Adel Yahia, l’autre patron d’Immobel
L’actionnaire majoritaire d’Immobel, Marnix Galle, laisse son siège de CEO à Adel Yahia. Une nouvelle répartition des rôles qui ne va pas bouleverser la stratégie du promoteur coté. Elle s’opère toutefois dans un contexte financier particulièrement tendu. Les défis à relever par le nouvel homme fort s’annoncent nombreux.
La silhouette reste affûtée, le verbe mesuré et le sourire malicieux. En enfilant le 6 janvier dernier son nouveau costume de CEO d’Immobel, Adel Yahia (45 ans) ne change pas vraiment de dimension. Seules les épaules sont dorénavant un peu plus larges, puisqu’outre la Belgique et le Luxembourg, ce Courtraisien d’origine et Anversois d’adoption pilote désormais également les autres pays du groupe (France, Allemagne, Pologne, Espagne).
Mais ce serait méconnaître le fonctionnement de ce promoteur coté que de croire qu’il ne surveillait pas déjà les différents pans de la société, distribuant allègrement les bons et mauvais points aux autres managers. Quant à la pression sur ses épaules, déjà grande, elle pourra difficilement être plus importante. “Ce nouveau rôle était prévu depuis 18 mois, explique celui qui est arrivé en 2017 comme responsable du développement pour la Belgique. Ce changement s’effectuera dans la continuité de la stratégie déployée depuis quelques années. Il ne faut pas s’attendre à une révolution de palais. Je devrai surtout effectuer davantage de voyages à l’étranger.”
“Ce nouveau rôle était prévu depuis 18 mois. Ce changement s’effectuera dans la continuité de la stratégie déployée depuis quelques années.” – Adel Yahia
Un duo
La répartition des rôles avec Marnix Galle – actionnaire majoritaire (59%), ancien CEO et toujours président du conseil d’administration – évolue quelque peu sur le papier, mais pas vraiment dans les faits. L’emblématique patron continuera à siéger au comité exécutif et à multiplier, à intervalles (très) réguliers, les réunions en one to one avec les différents responsables de département. De quoi également préparer la succession pour l’un de ses fils, Alfred, actif chez Immobel dans le développement de projets, et qui assiste déjà aux réunions du comité exécutif comme invité permanent.
“Une relation forte s’est tissée entre nous au fil du temps, relève Adel Yahia, aujourd’hui à la tête de 150 personnes. C’est l’une des plus importantes figures de l’histoire de l’immobilier belge. Nous nous parlons quotidiennement et son implication dans la société ne diminuera pas. On forme vraiment un duo complémentaire. D’ailleurs, dans la promotion immobilière, les duos sont nombreux car il s’agit d’un métier qui exige beaucoup d’expertises différentes. Et souvent, ils fonctionnent bien.”
Relancer la machine à cash
Multi-diplômé (KU Leuven, Vlerick et Solvay), Adel Yahia prend toutefois la tête d’Immobel au pire moment de son histoire. Après une perte de 38 millions en 2023, celle de 2024, qui sera dévoilée le 6 mars, s’annonce bien pire encore. Et ce, même si l’entreprise vient de communiquer via un business update que son chiffre d’affaires oscillera entre 250 et 400 millions pour 2024, soutenu par un bilan d’environ 200 millions de liquidités.
“Il est clair qu’il aurait été plus idéal de devenir CEO dans un autre contexte, précise Adel Yahia. Mais on ne choisit pas cette situation. Notre portefeuille de projets a été élagué, ce qui reste dans notre pipeline ne comprend que des très bons dossiers. Ce sont surtout des facteurs extérieurs (hausse des taux d’intérêt, ndlr) qui ont créé des conditions de marché bien plus compliquées qu’auparavant. Comme mes confrères, je ne peux pas contrôler cette réalité. Je pense toutefois que nous avons atteint le pic le plus bas et que les prochaines années seront bien plus positives. Cela prendra du temps, je n’ai pas de boule de cristal, mais nous pensons en tout cas que 2025 sera une année moins compliquée que 2024.”
Rationnel, analytique et orienté résultats
Après des débuts au sein du développeur Groep Bouwen (Anvers), Adel Yahia a franchi quelques échelons dans les responsabilités en enchaînant des expériences chez Matexi et AG Real Estate avant d’arriver chez Immobel. De quoi se forger de sérieuses compétences sur les plans juridique, financier et urbanistique.
“Avec Gaëtan Hannecart, Serge Fautré et Marnix Galle, j’ai eu la chance de travailler avec trois patrons incontournables du monde immobilier qui ont participé aux plus grandes transactions ces 20 dernières années. Gaëtan a été la première personne à me faire confiance comme manager. Il m’a fait découvrir que l’immobilier est un processus multiple et qu’il est important de constituer une équipe forte autour de soi. Serge m’a donné les perspectives d’un investisseur institutionnel et initié aux négociations de premier ordre. Marnix est, quant à lui, celui qui a eu le plus d’influence sur mon parcours et ma personnalité. Et au final, au hasard des opportunités, la combinaison de ces trois profils m’a énormément enrichi.”
Il en ressort aujourd’hui un homme reconnu dans le milieu pour ses compétences et sa vision stratégique. Même si la concrétisation du riche pipeline de projets d’Immobel et la vente des actifs déjà construits sont autant de dossiers où il est attendu au tournant. Car ce bourreau de travail, qui laisse peu de place aux imprécisions et aux imprévus, entend clairement laisser une empreinte de son passage.
Orienté résultats
“Il est rationnel et analytique dans sa manière de travailler, pointe un ancien proche collaborateur. L’instinct a peu de place dans ses décisions, tout doit être analysé et soupesé. Car il est avant tout orienté résultats.” Et Marnix Galle d’ajouter : “C’est un homme droit, sérieux, excellent stratège, qui possède un sens unique de l’organisation et une âme de leader. Il peut parfois donner l’impression d’être distant, mais c’est davantage une forme de pudeur voire de timidité.”
Ambitieux, très exigeant avec lui-même, il l’est également avec ses collaborateurs. Il en résulte une culture d’entreprise à la réputation peu flatteuse dans le milieu. “La situation s’est toutefois améliorée depuis deux ans, relève un proche. Il y a davantage d’ouverture, d’empathie. Le management s’est rendu compte que le turnover était extrêmement important et qu’il ne pouvait pas continuer comme cela.”
Un constat que tempère également quelque peu Adel Yahia. “Tous les directeurs sont présents depuis 5 à 10 ans. Il y a donc une certaine continuité et une envie de travailler chez Immobel. Toutefois, il est vrai que nous sommes exigeants avec nos jeunes recrues pour qu’elles donnent le meilleur d’elles-mêmes. Certains le supportent, d’autres moins. C’est à ce niveau-là qu’il y a un certain turnover. Mais après coup, tous nos collaborateurs reconnaissent que travailler chez nous a été une très bonne école car ils ont rapidement reçu des responsabilités et appris énormément.”
Créer un impact sociétal
Reste qu’avec un cours de Bourse qui s’est effondré ces derniers mois, une pression des marchés, les affres des multiples recours devant le Conseil d’État, des ventes en berne et des développements à concrétiser, la dose de plaisir semble difficile à trouver pour un CEO de sa trempe.
“Elle existe pourtant, sourit-il. Car l’immobilier reste une vraie passion. Ce que j’apprécie surtout, c’est notre capacité en tant que développeur à créer des éléments tangibles, à avoir un impact sur la société. Et il est réel chez Immobel. Les approches sont multiples, il y a toujours de l’action, c’est ce qui rend ce métier plaisant. Mais ce qui me procure le plus de satisfaction, c’est de voir les équipes se développer et prendre de plus en plus d’autonomie.”
Quant à l’évolution de son secteur d’activité, il est moins pessimiste que bon nombre d’acteurs du milieu immobilier. “Je suis convaincu que le marché va se redresser, dit-il. Les grands investisseurs institutionnels vont obligatoirement devoir relancer la machine à un moment donné. Alors que sur le plan résidentiel, les besoins en logements de qualité sont indéniables. La hausse des prix reste problématique, avec des logements de moins en moins accessibles. Mais il faut savoir que 45% du prix d’un logement neuf concerne des taxes. C’est gigantesque. La marge d’action des développeurs sur les prix est donc minime. Ces prix devraient continuer à augmenter, mais dans des proportions moins importantes que par le passé. Je reste toutefois très confiant sur les ventes d’appartements à l’avenir.”
Des résultats annuels attendus
Immobel publiera ses résultats annuels le 6 mars. Le groupe immobilier a toutefois décidé de prendre les devants avec une communication positive dévoilée la semaine dernière.On y apprend que les revenus pour 2024 “atteindront le haut de la fourchette des prévisions établies précédemment, soit de 250 à 400 millions d’euros. À l’horizon 2025, Immobel affiche un optimisme prudent, marqué par une croissance régulière des ventes résidentielles en Belgique et une reprise du marché des bureaux pour les transactions inférieures à 100 millions d’euros.”
Pour 2024, près de 1.000 unités résidentielles ont été vendues en Europe, 1.315 unités résidentielles livrées et 56.000 m² de bureaux loués. Alors qu’Immobel a engrangé 17 millions de revenus locatifs pour des bureaux et entend vendre ces actifs dès que les conditions de marché seront à nouveau attrayantes.
“Les premières transactions de bureaux premium autour de 50 millions se sont déroulées en 2024, lance Adel Yahia, qui précise qu’il vient d’entamer les négociations avec l’Europe pour la vente de l’immeuble Isala. Pour comprendre le contexte actuel, il faut surtout suivre ce qui se fait en Allemagne. Les premières transactions de plus de 100 millions commencent à se concrétiser. Même chose à Paris. Ces tendances devraient donc apparaître en Belgique en 2025, avec davantage de prises de décision.” Ajoutons qu’Immobel a vendu pour 44,5 millions de fonciers non stratégiques et arrêté deux projets au Luxembourg.
L’interrogation Proximus
Quant au dossier Proximus, Immobel a acté une perte de 48 millions, mais dispose toujours du permis pour transformer les deux tours. Il n’est toutefois actuellement plus à la manœuvre. Nextensa a désormais la main et négocie avec l’opérateur. Avec, sur la table, soit un déménagement dans un futur immeuble à construire à Tour & Taxis, soit le rachat du permis d’Immobel, soit un banco rassemblant les deux pistes. Une fumée blanche est attendue d’ici peu.Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici
IMMOBEL
-
Siège social:
Brussel
-
Secteur:
Andere