Philippe Ledent
Zone de turbulence en vue?
L’enjeu sera de trouver le juste équilibre entre le maintien d’un soutien au revenu des ménages et l’inévitable évolution de l’activité et de l’emploi face à de nouvelles réalités.
Les derniers chiffres de comptabilité nationale publiés récemment sont assez encourageants. L’économie belge aurait progressé de 1% au premier trimestre de cette année par rapport au précédent, ce qui est tout à fait exceptionnel, certainement au regard des performances de nos voisins. Mieux encore, l’emploi total serait revenu à son niveau d’avant-crise, même si les différents secteurs de l’économie ont connu des fortunes diverses.
La reprise économique est donc bien au rendez-vous, ou du moins dans les starting-blocks. Pourtant, ces mêmes chiffres laissent apparaître un déséquilibre entre activité économique et marché du travail. Jugez plutôt: au premier trimestre de cette année, cette activité était 4% inférieure à son niveau d’avant la crise. Ceci dit, comme mentionné ci-dessus, l’emploi était, lui, équivalent à son niveau d’avant-crise. C’est un peu paradoxal: normalement, activité économique et emploi évoluent en parallèle (c’est ce qu’on appelle la loi d’Okun). Si l’on tient compte de gains de productivité, l’activité devrait même augmenter un peu plus rapidement que l’emploi. Or, c’est tout le contraire ici.
L’enjeu sera de trouver le juste équilibre entre le maintien d’un soutien au revenu des ménages et l’inévitable évolution de l’activité et de l’emploi face à de nouvelles réalités.
Bien sûr, on peut se réjouir de cette situation: si l’emploi était aligné sur l’activité, on aurait perdu 200.000 emplois nets par rapport au niveau d’avant-crise. Mais d’un autre côté, cette situation traduit un perte importante de productivité: on fait moins avec le même nombre de travailleurs.
En fait, cette façon de voir n’est pas tout à fait correcte lorsque l’on tient compte d’une mesure phare de la lutte contre les conséquences économiques de la pandémie, à savoir le chômage temporaire corona. Selon l’Onem, 400.000 travailleurs salariés utilisaient au moins temporairement la mesure chaque mois durant le premier trimestre, pour un total de plus de 12 millions de journées chômées. Ceci représente 180.000 équivalents temps plein, soit 3,6% de l’emploi total. Si l’on tient compte de cette inactivité (à laquelle il faudrait ajouter celle des indépendants), on retrouve finalement l’équivalent de la baisse d’activité.
Au-delà de la logique retrouvée des chiffres, ces données sont importantes pour les prochains trimestres, et particulièrement pour envisager la dynamique du marché du travail une fois que les mesures de support à l’économie auront pris fin. De deux choses l’une: soit l’activité regagne au plus vite les 4% qui lui manquent, et l’emploi se maintiendra au moins à son niveau actuel. Soit ce n’est pas le cas (la plupart des prévisions tablent sur un retour au niveau d’activité d’avant-crise vers le milieu 2022) et on risque d’observer des pertes d’emplois dans un contexte de restructurations et de faillites en hausse.
Serait-il intelligent, dès lors, de maintenir le chômage corona jusqu’à ce que l’activité ait retrouvé son niveau d’avant-crise? La réponse est assez complexe car le retour de l’activité ne se fera pas nécessairement dans les mêmes secteurs. Pour la faire croître, il est donc probablement nécessaire d’éviter les rétentions d’emplois (le fait de maintenir au travail des personnes dont l’entreprise n’a pas besoin) pour permettre aux entreprises en croissance de trouver les personnes qualifiées indispensables à leur développement. La dernière enquête de l’ERMG (Economic Risk Management Group) montre d’ailleurs que cela devient un vrai problème pour de nombreuses entreprises.
L’enjeu de la sortie des mesures de soutien sera donc de trouver le juste équilibre entre le maintien d’un soutien au revenu des ménages, indispensable à la reprise, et l’inévitable évolution de l’activité et de l’emploi face à de nouvelles réalités.
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