15 erreurs à ne pas commettre lorsque vous planifiez votre succession
Bien conçue, la planification successorale permet d’avoir la certitude que le patrimoine reviendra aux personnes visées, de la manière souhaitée et, de préférence, sans être trop imposé. Mais les erreurs, dans ce domaine, sont fréquentes. Deux notaires et une avocate en commentent 15 à notre intention.
1. Trop tarder
” Planifier sa succession s’adresse non pas aux personnes âgées, mais aux personnes adultes. Trop de gens pensent qu’il s’agit d’un sujet qui peut attendre leurs vieux jours : rien n’est moins vrai. A tout âge, chacun peut, moyennant des efforts minimes, éviter bien des problèmes par la suite “, commente Carol Bohyn, notaire. Comme nombre de ses confrères, celle-ci reçoit régulièrement des clients dont la planification de la succession n’a que trop tardé – parfois même à un point tel qu’il n’y a plus rien à faire. ” Certains parents aimeraient faire une donation à leurs enfants alors qu’un des membres du couple est déjà atteint de démence, relate notre interlocuteur. Or, à ce stade, c’est impossible, tout est bloqué. Un mandat extrajudiciaire, s’il a été établi, peut permettre d’éviter cette situation.”
Une fois par semaine en moyenne, je déçois un client en lui expliquant qu’une donation n’aurait aucun intérêt dans son cas et qu’au contraire, elle l’étranglerait.” Joni Soutaer, notaire
Le propriétaire de plusieurs maisons, appartements ou terrains, qui souhaite les léguer à la génération suivante (ou qui ne compte qu’un nombre restreint d’héritiers), a tout intérêt, à tout le moins sur le plan fiscal, à commencer aussi tôt que possible à procéder à des donations échelonnées. Rappelons en effet que parce qu’ils sont progressifs, les droits de donation rendent généralement très chère la donation des biens en une seule opération. Au contraire, procéder à des donations par tranches, séparées par des intervalles de trois ans, permet en principe d’éviter le taux d’imposition le plus élevé, fixé à 27 %. Ce taux s’applique aux donations en ligne directe et entre partenaires, pour la tranche qui s’inscrit au-delà de 250.000 euros.
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2. Ne pas établir de mandat extrajudiciaire
Planifier sa succession, c’est bien plus qu’effectuer des donations à des conditions fiscalement avantageuses : c’est aussi instaurer un certain nombre de mécanismes de protection. Le mandat extrajudiciaire en est un, puissant. Que se passerait-il si un accident vous plongeait dans le coma ? Si la démence s’installait ? Incapable de manifester votre volonté, vous ne pourriez plus prendre aucune décision, quelle qu’en soit la nature. Un juge de paix chargerait un administrateur de gérer vos finances ; il pourrait choisir un membre de la famille, mais il n’y est pas tenu. L’administrateur ne peut décider que dans l’intérêt de la personne administrée et doit répondre de ses actes devant le juge de paix. Dans la pratique, un tel scénario ne laisse pas beaucoup de place à la planification de la succession, car les juges rejettent généralement les propositions de donation. ” Le mandat extrajudiciaire peut permettre aux parents de stipuler qu’en cas d’incapacité de l’un, l’autre, et éventuellement aussi, les enfants, pourront se charger des affaires financières “, complète la notaire Joni Soutaer.
3. Ne pas évoquer la question de l’héritage
Les parents ne sont pas toujours prêts à se défaire de leur patrimoine ; quant aux enfants, ils évitent d’aborder le sujet pour ne pas paraître cupides. ” Pourtant, une succession bien planifiée ne profite pas seulement aux héritiers : elle permet aussi d’éviter bien des discussions et des disputes, ce qui est après tout souvent ce que souhaitent les parents “, insiste Carol Bohyn.
La question de la planification étant souvent taboue, on voit régulièrement surgir, lors des ouvertures de succession, des testaments dont la famille ignorait totalement l’existence. ” Nombreux sont les parents qui rédigent un testament sans en parler aux enfants, révèle Joni Soutaer. Il n’y a rien à redire à cela sur le plan juridique mais d’un point de vue humain, ce n’est pas toujours raisonnable. Certains testateurs exposent longuement les modalités de répartition de leur patrimoine, mais ils oublient qu’après leur décès, ils ne seront plus là pour justifier leurs choix. Et c’est là, justement, que le testament pourrait avoir un effet opposé au but recherché et être source de disputes et de frustrations. ”
Le notaire songe à ces parents qui avaient légué par testament 25.000 euros à leur fille pour compenser le fait qu’ils s’étaient toujours occupés, gratuitement, des enfants de leur fils : sans explications, celui-ci aurait pu prendre très mal les choses. ” N’oubliez pas non plus que les notaires sont tenus au secret professionnel, ajoute Joni Soutaer. Même après le décès du testateur, il n’est pas question de s’étendre sur les motivations qui ont guidé ses choix. ”
4. Surestimer l’importance des droits de succession
Certaines personnes ont des cauchemars en pensant au montant des droits de succession. Mais si le taux de 55 % existe en effet, il ne s’applique qu’aux héritages entre tiers, et qu’aux tranches supérieures à 125.000 euros. Pour Renate Barbaix, professeure de droit patrimonial de la famille à l’Université d’Anvers et partenaire chez HCGB Advocaten, ” on effraie tellement les gens au sujet du coût du décès qu’ils surestiment souvent l’importance des droits de succession “. Alors que le tarif, pour le partenaire et les enfants, est fixé à 3 % jusqu’à 50.000 euros, 9 % jusqu’à 250.000 euros et 27 % au-delà.
De surcroît, dans le cas d’un héritage en ligne directe ou entre partenaires, les droits de succession sont calculés sur la part qui échoit à chaque héritier individuellement et les patrimoines mobilier et immobilier sont scindés. ” Pour beaucoup de nos compatriotes, les droits de succession ne dépasseront pas 9 %, calcule Renate Barbaix. Ce n’est pas rien, mais ce n’est pas non plus un taux qui justifie que l’on se dépouille et se mette en danger. Car n’oubliez pas que la donation est irrévocable et qu’il n’est pas question de pouvoir, plus tard, vendre les biens pour s’acquitter des factures de la maison de retraite, par exemple. ”
Reste qu’une donation est exactement ce que certains parents veulent faire pour alléger la facture fiscale de leurs enfants, au prétexte que les donations mobilières en ligne directe et entre partenaires sont imposées au taux de 3 % seulement. ” Une fois par semaine en moyenne, je déçois un client en lui expliquant qu’une donation n’aurait aucun intérêt dans son cas et qu’au contraire, elle l’étranglerait “, admet Joni Soutaer. Quel expert n’a jamais entendu parler de donateurs qui ont renoncé à tout au profit de leurs enfants et des graves difficultés financières dans lesquelles ils sont désormais plongés ?
5. Accepter une donation au détriment de certains avantages
Aussi intéressante qu’elle soit, la donation peut avoir des effets pervers. ” Les personnes qui bénéficient de certaines allocations et primes sociales feront bien de commencer par se renseigner auprès des instances compétentes à propos de l’incidence que pourrait avoir une donation, avertit Joni Soutaer, car il n’est pas impossible qu’elles perdent, en tout ou en partie, le droit à ces prestations. Il faut donc à tout le moins s’assurer que les économies d’impôts compenseront cette perte. ”
6. Se fier à un contrat de mariage désuet
Le contrat de mariage permet déjà de régler une partie des questions successorales. ” Il n’est pourtant pas rare que les gens ne sachent même pas s’ils en ont un, déplore la notaire Carol Bohyn. Certains clients m’apportent leur livret de mariage, qu’ils confondent avec le contrat. ” Lequel peut par ailleurs être totalement obsolète : ” La clause d’attribution de communauté revient extrêmement fréquemment, ajoute notre expert. Mais l’on ignore généralement que la signification qu’elle avait dans les années 1970 n’est plus la même aujourd’hui. Sur le plan fiscal, elle peut même engendrer des problèmes. ”
Très classique, la clause d’attribution de communauté stipule que le conjoint survivant obtiendra, au décès du prémourant, l’intégralité du patrimoine commun. Mais il sera aussi d’emblée redevable de droits de succession sur la partie héritée du prémourant. S’il décède lui aussi et que le patrimoine revient aux enfants, ceux-ci seront à leur tour imposés sur l’intégralité de la succession. Il s’agit donc d’une solution qui, d’un point de vue fiscal, est loin d’être optimale. C’est la raison pour laquelle les contrats de mariage d’aujourd’hui prévoient plutôt une clause d’attribution optionnelle, qui permet au conjoint survivant de choisir ce qu’il souhaite conserver et ce qui doit échoir à la génération suivante. Pour Carol Bohyn, ” il est absolument souhaitable d’établir un contrat de mariage ou d’actualiser le contrat existant. Le couple en aura pour 600 euros en moyenne, ce qui n’est pas grand-chose au regard de la flexibilité ainsi acquise et des économies que la démarche permettra de réaliser. ”
7. Qualifier un don bancaire de donation
Nombreux sont les parents qui choisissent de donner de l’argent à leurs enfants en procédant à un don bancaire, qui n’implique aucune formalité. Le don bancaire ne fait pas l’objet de droits de donation. En revanche, les donataires seront redevables de droits de succession si les donateurs décèdent dans les trois ans ( à noter qu’en Flandre, le nouveau gouvernement envisage d’allonger ce délai à quatre ans, lire également la chronique de Me Thierry Afschrift en page 20).
” Certains parents commettent l’erreur de préciser, dans la communication, qu’il s’agit d’un don ou d’une donation, énonce Carol Bohyn. Ce qui pose des problèmes de nature juridique. ” L’emploi du terme ” donation ” implique en effet qu’il s’agit d’une donation directe. Or la donation directe doit impérativement être effectuée devant notaire ; le don bancaire pourrait donc être déclaré nul.
Si vous envisagez d’effectuer un don bancaire, tenez-vous-en à la procédure consacrée : virez la somme sans communication, puis faites parvenir au donataire un document l’informant de l’existence de la donation. Assortir le don bancaire de conditions est un exercice délicat. Les banques prévoient bien des documents en ce sens, mais la doctrine ne les admet pas nécessairement. ” En conséquence de quoi, les enfants pourraient être dispensés de se plier aux conditions, ou une partie qui s’estime lésée pourrait tenter de faire invalider la donation par le tribunal. ” C’est la raison pour laquelle les donations assorties de conditions importantes seront de préférence effectuées par acte notarié.
8. Ne pas assortir la donation de conditions
Il est parfaitement possible d’assortir la donation de conditions. La clause de retour conventionnel, qui stipule que les biens retourneront aux donateurs en cas de prédécès du donataire, est presque un standard. L’interdiction de verser la donation dans la communauté conjugale est, elle aussi, une pratique courante. Les possibilités sont quasi infinies : stipuler que les fonds ne peuvent servir qu’à un achat immobilier, se réserver, par le biais d’une charge de rente, une rente périodique, mettre les frais médicaux à charge du donataire, etc., ce ne sont pas les mécanismes de protection qui manquent.
” Mieux vaut prévoir trop de conditions que trop peu, approuve Renate Barbaix. Le donateur pourra toujours renoncer à certaines d’entre elles, alors qu’il est au contraire très difficile d’assortir une donation existante de nouvelles conditions, sans parler de continuer à profiter des avantages fiscaux. ”
9. Confondre donation hors part et avance sur héritage
La législation belge protège particulièrement bien les enfants, qui ont toujours droit à une part de la succession, appelée part réservataire. En d’autres termes, les parents ne peuvent disposer à leur guise que de la moitié de leur patrimoine (la ” quotité disponible “), l’autre moitié revenant automatiquement aux enfants.
Pour beaucoup de nos compatriotes, les droits de succession ne dépasseront pas 9 %. Ce n’est pas rien, mais ce n’est pas non plus un taux qui justifie que l’on se mette en danger. ” Renate Barbaix, professeure à l’Université d’Anvers et partner chez HCGB Advocaten
Or il arrive que lorsque l’on effectue une donation, on perde de vue la question de la part réservataire. La donation aux enfants peut en effet revêtir deux formes : celle d’une avance sur héritage, ou avancement d’hoirie, et celle d’une donation hors part. ” Peu de gens connaissent la distinction entre les deux, et ses implications, poursuit Renate Barbaix. Je constate régulièrement que des parents effectuent au profit de leurs enfants d’importantes donations hors part, sans se rendre compte qu’ils grèvent leur quotité disponible. Si, par la suite, ils souhaitent effectuer un don de moindre importance au profit d’une oeuvre caritative, par exemple, et que la quotité disponible est effectivement épuisée, les enfants auront le droit de s’y opposer. Pour éviter le problème, mieux vaut considérer les donations faites aux enfants comme des avancements d’hoirie. ”
10 Oublier l’assurance-vie
En Belgique, l’assurance-vie est un produit d’épargne et placement très prisé, dans lequel beaucoup de gens ont investi une part considérable de leur patrimoine. ” Mais ils oublient souvent qu’ils possèdent par ailleurs des contrats d’assurance dans lesquels des bénéficiaires, à qui irait la prestation en cas de décès du preneur, ont été désignés, constate Renate Barbaix. Tout le monde ne comprend pas que les dispositions du contrat d’assurance priment sur celles du testament. ” Il est donc parfaitement possible que des dispositions testamentaires soient entièrement invalidées par la désignation bénéficiaire de l’assurance-vie.
Ainsi peut-on envisager qu’une personne qui a souscrit une assurance épargne et désigné son cohabitant (de fait ou légal) comme bénéficiaire, oublie totalement de modifier la clause bénéficiaire après la séparation. Si elle venait à décéder, c’est donc à l’ex-partenaire que reviendrait le capital de l’assurance. ” Il s’agit évidemment d’une situation particulière, commente Renate Barbaix, à laquelle il est possible de remédier en stipulant explicitement dans le testament que celui-ci annule non seulement tous les testaments antérieurs, mais aussi toutes les polices d’assurance. Mais il faut y penser. ” Les personnes divorcées font, elles, l’objet de règles tout à fait différentes : en général, l’ex-conjoint ne pourra pas prétendre à la prestation d’assurance.
11. Dactylographier son testament
Si le testament ne doit pas nécessairement être établi par un notaire, il doit, en revanche, respecter des exigences de forme, en d’autres termes être olographe, daté et signé manuellement, à défaut de quoi sa validité pourrait être mise en cause. ” Il doit également être valable sur le plan juridique, ce qui n’est pas toujours le cas, tant s’en faut “, révèle Joni Soutaer. C’est la raison pour laquelle il est recommandé de faire contrôler par un notaire tout testament non notarié.
12. Ne pas avertir l’assureur de l’existence d’une donation
Les enfants à qui les parents ont fait don d’une maison ou d’un appartement avec réserve d’usufruit peuvent avoir l’impression de ne pas encore en être pleinement propriétaires, puisque les loyers continuent à revenir aux parents, par exemple. Mais ils en possèdent bel et bien la nue-propriété. ” Les gens oublient souvent d’avertir leur assureur de l’existence de la donation. Il ne s’agit certes que d’une formalité administrative, mais la négliger peut avoir de graves conséquences, avertit Carol Bohyn. On m’a parlé d’un cas où l’assureur incendie refusait d’intervenir après un sinistre faute d’avoir été averti que la nue-propriété avait changé de main ; finalement, sa prestation n’a été que partielle. ”
13. Ne pas s’entendre au sujet des factures de réparation
La question des factures de réparation de la maison ou de l’appartement grevé d’un usufruit peut être un point de discorde. La loi impose que les réparations importantes, comme celles qui consistent à remplacer le toit ou à intervenir au niveau des murs porteurs, soient à charge des nus-propriétaires. Or, ceux-ci sont souvent les enfants qui ne tirent encore aucun revenu du bien et qui n’ont pas, à ce stade, nécessairement les moyens de financer les travaux.
” Dans le cas d’une donation avec réserve d’usufruit, la situation pose rarement problème car les parents sont généralement disposés à s’acquitter des factures, précise Carol Bohyn. C’est plutôt après le décès que le bât blesse. ” Et le notaire de citer l’exemple de ce père qui, à son décès, laisse un immeuble de rapport dont les enfants obtiennent la nue-propriété et sa nouvelle épouse, l’usufruit. Mais le toit fuit, le béton s’effrite et toute l’électricité est à refaire. ” Alors qu’ils n’en tirent aucun revenu, les enfants sont, juridiquement parlant, tenus de supporter ces dépenses, dont la belle-mère cueillera ensuite les fruits ; c’est évidemment une cause de dispute “, admet notre spécialiste. Cette situation peut néanmoins être évitée en stipulant que l’autre parent supportera les frais de grosses réparations ou renoncera à l’usufruit.
14. Espérer pouvoir renoncer prématurément à un héritage
” Une fois par mois au moins, quelqu’un vient m’annoncer son intention de renoncer à l’héritage de son père ou de sa mère, avec qui il ne veut plus rien avoir affaire ou qui est exagérément endetté. Or, aussi longtemps que la personne est en vie, il est absolument impossible de renoncer à son héritage “, précise Joni Soutaer. Ce ne peut être fait qu’à l’ouverture de la succession, laquelle est nécessairement ultérieure au décès. La raison en est simple : c’est après l’ouverture que l’on peut savoir exactement à quoi l’on renonce. ” Il est possible que le parent soit lourdement endetté ; mais s’il a gagné au loto la veille de sa mort, l’héritier aura sans doute tôt fait de changer d’avis ! ”
15. Confondre pacte successoral et testament
Depuis la réforme du droit successoral, entrée en vigueur l’an passé, les parents peuvent conclure avec leurs enfants un pacte successoral global, sorte de contrat par lequel les héritiers ” consolident ” les donations passées et acceptent de ne pas les remettre en cause. Cette convention est contraignante. ” Contrairement à ce que l’on pense généralement, le pacte successoral global ne remplace pas le testament, observe Renate Barbaix. Il contient des conventions à propos des donations passées ou des avantages précédemment accordés, qui peuvent par exemple se voir assortir de nouvelles conditions ou attribuer une valeur, ou encore à propos des donations effectuées dans l’acte même. En revanche, il n’est pas possible de conclure quoi que ce soit dans ce contexte au sujet du patrimoine non encore réparti : sur ce point, l’établissement d’un testament reste indispensable. ”
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