Transparence du marché de l’art: entre non-sens et opportunité
Désormais soumis au régime de lutte contre le blanchiment de capitaux, le marché de l’art doit faire voeu de transparence. Si cela peut rassurer les collectionneurs et repositionner l’art comme actif patrimonial, les petites structures s’interrogent sur la lourdeur du système.
En juillet dernier, la Belgique a transposé la cinquième directive européenne anti-blanchiment, surnommée AMLD 5. Comme les versions précédentes, cette directive vise à renforcer la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme. L’une des principales nouveautés est l’ajout de nouveaux assujettis au régime préventif anti-blanchiment selon Ariane Joris, head of estate planning chez Degroof Petercam. Sont ainsi désormais concernés, notamment “les prestataires de services d’échange entre monnaies virtuelles, les clubs de football professionnels et les marchands d’art. Pour ces derniers, cela consiste à mettre en place des procédures destinées à connaître et à vérifier l’identité de tous les intervenants ainsi que l’origine des fonds utilisés pour l’acquisition de l’oeuvre pour toute transaction d’une valeur de plus de 10.000 euros”.
Cette nouvelle réglementation est en contradiction avec notre conception de l’art qui est avant tout un plaisir.”
Audrey Plunus (Art N’Pepper)
Identifier l’oeuvre
Depuis la mi-août, “les personnes physiques ou morales qui achètent, vendent ou agissent en qualité d’intermédiaires dans le commerce d’oeuvres d’art ou de biens meubles de plus de 50 ans, lorsque le prix de mise en vente d’un ou d’un ensemble de ces oeuvres ou biens est d’un montant égal ou supérieur à 10.000 euros”, sont ainsi soumis à la loi anti-blanchiment de 2017. Le texte législatif y ajoute aussi “les personnes physiques ou morales qui possèdent ou gèrent des entrepôts, y compris des entrepôts douaniers ou situés dans des ports francs” destinés au stockage d’oeuvres d’art ou d’antiquités.
“Tous les intervenants, qu’il s’agisse de galeries, marchands ou salles de vente, de petite ou grande taille, sont concernés, résume Hubert d’Ursel, head of art advisory chez Degroof Petercam et auparavant directeur général de Sotheby’s Belgium. Ce sont ainsi l’ensemble des acteurs du marché de l’art et des antiquités qui sont soumis à d’importantes mesures de due diligence portant tant sur l’oeuvre que son propriétaire.”
Au niveau de l’oeuvre (ou de l’antiquité), “cela implique de rassembler tous les documents d’identification nécessaires: rapport d’authenticité, preuve de propriété, provenance retraçant les différents propriétaires depuis la sortie du studio de l’artiste, précise Eugénie Dumont, art collections manager chez Degroof Petercam. Le professionnel doit aussi s’assurer que l’oeuvre d’art ne contient pas de matériaux issus d’espèces protégées comme l’ivoire et n’est pas concernée par des restrictions commerciales sur les objets culturels. Enfin, il doit vérifier le pays d’origine et le parcours de l’oeuvre, notamment si elle provient ou est passée par des zones de conflit comme la Syrie ou l’Irak, et si l’oeuvre n’a pas été volée en se référençant à des registres interna- tionaux comme l’Art Loss Register.”
Logique du propriétaire
A l’image d’un banquier ou d’un comptable-fiscaliste, le professionnel de l’art et des antiquités doit aussi identifier les bénéficiaires effectifs (vendeur et acheteur final) et examiner la logique de la transaction. L’identification des bénéficiaires effectifs repose sur une série de documents et des vérifications sont nécessaires ( lire l’encadré “Comment prouver la propriété”). “Au niveau de la transaction, la due diligence peut être plus complexe, pointe Hubert d’Ursel. Il arrive couramment que les transactions soient d’un montant assez conséquent, impliquant une structure plus complexe avec différents intervenants. Il est donc important de toujours analyser la logique de la transaction pour s’assurer qu’il n’y a rien de suspect.”
“Chaque intervenant doit réaliser une due diligence complète sur l’oeuvre, l’acheteur, le vendeur, les bénéficiaires effectifs et tous les intermédiaires inclus dans la transaction”, précise Eugénie Dumont.
Petites structures
Pour les grandes galeries et maisons de vente, ces nouvelles obligations ne sont pas entièrement neuves. Elles avaient déjà pour habitude de vérifier l’origine des oeuvres et antiquités qu’elles négociaient. De plus, elles disposent d’une certaine taille qui leur permet de mettre plus facilement en place des procédures de contrôle.
Hubert d’Ursel concède toutefois que ces nouvelles obligations sont beaucoup plus lourdes pour les petites structures moins habituées et moins bien équipées pour gérer des sujets assez complexes. Ce que nous confirme Audrey Plunus de la galerie Art N’Pepper à Sart-lez-Spa. “Cette nouvelle réglementation est en contradiction avec notre conception de l’art qui est avant tout un plaisir. Nous assurions déjà un suivi extrêmement strict des oeuvres, notamment vis-à-vis des artistes. Mais devoir enquêter sur des clients qui nous font confiance depuis des décennies, c’est un non-sens. Evidemment, nous avons toujours été prudents par rapport à des personnes inconnues débarquant avec d’importants montants en cash ou à tous ces pseudos- experts, véritables arnaqueurs, qui sillonnent le marché de l’art. Mais est-ce le rôle des tenanciers de galeries, passionnés d’art avant tout, de jouer au gendarme financier? D’autant plus que l’information concernant ces nouvelles obligations est restée quasiment inexistante, nous mettant devant le fait accompli.”
Transparence et sécurité
Pour les collectionneurs, ces nouvelles obligations sont par contre positives, selon Eugénie Dumont. “Evidemment, tous les intervenants vont devoir s’habituer aux nouvelles règles de transparence. Mais que la cinquième directive de lutte contre le blanchiment de capitaux reprenne le marché de l’art permet d’apporter de la transparence à un secteur jusqu’à maintenant considéré comme opaque et qui rendait les institutions bancaires frileuses. Elle autorise une re-légitimation de ce marché et un retour vers l’intégration de l’art dans la gestion du patrimoine.”
Cela pourrait toutefois impliquer une période d’adaptation pour certains collectionneurs. En effet, si établir l’origine d’une oeuvre contemporaine achetée directement à l’artiste est assez simple, il en va tout autrement quand l’oeuvre fait partie du patrimoine familial depuis des générations. “On n’a commencé à conserver des documents liés aux oeuvres qu’après la Seconde Guerre mondiale”, précise Hubert d’Ursel. Pour les périodes précédentes, la documentation est donc extrêmement réduite. Quand les collections ont été acquises durant la révolution industrielle, voire encore avant pour des familles historiques, prouver la propriété et retracer l’origine de l’oeuvre peut se révéler particulièrement complexe.
C’est notamment à ce niveau que peut intervenir l’Art Advisory de Degroof Petercam, qui dispose d’une palette complète de services à destination des collectionneurs, allant du conseil à l’acquisition à la transmission d’oeuvres. Si l’offre de cette banque est assez unique en Belgique par son étendue, d’autres acteurs proposent évidemment des services de conseils, que cela soit d’autres banques privées ou des spécialistes du marché de l’art comme Sotheby’s.
Les six obligations de la loi anti-blanchiment
Si la loi anti-blanchiment de capitaux énonce de nombreuses recommandations, certaines mesures sont obligatoires:
- Implémentation d’un système de lutte contre le blanchiment de capitaux (LBC) et rédaction d’une politique anti-blanchiment interne
- Nomination d’un responsable LBC (compliance officer)
- Implémentation de procédures de due diligence pour les clients ainsi que pour le suivi et la surveillance des transactions
- Mise en place de formations continues sur la prévention contre le blanchiment d’argent pour tous les employés
- Conservation des registres
- Signalement d’activités suspectes à la CTIF
Comment prouver la propriété?
Personnes physiques:
- Preuve d’identification (carte ID ou passeport)
- Preuve d’adresse
- Contrôle et vérification de statut PEP (personne exposée politiquement)
- Contrôle et vérification des listes de sanctions
- Vérification de l’existence éventuelle de couverture médiatique négative
Personnes morales:
- Preuve d’identification (carte ID ou passeport) du management et des bénéficiaires effectifs
- Preuve d’adresse du management et des bénéficiaires effectifs
- Liste des membres du conseil d’administration
- Contrôle et vérification de statut PEP du management ainsi que des bénéficiaires effectifs
- Contrôle et vérification des listes de sanctions pour le management, les bénéficiaires effectifs et la personne morale
- Vérification de l’existence éventuelle de couverture médiatique négative pour le management, les bénéficiaires effectifs et la personne morale
- Statuts de la société, registre de commerce et certificat de constitution
- Structure de l’actionnariat
- Pour les fondations (trusts): acte fiduciaire, liste des administrateurs, auteurs de la fiducie et bénéficiaires
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