Les derniers seront les premiers en Bourse: place aux perdants de la crise?
Pour de plus en plus d’observateurs, le potentiel boursier des gagnants de la crise sanitaire est désormais épuisé. Les “hedge funds” n’hésitent plus à jouer ces valeurs à la baisse et des stratégistes conseillent de se tourner vers les “perdants” pour anticiper la réouverture de l’économie.
Grand gagnant de la pandémie de coronavirus, avec un gain de 85% en sept mois, Netflix est, malgré les menaces de reconfinement, à la peine depuis la mi-octobre. Les prises de bénéfices se sont accentuées après la publication de ses trimestriels, la semaine dernière. La hausse de 22,7% du chiffre d’affaires et le passage à 20,4% de la marge opérationnelle n’ont pas suffi à compenser la déception suscitée par le nombre de nouveaux abonnés: + 2,2 millions, contre +3,4 millions escomptés. Avec la hausse des cours, les attentes sont désormais très élevées et les marchés s’interrogent sur les perspectives à moyen terme des gagnants de la crise sanitaire. La pandémie aura-t-elle un effet rémanent ou au contraire, temporaire, sur les activités?
Le cas de Zoom
Face à cette inquiétude, de plus en plus de hedge funds prennent des positions à découvert (vendeuses) sur les actions qui ont profité de la généralisation du télétravail. “Le recours au travail à domicile atteindra un pic cette année, ce qui signifie que la croissance y est relative et les bénéfices des entreprises qui en profitent seront de même”, prévient Andrew Sheets, stratégiste chez Morgan Stanley.
L’entreprise qui a le plus profité du télétravail est Zoom Video Communications, le spécialiste des vidéoconférences. Depuis le début de l’année, son cours a été multiplié par près de huit, une évolution comparable à la hausse attendue de son bénéfice, de 0,35 dollar par action l’année dernière à 2,54 dollars pour l’exercice en cours. Zoom cote donc toujours à 200 fois les bénéfices prévus, mais avec un potentiel de croissance forcément réduit. Quand bien même le recours au télétravail devrait rester élevé après la pandémie, il a sans doute atteint un sommet durant le confinement. Zoom, dont la facilité d’utilisation a attiré de nombreux clients pressés de trouver une solution, va aussi devoir affronter la concurrence féroce de Microsoft (Teams), Google (Meet), Cisco (Webex), Jitsi (open source), etc. Ceux-ci ont déjà un argument de poids à faire valoir auprès des entreprises: les failles de sécurité. Sur la seule deuxième quinzaine de septembre, le nombre de titres Zoom Video Communications vendus à découvert a ainsi bondi de 57%, à 12,8 millions d’unités, selon les données du Nasdaq.
Le matériel informatique
Le télétravail profite aussi aux fabricants de matériel informatique, comme l’ont montré la semaine dernière les résultats de Logitech. Le spécialiste suisse des périphériques (claviers, souris, caméras, etc.) a vu son chiffre d’affaires trimestriel bondir de 75% cet été, ce qui lui a permis de relever de 70% son excédent brut d’exploitation prévisionnel pour son exercice 2020-2021. Tim Campbell, cofondateur et responsable des investissements du hedge fund Longlead Capital Partners, déclarait au Financial Times avoir pris des positions à découvert sur les fabricants de PC et d’ordinateurs portables qui ont profité de trois bons trimestres mais “devraient finir par retomber à leur (faible) niveau de croissance d’avant la pandémie”. L’année dernière, les ventes mondiales de PC avaient progressé de 0,6% à peine après sept années de baisse consécutives, selon le bureau de conseil Gartner. Ces marchés sont aussi assez cycliques. Une période de forte croissance est traditionnellement suivie par un repli des ventes, les clients étant mieux équipés. Cela transparaît notamment dans l’évolution des ventes de Logitech.
Les loisirs à domicile
L’e-commerce et les loisirs à domicile ont également le vent en poupe depuis mars. Contrairement au télétravail, il n’est toutefois pas question de pic, mais d’accélération d’une tendance structurelle.
Netflix avait par exemple enregistré 15,8 millions de nouveaux abonnés au premier trimestre, mais la direction avertissait dès le printemps qu’avec le déconfinement (partiel) et la reprise du sport à la télévision, notamment, le phénomène serait suivi d’une période de plus faible croissance. Cellic-i se poursuit, mais à un rythme effectivement moins soutenu, ce qui déçoit les marchés. Le groupe a également accéléré ses investissements dans ses programmes (ce qui va faire plonger le flux de trésorerie dans le rouge en 2021), pour éviter de lasser ses clients, anciens et nouveaux, qui ont été particulièrement assidus cette année.
Evidemment, Walt Disney, porté en Bourse par les débuts tonitruants de son service de streaming Disney+, est dans la même situation. On peut évoquer également Peloton Interactive, autre star actuelle sur le Nasdaq. Ce spécialiste du sport à domicile (vélos d’appartement et tapis de course connectés, cours et coaching en ligne) a vu ses revenus doubler au cours de son exercice 2019-2020, clos fin juin. Il prévoit de les multiplier une nouvelle fois par deux en 2020-2021, mais cote malgré tout 10 fois ses revenus attendus et 1.000 fois ses bénéfices escomptés. Il n’est donc pas étonnant que le nombre de titres vendus à découvert ait doublé depuis la mi-août.
Le commerce en ligne
Dans le secteur de l’e-commerce, les paris à la baisse sur Amazon sont restés limités, les investisseurs s’attendant à ce que le groupe puisse fidéliser ses nouveaux clients, d’autant qu’il se diversifie de plus en plus avec le cloud (AWS) et le rachat de la chaîne de supermarchés bio Whole Foods ou du spécialiste des médicaments prédosés en ligne PillPack.
Selon les données de l’analyste Breakout Point, les hedge funds ont par contre pris HelloFresh pour cible. Le leader mondial des box repas vit une année 2020 exceptionnelle, avec une multiplication par deux de ses revenus et l’annonce de premiers bénéfices (substantiels). Mais l’allemand a un point faible: la fidélité de ses (nouveaux) clients. En moyenne, six sur dix désertent après un an à peine ; il lui sera donc difficile de pérenniser la croissance enregistrée durant le confinement.
Les vaccins
Barry Norris, qui s’est fait un nom en prenant une importante position à la baisse contre la fintech Wirecard (emportée par un scandale financier), cible pour sa part les jeunes sociétés développant un vaccin contre le Covid-19. Son fonds Argonaut Absolute Return Fund a ainsi pris des positions à découvert sur Novavax, Inovio, BioNTech, Curevac et Moderna. “La valorisation de ces actions ne reflète pas la réalité”, alors que les “vaccins demeurent très expérimentaux” et que la multiplication des recherches (321 candidats au total) ne permettra pas à ces sociétés de générer des marges très élevées, déclare-t-il. Pour des géants comme Pfizer, AstraZeneca, Johnson & Johnson, Sanofi ou GSK, le vaccin a beaucoup moins d’influence sur le cours de Bourse, d’autant qu’ils prévoient pour la plupart de le vendre à prix coûtant ou avec une marge réduite. Si les gagnants sont désormais trop chers, faut-il se tourner vers les perdants? C’est l’avis d’Andrew Sheets. ” Si un vaccin est disponible et que le marché estime que l’année 2021 sera plus normale, les investisseurs pourraient se dire qu’il est temps de vendre les actions qui se sont bien comportées jusqu’à présent et d’acheter des entreprises dont les bénéfices sont plus cycliques “, affirme-t-il.
Parmi les secteurs les plus souvent cités comme principaux bénéficiaires d’une réouverture complète de l’économie, on trouve surtout les compagnies aériennes, l’horeca, les loisirs (parcs d’attractions, cinémas, croisières, etc.) et la distribution non alimentaire. Le secteur bancaire est aussi régulièrement cité, mais risque de devoir composer pendant quelques années encore avec une des principales conséquences macroéconomiques de la pandémie: des taux encore plus bas, encore plus longtemps. Les analystes de Morgan Stanley ont identifié 40 entreprises (américaines) décotées qui profiteraient d’une réouverture de l’économie. Parmi elles, nous citerons Alaska Air, Booking, Citigroup, Coca-Cola, Darden Restaurants, Delta Airlines, General Electric, General Motors, Hilton Worldwide, Las Vegas Sands ou Valero Energy. En appliquant le même exercice en Europe et en Belgique, des noms comme Accor, ADP, Airbus, Easyjet, Inditex, Kinepolis, Merlin Entertainments, Ryanair, Solvay ou ThyssenKrupp pourraient sortir.
Comme pour les gagnants, pour lesquels le critère déterminant est la pérennité de la croissance, il est indispensable de s’assurer de la viabilité à long terme des perdants. Des valeurs comme Air France-KML, Intesa Sanpaolo, IAG, TechnipFMC ou Renault manquent ainsi de ressort en Bourse, en raison de difficultés structurelles, auxquelles est venue s’ajouter la pandémie.
Des vendeurs à découvert piégés?
Tous les observateurs ne partagent pas l’avis d’Andrew Sheets et des hedge funds qui misent contre les gagnants de la pandémie. Pour Ihor Dusaniwsky, chez S3 Partners, les paris baissiers des hedge funds pourraient même déclencher des short squeezes (les vendeurs à découvert jettent le gant en raison de la hausse persistante du titre et finissent par racheter leurs positions, ce qui accélère la progression de l’action). Le cas le plus marquant cette année a été celui de Tesla, dont l’action a plus que doublé entre la mi-juin et la mi-août sur fond de rachats qui ne sont pas terminés, à en croire Ihor Dusaniwsky, puisque les ventes à découvert représentent toujours près de 10% du flottant (part du capital négociable en Bourse). Le spécialiste estime également que Cloudflare, Peloton Interactive, Nio, Zoom ou Slack Technologies sont parmi les plus susceptibles de connaître un short squeeze au cours des trimestres qui viennent. Selon les données de S3 Partners, Daimler (9,17% du flottant), Peugeot (20,02%) ou Stadler (13,09%) sont aussi très largement jouées à la baisse… mais pour le plus grand bonheur de ces hedge funds, jusqu’à présent.
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici