Acheter ou vendre en viager, une bonne idée ?
Avec la chute des taux d’intérêt, de nombreux retraités voient fondre leurs revenus complémentaires. Une solution: vendre son logement en viager occupé et ainsi toucher une rente, tout en restant chez soi jusqu’à la fin de ses jours.
La vente en viager, dernier recours pour les personnes sans ressources et sans enfants ? Cette image subsiste et n’est pas totalement contraire à la vérité. Pourtant, voilà une génération déjà que la pratique s’est franchement élargie et on assiste à présent à un nouvel élan, en réponse au rendement insignifiant des placements à revenu fixe. ” Beaucoup de seniors grignotent aujourd’hui leur épargne à cause de la fonte des rendements mobiliers “, observe Daniel Domb, spécialiste du viager à l’agence immobilière Trevi. Ils en arrivent à envisager une vente en viager, une démarche qui ne les avait pas effleurés jusqu’ici. ” Autre changement, dans la foulée : ” Le tabou de l’héritage n’est plus le même. Une telle opération se fait en général après discussion avec les enfants et avec leur accord. ”
Paiement différé
Certes, la vente en viager demeure marginale : on évoque quelques centaines d’opérations par an en Belgique, dont une large part à Bruxelles, sur un total de l’ordre de 100 à 150.000 transactions immobilières annuelles . Toutefois, le profil des intervenants s’est modifié : ” Depuis un an et demi environ, une nouvelle catégorie d’acteurs anime le marché, tant du côté des vendeurs que des acheteurs “, signale Nathalie Schryvers, qui dirige l’agence Immobilière Le Viager, à Hoeilaart, en périphérie de Bruxelles. Alors que la palette des vendeurs s’est élargie à des personnes qui bénéficiaient de revenus fort corrects, l’évolution est, selon elle, plus nette encore du côté des acheteurs : les ” financiers purs et durs ” cèdent souvent la place à des investisseurs prudents qui recherchent un rendement correct. ” Des couples dans la quarantaine, avec enfants, qui choisissent l’immobilier plutôt que les obligations pour épargner ou placer le produit d’un héritage “, note Nathalie Schryvers. Quel intérêt une telle famille trouve-t-elle à acheter en viager ? Le paiement différé ! Quand on n’a pas encore accumulé beaucoup de capital et qu’on a toujours la charge d’un prêt hypothécaire pour son logement, mais qu’on dispose par ailleurs d’un revenu assez confortable, le viager peut sembler plus attrayant qu’un achat classique, qui obligerait à souscrire un nouvel emprunt.
En effet, le principe du viager consiste à acheter un bien moyennant une mise de départ (pas obligatoire), appelée ” bouquet “, qui ne représente en principe qu’une fraction de la valeur de ce bien. Le solde est payé sous la forme d’une rente mensuelle indexée et généralement limitée dans le temps : 10, 15, ou 20 ans. Cette limitation s’est imposée après le célèbre cas de Jeanne Calment (lire le cadre ” Un viager légendaire “). Le prix total est évidemment très différent suivant qu’il s’agit d’un viager libre, c’est-à-dire quitté par le vendeur, ou occupé par lui.
Le viager se caractérise juridiquement par l’existence d’un aléa, ou incertitude : la durée de vie du vendeur. Car la fin du paiement de la rente, après les 10 ou 20 ans prévus, ne met pas fin à l’usufruit dont il bénéficie : dans le cas d’un viager occupé, le vendeur continue à pouvoir occuper sa maison jusqu’à sa mort. Le viager libre, qui ne représente qu’une transaction sur 20 environ, est assez apprécié de nombreux musulmans, observe Daniel Domb, car il évite les intérêts liés à un prêt hypothécaire.
On fait ce qu’on veut…
Si le principe du viager est bien codifié, les parties peuvent choisir des modalités d’application très diverses, ce qui entraîne des disparités surprenantes au niveau des conditions financières affichées. Parmi les offres récentes, on trouve par exemple un grand appartement situé en banlieue bruxelloise ” chic “, estimé 590.000 euros. Outre un bouquet de 150.000 euros, soit un bon quart du prix, il est demandé une rente mensuelle fort élevée de 4.250 euros. Raison : la personne est très âgée et cette rente est limitée à 10 ans. Pour telle petite maison à Nieuport, pas de bouquet au contraire, et une rente limitée à 400 euros pendant 20 ans. Des chiffres en ligne avec l’espérance de vie de l’occupant, un homme âgé de 65 ans, soit 18 ans encore à vivre, en théorie. Ce sont cependant là deux situations plutôt atypiques. Le viager emblématique, c’est un appartement situé dans un petit immeuble, à Bruxelles, et valant aux environs de 200 ou 250.000 euros. Le vendeur est une femme seule, âgée de 70 à 80 ans.
On fait théoriquement ce qu’on veut, soit, mais il faut tenir compte des exigences du marché. Il n’est pas rare que le vendeur souhaite un gros bouquet, pour rembourser un prêt ou faire une donation à un enfant. Ceci rebute toutefois de nombreux acheteurs, pour qui le viager est synonyme de mise de fonds restreinte. Ce bouquet est donc souvent limité à 10 % environ, d’autant qu’il faut y ajouter les frais et droits de mutation calculés sur la valeur totale du bien et pesant alors plus lourd que ce bouquet !
Encore faut-il aussi que ni l’espérance de vie du vendeur, ni la rente ne soient trop élevées. ” L’élément de base des calculs est clairement l’âge du vendeur (lire le cadre ” L’âge, élément fondamental “), souligne Jacqueline Jacobs, de l’agence Viagerim, spécialiste incontestée du viager depuis 40 ans. Or, il arrive que les vendeurs hésitent longuement et se décident finalement trop tard. Résultat : la rente devient assez élevée et il est plus difficile de trouver un acheteur. ” Conclusion : à 60 ans, c’est trop tôt, et à 90 ans, c’est trop tard.
… dans certaines limites
A 60 ans, c’est trop tôt, et à 90 ans, c’est trop tard.
Telles sont quelques contraintes imposées par le marché. Il en est une autre : le prix de vente doit correspondre à la réalité économique, sous peine de redressement par l’administration s’il n’y a pas déjà eu, pour cette raison, annulation par le notaire. On aura relevé au passage que le viager diffère fortement d’une vente classique dans la mesure où il est très difficile, pour le vendeur comme pour l’acheteur, de vérifier les conditions proposées. Aussi vrai que chaque contrat est un cas particulier faisant intervenir des paramètres divers. Les professionnels reconnus ne plaident donc pas seulement pour leur chapelle quand ils conseillent de faire appel à eux et de ne pas signer entre particuliers.
Cet avertissement au sujet du juste prix vaut tout particulièrement en cas de donation déguisée. Même si la pratique est en chute libre, vu la fiscalité aujourd’hui très avantageuse visant les donations. Il n’était pas rare, dans un tel schéma, que la rente soit trop basse, ou encore que son paiement devienne de plus en plus irrégulier, de commun accord entre une tante et son neveu, par exemple. ” Avec une possible conséquence dramatique : si la tante est mise sous administration provisoire, l’administrateur va probablement annuler la vente sur base de cette situation “, prévient Gaëtan Bleeckx, notaire à Bruxelles. Le neveu peut alors perdre toutes les sommes déjà déboursées.
Que se passe-t-il quand le vendeur quitte son logement pour entrer en maison de repos, une situation évidemment très fréquente ? Il peut le mettre en location, ou en céder l’occupation à l’acheteur moyennant compensation. ” Cet abandon d’usufruit sera rétribué par le versement soit d’un capital, soit d’une (nouvelle) rente, à vie cette fois, explique Daniel Domb. Ceci peut être convenu dès le départ ou discuté au moment même. ”
Précautions indispensables
Une des caractéristiques essentielles du viager est de rendre l’immobilier ” liquide “. Or, ce qui est liquide peut être dépensé. Ceci permet de déshériter ses enfants sans trop de mal, c’est bien connu, même si les ventes relevant clairement de cette volonté sont rares, soutiennent sans surprise les professionnels. Il n’est pas rare d’observer une situation inverse, souligne Nathalie Schryvers : vendre son logement en viager constitue alors une protection contre des enfants qui, souvent poussés dans le dos par leur conjoint, envisagent de mettre la main sur le logement après avoir mis le(s) parent(s) sous administration provisoire.
La vente en viager impose de toute manière des garanties et une grande vigilance à propos du paiement de la rente, souligne le notaire Gaëtan Bleeckx. L’acte contiendra donc une clause résolutoire permettant d’annuler la vente si l’acheteur omet le paiement de la rente pendant un ou deux mois, et en dépit d’un rappel. Et deux précautions valent mieux qu’une, insiste Nathalie Schryvers, juriste de formation. Elle ajoute dès lors à l’acte de vente une stipulation conventionnelle en vertu de laquelle le vendeur a le droit, dans une telle situation, de garder tant le bouquet que les rentes déjà versées, à titre de dédommagement.
C’est en 1965, à l’âge de 90 ans, que Jeanne Calment vend son appartement en viager tout en l’occupant encore. Son petit-fils est mort accidentellement deux ans plus tôt et elle n’a plus d’héritier. C’est une pratique relativement courante en France, y compris entre voisins à la campagne, alors qu’en Belgique, elle est assez rare en dehors de Bruxelles. Le statut juridique du viager pratiqué en France est assez différent du nôtre et la rente ne peut pas être limitée dans le temps.
L’acheteur de Jeanne Calment est son notaire, âgé de 47 ans. A-t-il flairé la bonne affaire ? Sa cliente a alors une espérance de vie théorique de quatre ans à peine. Elle fume le cigarillo et mange un kilo de chocolat par semaine… ce qui aurait contribué à sa longévité, jugera-t-elle plus tard. On doit toutefois ajouter que cette grande bourgeoise a toujours fait beaucoup de sport. Elle apprend l’escrime à 85 ans et roulera à vélo jusqu’à 100 ans !
Quoi qu’il en soit, l’acheteur s’est trompé : 30 ans plus tard, en 1995, Jeanne Calment est toujours là et c’est lui qui disparaît. Celle qui a entre-temps été sacrée “doyenne de l’humanité” par le Guinness Book s’éteindra un peu moins de deux ans plus tard, dans sa ville natale d’Arles, à 122 ans et 238 jours. Triste consolation pour le notaire : lui aussi est entré dans l’histoire… pour avoir souscrit le viager le plus désastreux que l’on connaisse.
Une dernière précision financière : la commission comptée par l’agent immobilier est, pour le viager, de 5 % au lieu des 3 % qui prévalent pour une vente classique. Ce taux supérieur se justifie par le suivi du dossier pendant de longues années, explique Jacqueline Jacobs : ” Un client peut rencontrer un problème 10 ans après la vente, en matière de paiement de la rente ou d’entretien du bien. Il va alors nous avertir, comme nous le lui avons conseillé, et nous l’aiderons à y répondre. ” Le viager, c’est du long terme pour tout le monde !
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici