A quoi vont ressembler les bureaux de demain ?
Pour la première fois depuis l’acquisition de Befimmo par Brookfield, le CEO Jean-Philip Vroninks s’étend sur les projets du spécialiste des bureaux. Qui le conduisent notamment vers les Pays-Bas.
Avant l’entretien, Jean-Philip Vroninks tient à nous faire visiter le nouveau siège de Befimmo. En juillet 2021, l’entreprise a déménagé au Central, le très iconique ancien siège de Shell situé à proximité de la gare Centrale à Bruxelles. Il faut le dire: le bâtiment et les bureaux ne manquent pas d’impressionner. L’an dernier, il a d’ailleurs valu à Befimmo le CBRE Office Space of the Year Award.
Jean-Philip Vroninks nous montre également Silversquare, un site de près de 6.500 m2 niché dans le Central. Befimmo est propriétaire de Silversquare, qui compte 10 sites de coworking dans notre pays, depuis 2018. Nous passons également par Sparks, cette start-up bruxelloise qui nourrit l’ambition de révolutionner les réunions professionnelles. Befimmo a acquis une participation dans Sparks en novembre 2021.
“Ce bâtiment et ces nouveaux bureaux sont également un showcase de la nouvelle Befimmo: un one-stop-shop pour des environnements de travail vivants, explique Jean-Philip Vroninks. Nous nous inscrivons de plus en plus dans l’hospitality.”
Jean-Philip Vroninks est à la tête de Befimmo depuis février 2021. Sous son prédécesseur Benoît De Blieck, l’entreprise s’est constitué un portefeuille immobilier d’environ 2,7 milliards d’euros et est devenue un des principaux investisseurs dans les bureaux en Belgique. Depuis que son concurrent Cofinimmo a choisi de se diversifier dans l’immobilier de santé, Befimmo est reconnue comme le grand spécialiste des bureaux à Bruxelles.
Sous la direction de Jean-Philip Vroninks, Befimmo a aussi opté pour la diversification. Le CEO a mis sur pied une nouvelle structure qui s’articule autour de trois rôles clés: développeur, investisseur et opérateur. En mars 2022, Jean-Philip Vroninks allait expliquer la transformation et la nouvelle stratégie de l’entreprise lors d’un événement avec des investisseurs institutionnels quand le gestionnaire de patrimoine canadien Brookfield a lancé son offre. “Nos deux actionnaires de référence, Axa et AG Real Estate, avaient déjà déclaré à plusieurs reprises que Befimmo ne constituait plus une participation stratégique à leurs yeux, se rappelle Vroninks. A la mi-2022, nous avons ainsi entamé des négociations avec Brookfield, qui s’est rapidement révélée être la meilleure option pour Befimmo.”
Notre ambition est de devenir un développeur, investisseur et opérateur de ce que nous appelons des Befimmo Hubs en centres-villes.
TRENDS-TENDANCES. En quoi l’offre de Brookfield était-elle si intéressante?
JEAN-PHILIP VRONINKS. En premier lieu parce que le management de Brookfield était convaincu du bien-fondé de notre nouvelle stratégie. Deuxièmement: la proposition financière de Brookfield était intéressante pour les actionnaires de référence existants. Ce qui n’est pas négligeable, car ceux-ci voulaient de toute manière sortir du capital de Befimmo. Enfin: Brookfield est le troisième investisseur immobilier au monde. Ils ont pour 750 milliards de dollars d’actifs en portefeuille, dont un peu moins de 300 milliards en immobilier. Ce sont donc de véritables spécialistes. Les autres candidats avec lesquels nous avons discuté ne nous ont pas laissé la même impression. Cette affinité avec l’immobilier est d’autant plus importante pour Befimmo que le contexte économique s’était dégradé avec la hausse de l’intérêt et l’inflation. De plus, Brookfield investit pleinement dans le nouveau monde du travail. L’an dernier, ils ont également racheté Alstria en Allemagne et Hibernia en Irlande, deux fonds cotés en Bourse spécialisés dans l’immobilier de bureaux. Cela illustre la foi de Brookfield dans le marché du bureau. Dans ce segment, Befimmo est appelée à devenir la plateforme de Brookfield pour le Benelux. Aujourd’hui, nous sommes déjà actifs en Belgique et au Luxembourg. Les Pays-Bas vont s’y ajouter. Il était plus compliqué de convaincre nos précédents actionnaires de la nécessité de cette diversification internationale.
Peut-on résumer la nouvelle stratégie par “moins de Bruxelles, moins de bureaux”?
C’est un peu rapide, mais nous sommes effectivement en train de diversifier notre portefeuille. Notre ambition est de devenir un développeur, investisseur et opérateur de ce que nous appelons des Befimmo Hubs en centres-villes. Ce sont des immeubles de bureaux qui réunissent plusieurs fonctions et services. Ces projets s’accompagnent souvent d’un développement résidentiel. Dans le projet ZIN, nous combinons par exemple l’offre de bureaux avec 130 appartements et un hôtel. Dans le projet Loom situé dans le quartier européen, nous complétons l’espace de bureaux par une cinquantaine de logements. Et dans le projet Pacheco au centre de Bruxelles, nous prévoyons 12 unités résidentielles parallèlement aux bureaux. Nous voulons donc intégrer une plus grande mixité dans notre portefeuille. Mais que ce soit clair: nous ne comptons pas vendre ces développements résidentiels. L’objectif est de les conserver en portefeuille pour les revenus locatifs. Et moins de Bruxelles? Il est vrai que nous sommes très tributaires de la capitale. Mais c’est logique: Bruxelles est le plus grand marché de bureaux dans notre pays. La vente d’une partie de notre portefeuille Fedimmo en décembre dernier a d’ailleurs encore légèrement accru le poids de Bruxelles, car nous nous sommes ainsi séparés de plusieurs immeubles situés dans de petites villes. A terme, nous voulons également diversifier notre portefeuille sur le plan géographique. Dans cette optique, nous nous intéressons à des villes comme Anvers, Gand, Liège et Luxembourg, et, je le rappelle, les Pays-Bas. Mais nous préférons éviter les villes de province comme Saint-Nicolas, Saint-Trond, Ath et Seraing. Notre nouvel actionnaire n’a pas tellement d’affinités avec ces marchés.
Etes-vous déjà en train d’explorer le marché néerlandais du bureau?
Non, c’est encore trop tôt. L’idée est de commencer à sonder activement ce marché à partir de 2024.
L’année 2022 n’a pas été un grand cru pour Bruxelles, votre marché domestique. L’avez-vous également ressenti?
C’est vrai que la prise en occupation de bureaux a déçu. Le total annuel de 300.000 m2 était inférieur d’environ 35% à celui de 2021, mais qui était un excellent millésime. Outre la conjoncture plus compliquée, c’est surtout l’absence de grand deal qui a pesé sur le volume. On sait que la Commission européenne veut louer environ 100.000 m2 d’espace de bureaux, mais les décisions ne sont pas tombées l’an dernier. Sans doute faudra-t-il attendre 2023 ou 2024.
Avons-nous ressenti ce repli du marché dans notre portefeuille? Pas vraiment, en réalité. Nous avons loué 140.000 m2 d’espace de bureaux en 2022. Certes, il s’agissait de relocations et de prolongations de contrat pour 90.000 m2. Mais quand même: les 50.000 m2 restants font de 2022 la meilleure année de notre histoire.
Indépendamment de la conjoncture compliquée, le marché des bureaux est structurellement sous pression. Le travail nomade permet aux entreprises de réduire leurs superficies de bureaux. Y voyez-vous une menace pour Befimmo?
C’est assurément un gros défi pour notre secteur. Il est urgent de renouveler le parc de bureaux afin de répondre à l’évolution des besoins des utilisateurs. Nous constatons que ces besoins en espaces de bureaux ont baissé de 10 à 25% en moyenne. Simultanément, le prix n’est plus la priorité des utilisateurs. Ils veulent moins de mètres carrés, mais acceptent de dépenser plus en aménagement, en services, pour une situation intéressante… En fin de compte, le budget pour les espaces de bureaux reste plus ou moins inchangé. Il est également nécessaire de renouveler le parc de bureaux existant parce que les utilisateurs demandent de plus en plus des espaces durables. Notamment en termes de performances énergétiques, mais aussi pour ce qui est de la mobilité. Auparavant, un parking pour vélos était une exception dans l’immobilier de bureaux ; aujourd’hui, c’est un must. Le parking à vélos que nous avons aménagé ici est toujours plein, alors qu’il reste de nombreuses places libres pour les voitures. Il est donc urgent de rénover tous ces bâtiments, mais les projets ne sont annoncés qu’au compte-gouttes. Entre 2003 et 2014, on a rénové 400.000 m2 de bureaux par an en moyenne. Ces dernières années, nous atteignons à peine les 150.000 m2. A ce rythme, il faudra encore 80 ans pour rénover le parc bruxellois. Conséquence: les loyers de nouveaux bureaux durables ne cessent d’augmenter.
Cela peut paraître contre-intuitif sur un marché où la demande est structurellement sous pression, mais l’explication réside donc dans une offre insuffisante.
De nombreuses entreprises se plaignent de leurs difficultés à faire venir les jeunes au bureau depuis la crise sanitaire. Une expérience différente, comme vous en faites la démonstration ici, constitue-t-elle une partie de la solution?
Oui, mais en partie seulement, car c’est une problématique qui comporte de nombreuses facettes, de nombreuses nuances. La situation antérieure n’était pas idéale. Quels que soient votre fonction, votre tâche ou votre rôle, on attendait de vous que vous vous rendiez au bureau tous les jours. Dans de nombreux cas, ce n’était pas nécessaire. Et sans doute pas productif, d’ailleurs. Sauf que le balancier a basculé de l’autre côté, avec une flexibilité totale dont je crains qu’elle soit néfaste à terme pour l’esprit d’équipe, la productivité et surtout l’innovation. Notre contribution consiste à aider des entreprises à créer un environnement de travail idéal afin que leurs collaborateurs aient à nouveau envie de se rendre au bureau.
La crise sanitaire a amené une consolidation et une professionnalisation du coworking et à ce titre, elle a été une bénédiction pour le secteur.
Avec Silversquare, vous êtes également très actifs dans le coworking. Ce segment avait enregistré une énorme croissance en quelques années, mais a ensuite beaucoup souffert de la crise sanitaire. Est-il en train de se redresser?
Il y a effectivement eu un effet de mode: on a ouvert des espaces de coworking à de très nombreux endroits. Et une partie d’entre eux n’ont pas été créés pour les bonnes raisons. Pensez à des promoteurs qui ont inauguré des espaces de coworking pour créer de la valeur dans leurs bâtiments. Il y a aussi eu WeWork, un projet beaucoup trop ambitieux qui recherchait une croissance trop rapide à court terme. La crise sanitaire a amené une consolidation et une professionnalisation du coworking et, à ce titre, elle a été une bénédiction pour le secteur. Nous restons cependant convaincus de son potentiel de croissance. Car les entreprises vont de plus en plus rechercher de la flexibilité et le coworking apporte une réponse à ce besoin. Une partie de la prise en occupation classique de bureaux se retrouve ainsi dans le coworking. Ici, par exemple, de grandes entreprises comme Shell et Salesforce sont locataires de Silversquare. Aux Etats-Unis et au Royaume-Uni, il est fréquent que de grandes entreprises s’adressent à une société de coworking pour une partie de leur politique d’hébergement. En Belgique, nous n’en sommes encore qu’au tout début de l’aventure. Mais le coworking n’est pas un segment où les marges sont élevées, au contraire. C’est aussi là que réside l’importance d’un réseau: une plus grande échelle permet d’étaler les frais généraux.
La branche Silversquare est-elle déjà rentable?
Silversquare a connu un redressement rapide après la crise sanitaire. En 2022, le chiffre d’affaires a progressé de 57% par rapport à 2021. Nos centres matures affichent un taux d’occupation de 88%. Nous voulons atteindre un Ebitda positif d’ici 2025. Ce n’est donc pas encore le cas, mais c’est la conséquence logique de l’ouverture de nouveaux centres. Dans la phase de lancement, les centres ne tournent pas encore à plein régime. Les sites Silversquare les plus matures sont déjà rentables.
Un Silversquare de 5.000 m2 a ouvert ses portes dans l’Antwerp Tower fin juin. N’est-ce pas beaucoup pour un marché du bureau relativement restreint comme celui d’Anvers?
Non. Pour un nouveau site, nous effectuons toujours une étude de marché approfondie sur la base de la capacité économique de la situation. Silversquare est une entité séparée, avec son propre management qui doit veiller à la rentabilité. Chez nous, l’activité de coworking n’a pas pour objet de remplir les trous dans nos immeubles. Cela distingue également Silversquare d’autres acteurs occasionnels dans ce secteur. Silversquare est d’ailleurs locataire de quatre de ses 10 sites. Cela montre que nous choisissons ces emplacements parce que nous croyons que nous pouvons y gagner de l’argent.
Pour en revenir à cette superficie de 5.000 m2, nous savons par expérience que la taille idéale d’un espace de coworking est comprise entre 3.500 et 5.000 m2. Une telle superficie est nécessaire pour justifier une équipe de trois personnes à temps plein et proposer une série de services. On a aussi besoin d’une certaine taille pour trouver un bon équilibre entre les espaces communs, les flex desks et les bureaux privés. Un espace Silversquare peut exceptionnellement être plus grand. Silversquare Central s’étend sur 6.500 m2. Mais c’est justifié, parce que l’emplacement est fantastique.
L’objectif est-il de déployer également Silversquare aux Pays-Bas?
Oui, Silversquare sera partie intégrante de nos projets dès que nous franchirons la frontière. Nous y appliquerons également notre stratégie centrée sur la création de hubs. Ce concept est même encore plus pertinent aux Pays-Bas qu’en Belgique, parce que le marché néerlandais du bureau est beaucoup plus avancé en matière de services, d’hospitalité, de coworking… Et un tel concept total nécessite des bâtiments d’une certaine taille. Je suis partisan de projets compris entre 10.000 et 25.000 m2. Ils offrent une masse critique suffisante sans peser trop lourd sur les finances.
Un projet de 110.000 m2 comme ZIN n’est donc plus à l’ordre du jour?
Selon moi, ZIN est en effet un peu lourd pour une entreprise comme Befimmo. Nous avions bien la prélocation de la Région flamande qui a réduit le risque, mais le redéveloppement de ce bâtiment aura duré quatre ans: la réception est prévue à la fin de cette année. Et quatre ans sans revenus locatifs pour un bâtiment qui pèse très lourd sur notre portefeuille, c’est le genre de déséquilibres que je préférerais éviter à l’avenir.
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