, dont la proportion avoisine les 60% dans certaines promotions immobilières. Quelles conséquences cela peut-il avoir sur le marché immobilier ?

J.L. Historiquement, il y a toujours eu des politiques qui encourageaient la propriété. La génération actuelle a-t-elle encore le souhait d’être propriétaire à tout prix ? Je n’en suis pas convaincu. Je pense qu’ils seront avant tout des candidats locataires. Ce qui permettrait de résoudre une partie de l’équation.

B.W. La nouvelle génération peut peut-être évoluer vers d’autres besoins. Mais je reste persuadé que l’accès à la propriété est un ascenseur social. Ce qui explique que plusieurs politiques publiques tendent à favoriser l’accès à la propriété. Ce marché d’investisseurs n’est pas le reflet des réalités sociales bruxelloises et des difficultés que connaissent certains pour accéder à un crédit. Il ne faut pas oublier que la concurrence que se livrent aujourd’hui les promoteurs tend à pousser les prix vers le haut, tant sur le prix du foncier que sur le prix de sortie d’un appartement.

J.L. Je pense qu’il y a surtout une plus grande diversité des besoins et une plus grande flexibilité dans l’offre. Aujourd’hui, les acquéreurs n’achètent plus un logement pour 20 ans. Les besoins changent lors des différentes étapes de la vie.

La fiscalité bruxelloise reste-t-elle un frein à l’acquisition ?

J.L. La portabilité des droits d’enregistrement permettrait aux candidats-acquéreurs d’être plus réactifs. La Région a déjà fait des efforts en matière d’abattement des droits d’enregistrement. La portabilité permettrait d’aller un cran plus loin.

La problématique du foncier à Bruxelles est souvent liée à un manque de vision des politiques en matière d’aménagement du territoire. Partagez-vous ce sentiment ?

B.W. Non. Les autorités régionales ont mis en place des opérateurs territoriaux comme Perspectives.brussels et la SAU (Société d’aménagement urbain) et ont déterminé 10 quartiers prioritaires. Leur développement permettra de voir émerger de nouveaux lieux de vie et de sortir des milliers de logements de terre. La zone Josaphat, par exemple, où l’appel à promoteur a été lancé. Il y a une proposition de développer 1.400 logements.

J.L. Je suis positif. Vu les différents opérateurs qui sont actifs aujourd’hui, comme la SAU, citydev.brussels ou le privé, il va désormais y avoir plus d’offres différentes sur le marché pour répondre à la demande visée par la Région.

Bety Waknine, vous êtes, depuis un peu moins de deux ans, à la tête d’une administration qui gère une matière pour le moins critiquée pour ses retards, à savoir l’octroi de permis. Que répondre à ceux qui affirment que ce sont principalement les retards administratifs qui freinent le développement immobilier bruxellois ?

B.W. Cela fait un an et demi que cette administration a été créée. Il a d’abord fallu mettre en place cette nouvelle administration et au sein de celle-ci réorganiser la direction de l’urbanisme. Nous travaillons à établir des lignes directrices et à assurer la cohérence des positions régionales. Nous avons également résorbé une partie de notre retard et recruté 22 personnes à la direction de l’urbanisme. Nous disposons donc aujourd’hui d’un bilan intéressant et continuons à nous préparer à l’entrée en vigueur du CoBAT.

Quel est selon vous le principal enjeux bruxellois aujourd’hui ?

B.W. Trouver une réponse qualitative à l’essor démographique, en n’omettant pas la création de crèches, d’écoles et d’équipements accessibles et abordables.

J.L. Le meilleur développement aujourd’hui est celui qui crée de la mixité. Celui qui est monofonctionnel ne correspond plus à une vision adaptée des besoins actuels. Il faut avant tout créer des lieux de vie. Les Bruxellois souhaitent surtout vivre dans un environnement agréable, avec des espaces verts, une mixité de fonctions, une mobilité douce et des équipements.

Il y a beaucoup de discussions actuellement sur le projet de révision du RRU. Il était jusqu’à présent considéré comme un frein aux projets immobiliers ambitieux et comme un texte qui ne prenait pas suffisamment en considération les nouveaux modes de vie. Quand vous lisez cette mouture du texte, êtes-vous rassuré ?

J.L. Oui. Il y a des évolutions, en matière de stationnement par exemple. Nous ne serons plus bloqués par la règle “un logement/un parking”. Il y a également davantage de flexibilité en termes de volumétrie. Ce qui permettra d’éviter les dérogations. Reste encore à éclaircir la manière dont sont déterminées les surfaces de logements. Car, aujourd’hui, la législation est encore trop stricte en la matière.

L’immobilier bruxellois semble succomber à la vague du partage, que ce soit à travers le coworking ou le coliving. La mobilité partagée émerge également. Cette tendance d’habitat va-t-elle se développer ou restera-t-elle un produit de niche ?

B.W. Elle va se développer, je pense. Dans le cadre de la réforme du RRU, nous avons tenu compte de cette nouvelle manière d’habiter.

J.L. Je pense avant tout qu’il s’agit d’une opportunité. Cela permet de proposer des produits différents. Cela élargit le panel de possibilités pour un acquéreur. La nouvelle génération est séduite par cette tendance.

Comment voyez-vous l’évolution du marché bruxellois à court et moyen termes ?

J.L. Le taux de propriété est à la baisse, comme dans d’autres grandes villes européennes. Pour le reste, la tendance du marché est d’aller vers davantage de performances énergétiques, de services et des logements connectés.

A choisir, dans quels quartiers de Bruxelles conseilleriez-vous d’investir ?

J.L. Cela dépend du profil d’investisseur. Certains misent sur des zones en devenir et d’autres sur des investissements plus sécurisants. Aujourd’hui, tout le monde peut trouver chaussure à son pied dans la capitale. De plus, les taux hypothécaires restent favorables.

Vous êtes tous les deux actifs dans le monde immobilier depuis plus de 15 ans. Quel regard portez-vous sur l’évolution du secteur ?

J.L. Intégrer la manière dont la société évolue reste ce qui est le plus intéressant dans un développement immobilier. Il faut créer de la valeur pour le projet, mais surtout créer de la valeur pour la ville. Pour le reste, c’est plus compliqué aujourd’hui car nous devons tenir compte de davantage de paramètres qu’auparavant. La concrétisation d’un dossier prend en moyenne cinq ans. C’est bien plus long qu’avant.

Propos recueillis par Xavier Attout

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content